Les bouleversements de la réglementation sociale sont majeurs depuis cinq années et ont atteint leur point culminant avec l’arrivée du gouvernement de M. Ayrault sous la présidence de M. Hollande. Issue de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, la loi dite de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 se veut la pierre angulaire de la politique sociale du gouvernement et du président de la République. Or, les 27 articles de cette loi ont totalement bouleversé des pans entiers de relations au travail établies au fil des décennies suite à des luttes sociales et des victoires politiques d’un camp sur l’autre.
Toutefois, et ce gouvernement ne nous y a que trop habitué, la rédaction juridique de sa volonté politique, faîte à la va-vite, souffre d’approximations, voire d’erreurs flagrantes qui pourraient avoir des incidences concrètes et quotidiennes pour les citoyens ainsi que des incidences sur le budget de l’Etat.
Glose du nouvel article L1233-53 du Code du travail ou quelqu’un est-il capable de dire quelles sont les obligations des uns et des autres en cas de licenciement économique collectif de moins de 10 salariés ?
La loi du 3 janvier 1975 avait instauré l’obligation faîte à un employeur, quel qu’il soit, envisageant un « licenciement, individuel ou collectif, fondé sur un motif économique, d’ordre conjoncturel ou structurel » de recueillir l’ « autorisation de l’autorité administrative compétente » (article L. 321-7 du code du travail, abrogé).
En 1986, la droite au pouvoir supprime cette autorisation administrative de licenciement. Philippe SEGUIN, alors ministre des affaires sociales, défend la suppression au perchoir de l’Assemblée nationale avant le vote de la loi du 3 juillet 1986 qui prévoit, en son article premier qu’ « à compter du 1er janvier 1987, l’autorisation administrative de licenciement pour motif économique est supprimé ».
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/50annees/860529-mit-chirac-leg8.asp
L’article 18 de la loi du 14 juin 2013 a modifié l’article L1233-53 du code du travail en le reformulant presqu’entièrement. Voici la retranscription intégrale de la nouvelle version :
« Dans les entreprises de moins de cinquante salariés et les entreprises de cinquante salariés et plus lorsque le projet de licenciement concerne moins de dix salariés dans une même période de trente jours, l'autorité administrative vérifie, dans le délai de vingt et un jours à compter de la date de la notification du projet de licenciement, que :
1° Les représentants du personnel ont été informés, réunis et consultés conformément aux dispositions légales et conventionnelles en vigueur ;
2° Les obligations relatives à l'élaboration des mesures sociales prévues par l'article L. 1233-32 ou par des conventions ou accords collectifs de travail ont été respectées ;
3° Les mesures prévues à l'article L. 1233-32 seront effectivement mises en œuvre. »
Notons tout de suite que cet article se trouve sous une section IV intitulée « Licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours » et qu’il aborde une situation où le licenciement « concerne moins de dix salariés ». Pourtant, la section II du même chapitre est intitulé « Licenciement de moins de dix salariés dans une même période de trente jours ». Nos députés auraient été bien inspirés de lire un peu le Code du travail avant de le modifier.
Notons également que la formule « Dans toutes les entreprises » aurait été plus économe en papier que la formule « Dans les entreprises de moins de cinquante salariés et les entreprises de cinquante salariés et plus ». Au-delà du grotesque, cela montre à quel point le parlement qui a voté cet article ne se donne même pas la peine de lire les textes et n’est devenu qu’une chambre d’enregistrement à la botte de l’exécutif. Montesquieu et sa séparation des pouvoirs doivent se retourner dans leur tombe.
Mais c’est sur le fond que se pose le plus gros problème. Avant cette réforme, l’employeur procédant à un licenciement économique de moins de 10 salariés était tenu d’informer « l’autorité administrative du ou des licenciements prononcés » (article 1233-19 du Code du travail toujours en vigueur). La réforme impose désormais la notification du « projet de licenciement » et non plus des licenciements « prononcés ». Ou pour être plus précis, l’employeur doit désormais notifier à l’inspection du travail à la fois son projet de licenciement et les licenciements effectifs.
Dans ce sac de nœud, l’inspection du travail, déjà mise en danger par le projet de réforme Sapin qui, à quelques exceptions près, soulève une contestation syndicale unanime, est de nouveau mise à contribution.
Le nouvel article L1233-53 du Code du travail impose donc, l’indicatif valant impératif en droit français, à l’inspection du travail de vérifier que la procédure prévue par le même code a été respectée. La quantité de dossiers à traiter par cette administration en période de crise économique fait froid dans le dos. Si l’idée d’instaurer plus de contrôle lors des « petits » (moins de 10) licenciements économiques pourrait paraître intéressante, elle ne le serait vraiment que si l’on accordait à l’inspection du travail les moyens en miroir de ces nouvelles responsabilités. Or, n’étant pas un ministère prioritaire pour M. Hollande, la rue de Grenelle sape plutôt les effectifs qu’elle ne les renforce ces temps-ci.
En conséquence, le temps dégagé par les agents pour traiter cet afflux de nouveaux dossiers serait à prendre sur celui consacré au contrôle du respect des obligations en termes de santé et de sécurité des travailleurs, de rémunération ou encore de lutte contre le travail dissimulé. L’autorisation administrative de licenciement de la loi de 1975 résonne encore aux oreilles des plus anciens de ce corps et ils sauraient, mieux que quiconque, vous dire à quel point ce type de dispositif est chronophage.
Suite à de nombreuses analyses identiques (voir notamment l’article de Florence MEHREZ ou encore Liaison sociales quotidien n°16371 du 24 juin 2013), la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), administration centrale dépendant du Ministère du travail, a été saisie à plusieurs reprises sans donner de réponse claire, voire sans donner de réponse du tout. Et pour cause, elle doit être bien embêtée par cet article. Toutefois, des documents circulent en interne dans l’administration, notamment un question-réponse diffusé aux agents des Directions du travail déconcentrées (DIRECCTE) par la DGEFP cet été dont voici un extrait :
«- L’article L1233-53 qui dispose que l’administration peut opérer des vérifications dans les 21 jours à compter de la notification du projet de licenciement s’applique-t-il aux entreprises de moins de 50 salariés, dans la mesure où la loi ne prévoit pas d’obligation pour ces entreprises de notifier le projet de licenciement à l’administration ?
Le législateur n’a pas entendu modifier les règles applicables aux « petits licenciements », qu’ils soient individuel ou collectif (entre 2 et 9 salariés), intervenant dans les entreprises de moins de 50 salariés. L’article 18 de la loi sécurisation de l’emploi modifie uniquement le champ des licenciements donnant lieu à l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi. Dans le cas des licenciements de moins de 10 salariés sur une période de 30 jours, l’administration est informée une fois que les licenciements ont été notifiés individuellement aux salariés.»
On notera que selon la DGEFP l’administration « peut opérer des vérifications », ce qui implique que dorénavant l’indicatif ne vaut plus impératif en droit français mais peut valoir conditionnel. Par ailleurs, l’interprétation de la volonté du législateur est plus que large, elle est même totalement inverse puisque la DGEFP considère que les mots « lorsque le projet de licenciement concerne moins de dix salariés » ne s’appliquent pas aux « petits licenciements », qu’ils soient individuel ou collectif (entre 1 et 9 salariés) ».
En vérité il est certain que cette affaire représente une bombe à retardement énorme car l’obligation faîte aux employeurs et à l’administration concernerait quelques 184 000 licenciements économiques (année 2010, Etude de l’INSEE, Marche du travail : hausse plus modérée en 2010 de la demande d’emploi, http://www.insee.fr/fr/insee_regions/provence/themes/dossier/dos01/travail.pdf). L’empressement médiatico-politique du gouvernement et l’apathie du parlement risquent de couter bien cher si les employeurs et salariés décident de respecter la loi.
Billet de blog 11 novembre 2013
L’autorisation administrative de licenciement est-elle rétablie à partir du premier licencié ?
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