L’élection - cette « confiscation de la démocratie par les urnes » - est un grand théâtre, et la prochaine n’échappe pas à la règle. Chacun y revêt son habit de cérémonie : tissu de mensonge, plastron de promesses, chapeau dont on tire le lapin posé aux électeurs…
Aucun des partis en lice, non-plus que ceux qui, pensant tirer les marrons du feu, se conduisent en bookmakers bien davantage qu’en stratèges de la politique, ne fait autre chose que défendre son pré carré en tentant ‘annexer d’autres territoires à ses appétits de pouvoir, et de prébende.
L’élection est ainsi considérée comme le trousseau de clefs d’un Saint Pierre arrangeant, ouvrant la porte d’un paradis républicain où les élus ne savent rien des appelants.
« Votez, nous ferons le reste », disent-ils, bouche en cœur, sans se soucier un instant de voir le nôtre au bord des lèvres devant tant d’imposture, de mensonge et de vile flatterie. Car tout est bon pour conquérir les urnes !
Les appareils des partis ne servent que ces gens-là : peut leur chaut le vain peuple, et les déboires que leur conduite lui cause.
L’élection est une formalité, un passage obligé. Mais les fourches Caudines, ce sont les électeurs qui passent dessous ; les couleuvres, ce sont les électeurs qui les avalent.
L’élection est un blanc-seing, l’élu un irresponsable. Je ne parle pas ici de pathologie mentale, ni même de son statut juridique particulier. Non, je songe à un marchand de lessive ; ou de soupe ; ou de tout fils de Mercure qu’il vous plaira d’invoquer…
Ce pauvre marchand doit pour vivre réunir les suffrages de sa chalandise. Mais gare à lui si pour ce faire il ment ! Les articles L121-1 et suivants du code de la consommation déchaîneront sur lui les foudres de la loi…
Pour l’élu, aucun risque : il peut durant son mandat faire le contraire de ce qu’il promettait pour être élu, il ne risque rien ! Le bulletin de vote est en fait une cession de voix en blanc.
C’est pourquoi il nous apparaît essentiel de redéfinir le mandat.
Deux types d’action en ce sens concourent à cette redéfinition :
- la soumission du programme de tout candidat à un quelconque suffrage, au dispositif d’encadrement de la publicité mensongère
- la consultation permanente des citoyens en cours de mandature.
Le désintérêt du citoyen, non véritablement pour la chose politique, mais pour l’élection, tient dans ce que les élus font du vote. Dans un schéma qu n’est pas si caricatural, on relève que l’homo politicus établit un programme pour se faire élire, ne l’applique pas durant sa mandature, et revient vers ses électeurs six mois avant la nouvelle échéance, pour expliquer que les circonstances ne lui ont pas permis de réaliser ce qu’il avait promis, mais que, juré-craché, si on le réélit, il s’y mettra…
Au-delà des professions de foi des candidat, notre société souffre de ce qu’elle n’arrive pas à sortir de l’après-guerre. Tous les partis institutionnels sont nés, peu ou prou, à la Libération ; longtemps ils ont été dirigés par des hommes ayant connu la guerre et politiquement fabriqué par elle ; on en est encore à invoquer le CNR, soixante-dix ans après !
Comment espérer comprendre, captiver, aménager, une société, en se référant à un texte et des valeurs qui sentent le XIXème siècle ?
Les bouleversements opérés depuis la guerre, et plus particulièrement ces trente dernières années, interdisent de rester figé dans l’antan. On n’y reviendra plus.
Même le bouleversement des répartitions traditionnelles du pouvoir, de l’argent et de la politique, dictent de nouvelles attitudes, une nouvelle géométrie politique.
Le dernier dérangement, à ce point, des valeurs sociétales, remonte à la Commune, qui fut déclenchée, au fond, par trois facteurs : prémices - et même prémisse - du libéralisme par la main-mise de la banque sur la production ; démission et lâcheté du gouvernement (fuite de Napoléon III en Angleterre) ; élites craignant le peuple. On sait la répression qui s’ensuivit…
Alors, est-ce que les clivages politiques traditionnels ont encore leur place, en ce XXIème siècle ? Est-ce que les citoyens ont toujours besoin des mêmes béquilles usées pour savoir où ils se placent ?
Le rejet des mécanismes anciens de clivage pour espérer mieux régner doit nous faire rejeter ceux dont on sait qu’ils furent mauvais : le nationalisme comme ciment du peuple ; les religions comme opium ; la chrématistique comme moteur ; le militarisme comme garant de la paix… Et, plus encore, l’organisation pyramidale de la société comme encadrement obligé.
Nul citoyen n’est plus responsable qu’un autre : chaque homme vaut une voix.
Il ne faut pas seulement que celle-ci soit entendue, mais qu’elle soit relayée est le plus important.
La démocratie telle qu’elle s’entend aujourd’hui est un concept dévoyé : il ne s’agit puisque de confisquer des opinions individuelles, en oubliant sur le bord du chemin celles qui ne sont pas majoritaires. C’est ainsi que l’on crée le terrorisme,ou que l’on suscite les fantômes de l’extrême-droite !
C’est là que se place la redéfinition du mandat politique : l’élu non comme propriétaire, mais comme porteur de voix.
L’élection sépare l’expression de l’action. Et on a vu que cette dernière n’était généralement pas l’expression de la première !
L’envie, la philosophie, les goûts, du citoyen, changent, évoluent, en fonction de sa permanente progression dans la compréhension de sa propre histoire au sein de la société qu’il anime.
On ne met d’étiquette que sur ce qui est à vendre.
Comment assurer le déroulement d’un mandat en respectant l’expression d’envies ou de besoins fondamentaux mais fluctuants ? La démocratie directe, chère à l’Agora hellénique, n’est plus guère possible tant nus sommes devenus nombreux, tant notre société est complexe.
La démocratie représentative, nous l’avons vu, est un oxymoron.
Il ne nous reste qu’à mettre en place un système qui emprunte aux deux concepts, en ne laissant pas une majorité, souvent d’ailleurs à peine séparée de la minorité par un infime déséquilibre, s’imposer, mais en privilégiant un dialogue permanent entre les citoyens, entre les mandants le mandataire, pour une expression plus juste, plus instantanée, de nos desiderata.
Ce système, c’est la démocratie liquide.
Nous le détaillerons dans un prochain billet.
Le peuple doit s’exprimer. Le peuple doit être entendu. Le peuple doit être obéi.
N’oublions pas : nous sommes le tiers-état.