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Billet de blog 31 mars 2022

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La valse à 104 ans de ma grand-mère

Si un jour tu ne sais pas où tu vas, rappelles toi d'où tu viens. A ma mamie 20 septembre 1909- 1er avril 2014. Texte écrit le 2 avril 2014.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au premier temps de la valse, Mamie arrive en France à cinq ans .

Bonne écolière et très tenace, son français est acquis en trois mouvements .

Les maths lui paraissent une évidence, une ritournelle, un jeu d'enfants .

Mais en ces temps lointains et précaires 

Révolus depuis bien longtemps 

Fille d'émigré, elle n'eut pas droit aux études secondaires

Dommage, elle avait du talent .

Au deuxième temps de la valse 

C'est l'usine qui lui ouvre ses bras .

Une usine qui fait des chaussures 

En cadence ; un deux trois , un deux trois .

Et Mamie qui bat la mesure 

Tous les soirs compte ses sous gagnés 

Et fait encore plus de chaussures 

Pour s'assurer sa liberté .

Au troisième temps de la valse 

Elle rencontre Albert , beau garçon 

Mariage , dentelles , piles de draps 

Et un fils , Jean , mon papa .

Mais sans salaire , pas de liberté 

Alors , à vélo , Mamie repart travailler .

Faut dire que les chaussures à l'époque 

C'était de l'art , c'était pas du toc .

Faut dire que son mari , un peu frondeur , fort caractère 

Voyait les choses à sa manière 

Et Mamie , pourtant pas bien grande 

N'aimait pas trop qu'on la commande .

Premier divorce pendant la guerre 

Ça n'a pas dû être une mince affaire .

Au quatrième temps de la valse 

Un Camille croise son chemin .

Beau yeux bleus , belle allure , la classe 

Deuxième mariage , deuxième refrain .

Et Mamie qui coud des chaussures 

En cadence ; un deux trois , un deux trois 

Voit son Camille qui carbure 

Au vin blanc , ou plutôt rouge , je crois .

Dignement , elle reprend sa liberté 

Qu'elle cultive comme une perle rare 

Et le Camille , vite fait , bien fait 

Est contraint de larguer les amarres .

Au cinquième temps de la valse 

Sonne enfin l'heure du repos 

Alors la voilà qui jardine 

Plantant fèves et haricots 

Tomates , petits pois , radis 

Aidée par son nouveau mari 

Un René venu de Bretagne

Qui lui a promis le paradis 

Croyant avoir trouvé Caucagne 

Chez cette dame dégourdie .

Hélas encore , malgré leur âge 

Il ne fera qu'un court passage 

Elle le giclera aussi

Il était bête, bien fait pour lui.

Et sur le tempo de la valse 

Mamie compte ses petits enfants .

Un , deux , trois …

Il faut qu'elle fasse

Ce qu'il faut pour vivre longtemps :

Économie , vie sobre et saine 

Et une volonté d'acier .

Malgré les décès et les peines 

Elle a tenu, elle a duré 

Si longtemps , qu'on croyait à peine 

Qu'elle puisse un jour nous quitter 

Mais le temps qu'elle a consacré 

À nous parler  nous sermonner  ou nous guider 

Jusqu'à presque son tout dernier jour 

Est gravé en nous pour toujours .

Tu sais , Mamie 

Les très vieux ne meurent pas .

Ils s'endorment un jour 

Et dorment très longtemps .

Dors bien mamie, je pense à toi.

Carlita V.

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