Non, elle n'en avait pas.
Quand la police lui demandait : "vous avez des bleus ?", elle était confuse parce qu'elle n'avait aucun signe extérieur de coups et de souffrance à montrer.
Ses vertèbres en lambeaux depuis des années ne se voyaient qu'à l'IRM, mais pas au commissariat. Elle était invalide depuis longtemps à cause de ces fichues vertèbres. Elle avait porté trop de poids pendant trop de temps, Emma. Elle le payait cher.
Ses extrasystoles, qu'elle appelait "extra sex pistols" étaient neutralisées grâce à un truc qui bloque les bêtas. Dans le milieu scientifique, ils disent bêta bloquant.
Emma, dans son corps, avait des petites cellules qu'on appelle "lymphocytes" qui étaient très nombreux, trop nombreux. Les spécialistes lui avaient diagnostiqué un truc pas sympa qui se soigne pas, ou alors par de la chimie qui bousille tout.
Les lymphocytes trop nombreux, ça se voit grâce au bilan sanguin, mais pas au commissariat, pas sur le visage. L'entourage ne les voit pas non plus. Les médecins lui avaient dit : "évitez le stress", alors Emma faisait son possible pour prendre du bon temps, vaille que vaille.
Elle y arrivait grâce à une particularité qu'on appelle la "dissociation", un outil utilisé par les cerveaux qui n'ont pas envie de crever.
C'est compliqué, la dissociation, mais parfois c'est utile. Le cerveau est aux commandes, c'est lui qui décide ce qu'il oublie et ce qu'il n'oublie pas. Il zappe comme bon lui semble, il pardonne, il fait le tri.
Celui d'Emma, pour faire son travail de tri quotidien, exigeait de la musique en grande quantité. Mais attention, pas n'importe laquelle. C'était un cerveau exigeant, voyez vous ...... Pour la musique du moins, car pour le reste il naviguait à vue et s'accommodait de ce qu'il lui était autorisé , essayant de garder le cap malgré les tempêtes, protégeant les plus fragiles des vagues-submersions.
Elle était faite de ce bois qui plie mais ne rompt pas, tel le roseau ou le bambou. Cela intrigue les curieux, qui le plient et le plient encore pour tester sa résistance, et être spectateur au moment de la cassure et du naufrage.
Les gens disaient "elle va bien, Emma, elle supporte les tempêtes sans couler. Elle prend un peu l'eau mais elle écope comme un bon matelot".
Emma avait appris très jeune à écoper, elle avait l'habitude. Elle enlevait le payol et retirait le plus d'eau possible, sinon ça croupit et ça pue. Quand elle jetait l'eau par dessus bord, certains criaient au scandale, à la pollution diplomatique, au non respect de l'éthique du silence bien pensant.
Alors Emma n'était pas aimée.
Il restait toujours un peu d'eau en fond de cale, qui se transformait en lymphocytes, allez savoir pourquoi....c'est certainement une histoire d'immunité et de défense contre la puanteur des non-dits qui croupissent.
Un jour peut-être il y aura trop de lymphocytes, qui tueront les plaquettes, et ce jour là Emma Tome sera toute bleue.
Et les flics auront l'air con avec leurs questions minables.
Mais Emma s'en fout.
Elle est libre.
Même Max en est jaloux.
C'est dire......