I. Historique des symboles de la République : un enracinement progressif :
La République française s'appuie sur une symbolique dont l'origine s'inscrit dans l'histoire de notre pays. Les symboles de la République trouvent leur source dans la Révolution française, mais c'est dès la proclamation de la République, le 22 septembre 1792, qu'ils ont
officiellement émergé.
En effet, ce même jour, la Convention décrète que le sceau de l'état « portera pour type la France sous les traits d'une femme vêtue à l'antique, debout, tenant de la main droite une pique surmontée du bonnet phrygien ou bonnet de la Liberté », afin, selon la proposition de
l'Abbé Grégoire, « que nos emblèmes circulant sur le globe présentassent à tous les peuples les images chéries de la liberté et de la fierté républicaines». Dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, Claude Rouget de l'Isle, un officier en garnison à Strasbourg, composait Le chant de
guerre pour l'armée du Rhin, mais c'est sous le nom d'Hymne des Marseillais qu'il est officialisé comme chant du nouveau régime le 22 septembre 1792. La devise « Liberté, Égalité », dont les termes étaient déjà mentionnés dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 (Article 1 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ») figure officiellement comme signe d'identification et de reconnaissance de la République sur les pièces de monnaie en 1793. Le 15 février 1794, le drapeau tricolore prend sa forme définitive, lorsque la Convention nationale décrète que le pavillon national « sera formé des trois couleurs nationales, disposées en bandes verticalement, de manière que le bleu soit attaché à la gaule du pavillon, le blanc au milieu et le rouge flottant dans les airs » .
L'Hymne des Marseillais est décrété chant national le 14 juillet 1795.
Suite à son coup d'état en 1799, Napoléon Ier établit le 1er Empire et fait le choix d'une nouvelle symbolique pour effacer le souvenir de la République.
De 1814 à 1830, sous la Restauration, Louis XVIII puis Charles X abolissent le drapeau tricolore pour adopter le drapeau blanc semé de fleurs de lys d'or, et interdisent la Marseillaise.
Après la Révolution de 1830, Louis-Philippe, Duc d'Orléans, rétablit le drapeau tricolore comme emblème national, et remet à l'honneur la Marseillaise comme chant national.
Sous la Seconde République, le sceau de l’État est fixé et la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est officialisée et définie comme un principe de la République. Toutefois, certains symboles jugés trop séditieux sont remplacés par des symboles plus modérés :
l'hymne national n'est ainsi plus la Marseillaise mais L'Hymne des Girondins.
Sous le Second Empire, Napoléon III institut ses propres symboles et s'emploie à supprimer les symboles de la République.
Il faut attendre la stabilisation politique progressive de la Troisième République pour que les emblèmes républicains se fixent de façon pérenne. En 1876-1877, la victoire des républicains sur les monarchistes donne à la société française, majoritairement attachée à l'héritage révolutionnaire, une République qui consacre durablement l'ensemble des « principes de 89 » qui sont l'égalité civile et la liberté politique. Ces derniers sont mis en œuvre dans la loi : liberté de la presse (1881), lois scolaires (1881-1882-1886), loi autorisant les syndicats (1884), loi sur les associations (1901), loi de séparation des Églises et de l’État (1905). Dès 1879, un établissement de la symbolique de la République est mis en place : le 14 février 1879, la Marseillaise redevient l'hymne national suivant le décret du 14 juillet 1795, et l'année suivante, en 1880, le 14 juillet est déclaré fête nationale, commémorant la fête de la Fédération de 1790. La devise est inscrite sur les frontons de toutes les institutions publiques et dans les mairies, le buste de Marianne remplace celui de Napoléon III.
La Première Guerre Mondiale contribue à la fusion de la République et de la Patrie : les symboles sont utilisés pour soutenir le moral des combattants et pour mobiliser les esprits. De 1940 à 1944, le maréchal Pétain, qui dispose de tous les pouvoirs à la suite du vote du 10
juillet 1940, abolit la République et ses symboles, et instaure un régime autoritaire installé à Vichy. Les assemblées sont suspendues, les syndicats interdits, et le fonctionnaires doivent prêter serment au Maréchal Pétain. La dénomination « République Française » sur les
monuments, bustes et documents administratifs devient « État Français », et la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » est substituée par la formule « Travail, Famille, Patrie ». Tandis que les bustes de Marianne sont remisés, les portraits officiels du Maréchal Pétain connaissent une diffusion massive. Dans les écoles, un portrait photographique est affiché dans chaque classe et le chant « Maréchal, nous voilà ! » est interprété avant chaque cours. L'effigie du chef de l’État se retrouve également sur les timbres et les pièces de monnaie. Cette politique marque la négation des « principes de 89 » ainsi qu'un recul tragique des droits de l'homme, et manifeste clairement une rupture avec la Troisième
République.
La Libération est ensuite marquée par le retour des emblèmes et un attachement manifeste aux valeurs républicaines.
Sous la Cinquième République, les symboles de la République sont réaffirmés dans l'article 2 de la Constitution de 1958 : « L’emblème national est le drapeau tricolore bleu, blanc, rouge. L'hymne national est la Marseillaise. La devise de la République est Liberté, Égalité,
Fraternité. », lui-même reprenant l'article 2 de la Constitution de la Quatrième République.
II. Définition, fonctions, et valeurs portées par les symboles de la République :
Le terme symbole renvoie à un signe figuratif, un être animé ou une chose, qui représente un concept, qui en est l'image, l'attribut. Ce dernier, proche du concept d'emblème, s'en distingue toutefois par une certaine nuance : en effet, lorsqu'un symbole est largement fixé ou reconnu, il devient un emblème.
Dans son Histoire vagabonde, tome I, Maurice Agulhon définit les « fonctions élémentaires d’un emblème politique (s’agissant ici des emblèmes de l’État) :
– permettre d'identifier le pouvoir politique en place, tout en se distinguant des symboles étrangers et de ceux du pouvoir antérieur aboli ;
– être facilement reconnaissable
– plaire, entraîner l’adhésion du public qu'il vise
– être parlant, compréhensible pour un public même illettré
– faire sens, pour être efficace auprès du public-cible
– traduire les principes dont se réclame le pouvoir en place ; les valeurs qu’exprime l’emblème doivent être aisément identifiables.
Cette dernière fonction exprime ainsi une caractéristique essentielle d'un symbole : être la représentation concrète de valeurs abstraites. Ainsi, concernant plus particulièrement les symboles républicains, les différentes périodes historiques durant lesquelles les symboles de la République
ont été supprimés, puis rétablis, ont démontré que ces symboles sont intrinsèquement associés aux valeurs républicaines. En outre, les différentes réaffirmations des symboles, et donc, des valeurs de
la République française au cours de l'histoire, ont montré qu'ils étaient chers à l'esprit des citoyens,
qui ont ainsi ressenti le besoin les défendre, de les valoriser. Indispensables conditions au vivre ensemble, ce sont des références sur lesquelles la République a bâti son identité. Si le programme du nouvel Enseignement moral et civique donne la liste suivante des valeurs de la République :
« Ces valeurs sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la solidarité, l’esprit de justice, le respect et l’absence de toutes formes de discriminations. », trois de ces valeurs en particulier s'avèrent clairement identifiables au travers des symboles républicains : la liberté, l'égalité, et la fraternité, mentionnées dans la devise républicaine.
En effet, premier mot de cette devise, la liberté est l'une des valeurs fondamentales de la République française. Concernant sa définition, le dictionnaire le Robert distingue le sens étroit de la liberté « La liberté, c'est la situation de la personne qui n'est pas sous la dépendance absolue de quelqu'un » du sens large « état de celui qui ne subit aucune contrainte ». Dans son ouvrage « Les valeurs de la République », Françoise Martinetti distingue différentes acceptations que recouvre le mot liberté.
Ainsi, dans le langage philosophique et moral, la liberté se définit par « le caractère indéterminé de la volonté humaine ». Dans le langage économique, la liberté s'exprime dans les théories libérales caractérisées par la libre entreprise. Sur le plan politique et social, elle est la possibilité d'agir selon sa volonté, au sein d'une société organisée, et dans la limite des règles définies. Elle se confond alors avec le droit, qui énonce les pouvoirs que la loi reconnaît aux individus (liberté d'opinion, d'expression, syndicale, de religion …). Le texte fondateur à cet égard est la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789. En effet, l'article 1 (« Les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits ») clarifie la notion de liberté individuelle. La déclaration la définit également comme la capacité à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (article 4) et tout ce qui n'est pas défendu par la loi (article 5). Enfin, la liberté n'est pas réduite à une capacité d'action, puisqu’elle est étendue à la conscience religieuse (article 10) et intellectuelle (article 11).
Ensuite, l'égalité, constitue la seconde grande valeur de la devise républicaine. Dans « Les valeurs de la République », Françoise Martinetti distingue trois formes d'égalité. La première forme est l'égalité naturelle ou morale, définie par l'Encyclopédie de Diderot et de Jaucourt comme « celle qui est fondée sur la constitution de la nature humaine commune à tous les hommes qui naissent, croissent, subsistent et meurent de la même manière ». La seconde forme est l'égalité matérielle ou réelle, c'est à dire l'égalité de fait entre les personnes ayant les mêmes avantages naturels, les mêmes aptitudes, la même fortune, etc. Enfin, la troisième forme est l'égalité formelle ou extérieure, à savoir celle définie par le législateur (égalité devant la loi, civile, politique, ou encore sociale).
Comme la liberté, cette valeur a été officiellement proclamée par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789. En effet, l'article 1 affirme notamment l'égalité de droits, et l'article 6, l'égalité devant la loi. Ainsi, la République ne nie pas les différences quand elle affirme l'égalité entre tous les êtres humains : elle affirme qu'ils ont la même valeurs, les mêmes droits et les
mêmes devoirs.
Enfin, la fraternité est la troisième et dernière valeur évoquée dans la devise républicaine.
Étymologiquement, cette notion renvoie au lien de parenté entre frères et sœurs. Dans la devise, elle renvoie à une idée plus large : elle indique que l'on peut avoir avec d'autres individus les liens semblables à ceux qui existent entre les membres d'une même famille. C'est ainsi une fraternité universelle, qui condamne l'exclusion et valorise ce qui relie les êtres humains entre eux. D'après Françoise Martinetti, elle est fortement liée à celle de solidarité, définie dans le dictionnaire le Robert comme « la relation entre personnes ayant conscience d'une communauté d’intérêts qui entraîne, pour un élément du groupe, l'obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur
porter assistance. ». Si elle n’apparaît pas dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, elle est tout de même proclamée dans l'article 4 du préambule de la Constitution du 4 novembre 1848
« [la République] a pour principe la Liberté, l’Égalité, et la Fraternité .»
Carlita V.