Une année, j'avais quatorze ans, mon père n'avait pas pu avoir de congés payés pendant les vacances scolaires. Il avait demandé à son chef de faire des trains de nuit pour être disponible dans la journée . Des trains marchandises comme il disait, des trains du soir qui roulent dans ma mémoire.
Le matin, pendant que ma mère préparait ma sœur et mon frère, je guettais au balcon l'arrivée de la 4L bleue dans la rue collée à la poste Colbert, repérant les places de stationnement susceptibles de convenir à mon papa.
Quand la 4L apparaissait, je criais "il est là !" et on bouclait vite les sacs, parce que mon père avait en horreur qu'on pinaille.
Il ne dormait pas.
Sans transition de la puissante locomotive à la pimpante Mercedes.
Le nom de notre rafiot a quelque chose à voir avec le comte de Monte Cristo d'Alexandre Dumas, où il est question de la belle catalane Mercedes, du château d'if, et d'Edmond Dantes. Tout un programme de rêve....
Les galbes de Mercedes n'avaient rien à envier à ceux de ma maman, qui était la plus belle, ça va de soi. Mais gare à ceux qui mataient les galbes généreux de ma mère !!!! Ils se prenaient la foudre cataclysmique de mon père, si puissante que même Zeus en aurait pâli....
Jaloux de tout. Un point c'est tout.
"Prends garde à toi, c'est mon andalouse à moi !!!"
C'était ainsi et pas autrement.
Y avait pas d'arrangement.
Et ma mère ne la menait pas large, pétrifiée qu'elle était du courroux de son époux....
Mais la tribu des copains de la pane savait vivre, et il n'y avait pas d'embrouille.
"Fille, jette l'ancre !!"
"Oui papa"
"Fille, envoie le grapin sur les rochers !!"
"Oui papa"
Tous arrivés à la calanque, et amarrés les uns aux autres.
Barquette contre barquette, à la bonne Franquette.
Plouf direct, le premier à l'eau avait gagné...
Bon, c'est pas tout mais il fallait faire les oursins avec ma copine Marie-Pierre, la fille de Francky l'italien.
Vieux sac en toile, fourchette, masque tuba, palmes.
Repérer les bons, "souter", et en apnée en décrocher le plus possible. Puis les mettre dans le sac sans se piquer.
Remonter, respirer.
Et recommencer.
Le repas était assuré.
Repas pris à l'abri du soleil, sous la bâche en toile.
Et ensuite mon frère chantait. Et tout le monde applaudissait.
Il était très beau, et dans la calanque on l'appelait Ringo
Il chantait très bien, il avait cinq ans
C'était un enchantement....
A demain si vous le voulez bien...
Carlita V.
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