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Billet de blog 23 décembre 2024

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Un Voyou à Vendôme : La harangue de Baudot aux juges qui ont PEUR ce soir !

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Harangue à des magistrats qui débutent


Vous voilà installés et chapitrés. Permettez-moi de vous haranguer à mon tour,
afin de corriger quelques-unes des choses qui vous ont été dites et de vous en
faire entendre d’inédites.

En entrant dans la magistrature, vous êtes devenus des fonctionnaires d’un
rang modeste. Gardez-vous de vous griser de l’honneur, feint ou réel, qu’on vous
témoigne. Ne vous haussez pas du col. Ne vous gargarisez pas des mots de « troi-
sième pouvoir » de « peuple français », de « gardien des libertés publiques », etc. On
vous a dotés d’un pouvoir médiocre : celui de mettre en prison. On ne vous le
donne que parce qu’il est généralement inoffensif. Quand vous infligerez cinq ans
de prison au voleur de bicyclette, vous ne dérangerez personne. Évitez d’abuser
de ce pouvoir.

Ne croyez pas que vous serez d’autant plus considérables que vous serez plus
terribles. Ne croyez pas que vous allez, nouveaux saint Georges, vaincre l’hydre de
la délinquance par une répression impitoyable. Si la répression était efficace, il y
a longtemps qu’elle aurait réussi. Si elle est inutile, comme je crois, n’entreprenez
pas de faire carrière en vous payant la tête des autres. Ne comptez pas la prison
par années ni par mois, mais par minutes et par secondes, tout comme si vous
deviez la subir vous-mêmes.

Il est vrai que vous entrez dans une profession où l’on vous demandera souvent
d’avoir du caractère mais où l’on entend seulement par là que vous soyez impi-
toyables aux misérables. Lâches envers leurs supérieurs, intransigeants envers
leurs inférieurs, telle est l’ordinaire conduite des hommes. Tâchez d’éviter cet
écueil. On rend la justice impunément : n’en abusez pas.

Dans vos fonctions, ne faites pas un cas exagéré de la loi et méprisez générale-
ment les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence. Il vous appar-
tient d’être plus sages que la Cour de cassation, si l’occasion s’en présente. La
justice n’est pas une vérité arrêtée en 1810. C’est une création perpétuelle. Elle
sera ce que vous la ferez. N’attendez pas le feu vert du ministre ou du législateur
ou des réformes, toujours envisagées. Réformez vous-mêmes. Consultez le bon
sens, l’équité, l’amour du prochain plutôt que l’autorité ou la tradition.

La loi s’interprète. Elle dira ce que vous voulez qu’elle dise. Sans y changer un
iota, on peut, avec les plus solides « attendus » du monde, donner raison à l’un ou
à l’autre, acquitter ou condamner au maximum de la peine. Par conséquent, que
la loi ne vous serve pas d’alibi.

D’ailleurs, vous constaterez qu’au rebours des principes qu’elle affiche, la justice
applique extensivement les lois répressives et restrictivement les lois libérales.
Agissez tout au contraire. Respectez la règle du jeu lorsqu’elle vous bride. Soyez
beaux joueurs, soyez généreux : ce sera une nouveauté !

Ne vous contentez pas de faire votre métier. Vous verrez vite que pour être un peu
utile, vous devez sortir des sentiers battus. Tout ce que vous ferez de bien, vous
le ferez en plus. Qu’on le veuille ou non, vous avez un rôle social à jouer. Vous
êtes des assistantes sociales. Vous ne décidez pas que sur le papier. Vous tranchez
dans le vif. Ne fermez pas vos cœurs à la souffrance ni vos oreilles aux cris.
Ne soyez pas de ces juges soliveaux qui attendent que viennent à eux les petits
procès. Ne soyez pas des arbitres indifférents au-dessus de la mêlée. Que votre
porte soit ouverte à tous. Il y a des tâches plus utiles que de chasser ce papillon, la
vérité, ou que de cultiver cette orchidée, la science juridique.

Ne soyez pas victime de vos préjugés de classe, religieux, politiques ou moraux.
Ne croyez pas que la société soit intangible, l’inégalité et l’injustice inévitable, la
raison et la volonté humaine incapables d’y rien changer.

Ne croyez pas qu’un homme soit coupable d’être ce qu’il est ni qu’il ne dépende
que de lui d’être autrement. Autrement dit, ne le jugez pas. Ne condamnez pas
l’alcoolique. L’alcoolisme, que la médecine ne sait pas guérir, n’est pas une excuse
légale mais c’est une circonstance atténuante. Parce que vous êtes instruits, ne
méprisez pas l’illettré. Ne jetez pas la pierre à la paresse, vous qui ne travaillez pas
de vos mains. Soyez indulgents au reste des hommes. N’ajoutez pas à leurs souf-
frances. Ne soyez pas de ceux qui augmentent la somme des souffrances.
Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le
pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu
pencher d’un côté. C’est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le
fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et
sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant
contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron,
pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre
la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.
Ayez un dernier mérite : pardonnez ce sermon sur la montagne à votre collègue
dévoué.
*

Oswald Baudot (1974)

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