- Je suis effondré s'exclame Félix en entrant dans la chambre d'Ondine en coup de vent, sans frapper, comme d'habitude. Tu sais ce qu'ils ont infligé comme devoir à Rémi ? Le commentaire d' un blason ! Des dinosaures...ces profffs
- Humm ? quoi ? rétorque Ondine avant de maugréer « Ici, c'est pas un moulin, le respect, tu sais ce que c'est ? » vaincue d'avance par le sans-gêne de son frère.
- Écoute : « Que cette maison demeure ….jusqu'à ce que la fourmi ait bu les flots des mers ….et que la tortue ait fait le tour de la terre » récite-t-il en ignorant son reproche. En latin « Stet Domus haec fluctus donec formica ...Pfff !, une langue morte, comment veux-tu que ça l'intéresse le pauvre Rémi, hein ? » rajoute-t-il
- Oui, oh, c'est banal, non ? soupire Ondine en levant le nez de son écran.
- C'est d'un « has been »...il m'a demandé de l'aider, tu nous aides?
- Tu me déranges...grommelle ondine, je regarde les infos. Il préfère jouer à la Wii bien sûr sourit-elle malicieusement.
Ondine n'est pas disponible, elle ressent des émotions mêlées. Son ordinateur la plonge dans dix fois, cent fois, celles d'une époque éloignée. Elle avait quatre ans, les mots de sa maîtresse avaient alors suffi à l'émouvoir profondément, à lui faire imaginer les scènes de détresse qu'aujourd'hui l'écran lui montre crûment. Mademoiselle Cazenave avait dit qu'ils avaient besoin de tout. Avec des mots choisis pour leur jeune âge, cette excellente pédagogue leur avait fait comprendre l'essentiel de la catastrophe « ils ont besoin de couvertures» « on va tous les aider à faire face à cette inondation » « les maisons sont envahies d'eau » « oui, les enfants, les vieux, les chats, les chiens, les poules doivent être mis à l'abri » « on fait une collecte ». Ondine avait alors cassé sa tire-lire pour eux . Elle avait insisté pour donner à l'enseignante son maigre pécule, ses piécettes. Aujourd'hui elle se souvenait du ressenti des échanges entre sa mère et cette dernière et comprenait mieux leur regard complice et ému devant son geste.
Des visions de fin du monde avaient hanté nombre des ses nuits et voilà qu'aujourd'hui, quelques décennies plus tard, le cauchemar recommençait.
- L'eau c'est la vie ...pourquoi devient-t-elle parfois ennemie ? demande Ondine à son frère sans vraiment attendre de réponse. Le dérèglement climatique... les experts du GIEC alertent depuis des années pourtant...se lamente-t-elle.
- Tu sais combien les idées nouvelles ont du mal à briser les habitudes rétorque-t-il avec résignation.Sept millions de visiteurs à l' Expo de Saragosse en 2008, ça a très certainement eu des
conséquences... Beaucoup de gens s'occupent de cette question. On a du mal à le mesurer, c'est tout. C'est compliqué tout ça...
- Ils font des réunions, des réunions et encore des réunions, et aboutissent au droit d'acheter le droit de polluer !! la montagne n'accouche pas d'une souris, elle accouche d'un monstre...il faut d'autres idées martèle Ondine, butée.
- Eh bien, proposes, vas-y, toi qui sait qui mieux que tout le monde ce qu'il faut faire !! rétorque, excédé, Félix qui sent revenir l'une de ces discussions qui ébranle leur complicité.
Ce n'est pas la première fois qu'ils se heurtent ainsi depuis que le tsunami les a bouleversés. Jordi, un ami de la famille, n'était pas revenu de ce qui devait être un séjour paradisiaque outre-mer. Depuis, Félix a adopté une posture fataliste, parle de catastrophe naturelle, mais ces visages hagards à l'écran leur rappellent à tous deux celui de Jordi, emporté à quarante ans dans les flots.
- Avec un futur pareil, je ne veux pas d'enfant sanglote Ondine.
Emu, Félix se rapproche, appuie sur le doigt d'Ondine et d'autorité change de site. L'horreur ça suffit dit-il avec fermeté. « Casse pas la tête la plie y farine, soleil va revenir » mime-t-il en faisant des grimaces pour rappeler à Ondine les heures joyeuses de leur séjour à la Réunion.
- Tu as raison Félix, concède Ondine, « Après la pluie, le beau temps ». Elle passe nerveusement les mains sur ses yeux et remercie Félix du regard. Elle lui sait gré de lui changer les idées. « Je vais chercher une photo de mode qui m'a plu tout à l'heure. Une femme a mis au point une seconde peau verte...sais plus où... »murmure t elle concentrée sur l'écran.
Sa main frôle le pavé, caresse quelques touches du clavier, elle multiplie les requêtes mais elle est triste, amère et se perd dans des images de sirènes en mode aguicheuse. Un sentiment sourd, puissant, la submerge. Son visage a ce petit air déterminé que Félix connaît bien. « On va y passer la nuit » songe-t-il.
- Jem' fais un mémo,... cette idée... il y a quelque chose, insiste-t-elle les yeux brillants. Une seconde peau pour conquérir les déserts, voilà, c'est ça Félix, je sens que quelque chose pourrait se faire...
- Je crois que que nous ferions bien de dormir, il est deux heures du mat' baille son frère avec ostentation, dépité par cette nouvelle énigme.
Quelques heures plus tard, on entend un bruit de douche et une voix aigüe
- Ondiii...ne ! J'ai eu Sophiiiie sur msn … c'est une israéliennn !! hurle Félix
- Quoi une israélienne... marmonne Ondine encore toute endormie
Félix la rejoint dans la cuisine en se séchant vigoureusement les cheveux.
- Une autre peau, ce serait géééééant, Ondine !! une peau en eau de plus, hummmm interroge Félix du regard. Tu sais beaucoup de réseaux se créent pour trouver des solutions durables à ce problème de dérèglement...Hamid m'a parlé de 350.org... on mange ensemble ce midi au Mac'do...viens avec nous propose Félix.
A ces mots, Ondine se réveille tout à fait. Elle se souvient de la robe innovante et de son idée de la veille.
- Hamid, celui qui revient de Sibérie ? Ton pote d'Erasmus à Séville ? Le « méca. des fluides ? »
- Oui, oui,...il est revenu depuis une semaine, mais on n'a pas eu le temps de se voir.
- Dommage... depuis que j'y ai travaillé, dit Ondine avec une mine dégoûtée, je stresse à l'idée d'y poser un orteil !!
- On s' mettra dehors, tu n' verras que l' vigile argumente Félix en s'esclaffant.
- Le lac Baïkal, c'est trop …invite le ici à manger avec Julie, trop longtemps qu'on ne les a vus. insiste Ondine. Ce sera vite prêt, je m'en charge ! ajoute-t-elle pour emporter leur décision.
Sur la terrasse ensoleillée de la maison, deux heures plus tard, quatre sourires se retrouvent avec une joie de vivre et un bonheur évidents. La conversation s'anime, s'enflamme, les trois amis se passionnent au récit des aventures et mésaventures de Hamid. Sa manière de parler de ses amis russes avec force compliments fait plaisir à entendre. On sent que des amitiés fortes se sont nouées autour de ce projet d'étude et de défense du lac Baïkal.
- Sophie dit que c'est une israélienne se rappelle Félix lorsque le brouhaha s' est un peu apaisé. Elle parle de seconde peau dit-il en se touchant les avant-bras avec les mains, puis le corps et les cuisses dans une caricature de sensualité.
- Comme les scaphandriers ? interroge Julie qui n'a pas saisi l'allusion érotique.
- Non, en fait, elle fabrique des robes pour aller dans l'espace redevient sérieux Félix. Ce n'est pas une robe classique, c'est un truc futuriste ...je crois qu'elle utilise de l'eau pour sa fabrication …
- De l'eau, vraiment ? s'étonne Hamid, t'es sûr ? T'as vérifié ?
Julie l'interrompt brutalement en brandissant sa tablette. Elle se lève et danse autour d'eux, hors de portée en glapissant « J'ai trouvé, j'ai trouvé, elle habite aux US !! »
- Montre, c'est qui ? arrête tes bêtises reproche Hamid en lui courant après.
- Je dis rien si tu m'emmènes pas avec toi à Budapest tente Julie, espiègle.
- Ah, non ! J'y crois pas... rugit Hamid qui se rassoie brusquement. J'ai besoin de paix pour travailler moi, pas de voyager avec une puce survoltée!!
- Du calme, vous deux ! coupe Ondine, j'appelle Sophie ...Elle joint le geste à la parole et rajuste l' oreillette de son portable.
- Dis Sophie, la robe futuriste, tu peux m'expliquer ? Félix en rajoute...tu sais comment il est !
-...
- Ouiii
-...
- Ouiiii , dans l'espace
-...
- Nori ?
-...
- Epèle...N. E. R. I., OK, Neri Oxman, avec deux n ? non... bon OK
- Mets l'son, réclame Félix, partaaaage ...t'es pas cool
- Regardez, elle m'a envoyé un mms ! c'est gé ni al Félix, tu es mon amour de petit frère a do ré, roucoule Ondine, visiblement aux anges. La robe est créée avec une 3D, une imprimante 3D sourit-elle en écarquillant les yeux. Elle est faite d'algues... et de bactéries, voilà pourquoi elle est verte !! explique-t-elle aux trois têtes penchées sur le téléphone. Ce sont elles qui alimenteront les femmes en eau et en oxygène dans l'espace!
- Parce que c'est réservé aux femmes cette histoire ? s'insurge Hamid, ça m'intéresse moi pour les déserts cette double peau !
A ces mots, Ondine regarde fixement leur ami.
- Tu penses, toi aussi,... que les véritables espaces à conquérir dans le futur, ce sont les déserts ? tous les déserts ? énonce-t-elle, émue, rougissante. J' savais bien... s'interrompt elle.
- Merci Sophie, tu es un arc-en-ciel ! termine Ondine en interrompant leur dialogue et continuant de regarder Hamid.
- Oui, les déserts gagnent du terrain aujourd'hui sur la planète,...pour les repousser, il faudrait soit les transformer eux, soit nous transformer, nous les humains, pour pouvoir y habiter. L'espace avec un grand E est un luxe pour les milliardaires. Ils n'ont pas d' autre imagination que leur capacité de cash. Nous, nous avons les pieds et le cœur sur terre ; cette idée de seconde peau conviendrait pour les déserts chauds à mon avis...si vous pouvez m'en dire plus, je suis preneur...
- La Hongrie..., c'est raté pour moi alors ? plaide Julie qui se rassied, avec une mimique faussement désespérée.
- Oh toi, c'est probable ! dit Hamid avec un léger recul, puis se tournant, songeur, vers Ondine. Remarque, j'y pense, on pourrait imaginer un voyage vers Budapest ...tous en train...ajoute-t-il, mystérieux.
- Quoi? En trrrainnn?! s'étrangle Félix, ça va pas, non ! t'as vu les tarifs des vols en low-cost ? le train est beaucoup plus cher...
- Ham' c'est un peu comme Stevenson et son âne !! il a quelques siècles de retard susurre Julie, penchée sur Félix.
- Les tarifs ? oui, c'est cela dont elle est malade la planète, elle en crève des tarifs, la terre-mère. Il paraît qu'enfin certains financiers réalisent que ça peut les atteindre le dérèglement climatique ! Personnellement, j'aime pas les voyages à odeur de kérosène, je voyage en train...ou en bus quand il n'y en a pas, ou en yak s'il le faut...j'aime lire dans les trains, dans tous ces temps que l'on dit morts et qui sont de fécondes respirations...si vous voulez venir avec moi, faudra vous adapter à mes méthodes. Je sais qu'en France les voyages de nuit, c'est plus difficile qu'avant, mais ce n'est pas pareil dans tous les pays ! J'aime prendre le temps de la réflexion, de la rencontre, atterrir en douceur sur l'objectif, sans avoir décollé...explique Hamid, le visage serein, tandis que sa main ondoie et mime un atterrissage imaginaire.
- Il me saoule, quand tu le branches sur ce sujet, il n'arrête plus ! taquine Julie, en roulant des yeux
- Une peau en algues, ce doit être doux... soupire Ondine, je veux bien me transformer, moi, apprendre un jour à me désaltérer ou vivre autrement...c'est une méga-idée cette robe, non ?
- Ce qui est génial, ce sont les imprimantes 3D !! des débouchés, va y en avoir par centaines... intervient son frère. Ils viennent même d'implanter un crâne créé en 3D...on va construire une voiture avec pour la prochaine course sur le lac salé aux US ! Sa robe, à Neri Oxman, c'est comme si c'était fait !!
Chacun parle, porté par son propre enthousiasme, sans trop écouter ce que dit son voisin. Ondine est rayonnante. Elle se lève, inspirée :
- On va leur faire le coup à ces milliardaires, tous ensemble, on va leur faire le coup des vases com mu ni cants assène-t-elle avec un simulacre de coup de poing sur un punching-ball imaginaire. Avec ce système, on videra les mégapoles et on repeuplera les déserts, on rééquilibrera Tout Ça, fait-elle avec un geste large embrassant l'horizon. On élèvera nos enfants avec l'essentiel...
- Je croyais que tu ne.... commence Félix, qui s'interrompt, prenant soudain conscience d'un changement chez sa sœur, d'un espoir jamais exprimé. J'ai lu dans la revue « Effervesciences » que Rousseau mettait déjà en cause l'existence des villes au moment de la catastrophe de Lisbonne....c'était en 1755 !! Depuis lors, les villes sont devenues des méga-méga-poles, hum ? Ondine, Hamid,... dit-il doucement, vous avez du pain sur la planche !
- A l'époque, y avait pas internet pour se mobiliser. tranche Ondine. Tu connais le numéro spécial sur l'eau de Passerelle-eco, Hamid, je l ai repere sur leur site ? Au fait, dis-moi...
- Oui ?
- Serais-tu d'accord pour que Sophie vienne avec nous ? questionne Ondine, visiblement partante pour une aventure collective.
- Pourquoi pas, on ne sera pas de trop de quatre pour canaliser Julie répond celui-ci, lui aussi gagné par cet instant magique.
- Ondine, tu es souvent pénible avec tes « zistoir'd'o », mais tu as parfois de bonnes idées, tit' sœur ! se réjouit Félix.
- Super ! on écrira un court-métrage dans le train ! exulte Julie, en embrassant son frère avec fougue.
- C'est ça, Julie …et tu seras mon NÂNE s'amuse enfin Hamid que l'aparté de sa sœur avait froissé.
- Si on habite...en tous lieux...des oasis...on n'aura plus de ghettos, plus de bidonvilles, peut-être moins de souffrance...rêve tout haut Ondine, affichant un air épanoui.
- Des oasis en tous lieux ? tu connais Rabhi ? s'étonne Hamid, encore plus attentif.
- Oui, bien sûr, depuis qu'il s'est présenté aux élections, les idées de cet homme me touchent explique Ondine. Il a une sorte de spiritualité ...concrète...dit-elle en cherchant le mot juste. Tu l'as entendu en conférence, Hamid ?
- J'ai lu nombre de ses livres, mais je n'ai pas eu cette chance, se désole Hamid.
- Zavez vu « Au nom de la terre »? interroge Julie. soudain plus calme. « La Louise » nous y a traînés. On s'est dit encore un truc où elle se fait plaisir « la lou », mais non, c'est fort sa vie à cet agriculteur..., ils ont vécu dix ans sans électricité au début, lui et sa famille !! rajoute-t-elle, admirative.
- Je n'ai pas eu le temps...répond Ondine, on peut aller le voir avant Budapest, hein Hamid, tu veux bien? Tu viens aussi Félix ? Ce Pierre nous vient du désert, je suis sûre qu'il nous offrira d'autres perspectives encore, c'est un vrai Colibri lui !!
- Un co... quoi ? grimace Julie, avec un point d'interrogation dans chaque œil.
- Un co li bri , on t'expliquera dans le train conclut Hamid, en vidant son verre tout en consultant ses sms. C'est un mouvement antérieur à 350 mais un peu du même style...
- Dis, Ondine, ce prénom ….sais tu d'où tes parents l'ont sorti ? T'assumes ? C'est un peu ... monologue Julie.
- Humm, ma grand-mère est une femme de théatre. Dans sa jeunesse, elle était amoureuse de l'acteur Louis Jouvet, celui qui incarne le chevalier dans Ondine, la pièce de Giraudoux. C'est l'retour du refoulé, tu vois le résultat : c'est moi.... se renfrogne cette dernière que des allusions , même gentilles, à son prénom crispent parfois.
- Te fâches pas Ondine ...dit Julie avec un regret dans la voix.
- Pas d'prise de têt' Juliiiie ! coupe Félix, ma sœur réagit souvent à fleur de peau !! La vérité, c'est que la thèse de notre mère portait sur un roman allemand imbuvable dont s'est inspiré Giraudoux…...ça a laissé des traces...
- OK, ooo...quèè...c'est pas important...soupire Julie en haussant les épaules.
- Je pens' pas comme toi, Julie. Patrick Burensteinas dit que le prénom est une musique qui programme celui qui le porte. C'est un alchimiste ...commence à expliquer Ondine
- Pour Ondine ça semble vrai ! coupe Félix posément. Elle a une histoire forte avec l'eau...tu pourrais t'en inspirer pour ton court Julie.... Rigolard, il ajoute : « Imagine que tu te soies appelée Cunégonde, humm Ondine ?!!! »
- Dis Hamid, c'est quoi 350 ? louvoie Ondine devant les visages hilares de ses amis.
- Regarde sur 350.org....Zuuut !! J'ai zappé mon rendez-vous au labo !! On s' appelle!! J'étais trop bien avec vous !! dit-il en éclatant d'un rire joyeux. Hamid se lève et coupe court en embrassant tout le monde du bout des doigts.
Il s'éloigne rapidement, tandis que Félix lui crie « Oh, tu peux dire lanceuse d'alerte, oui ! » Il rajoute en s'adressant à Julie : figure-toi que même pour sa fête, le 10 novembre, Ondine s'est fait offrir le Dictionnaire de la Pluie ! Une obsession pareille, je sais pas comment ça se soigne …
- Elle pourrait changer de prénom... si son alchimiste dit vrai suggère Julie qui enchaîne « Il s'est encore trouvé un lac comme mission Hamid, ce coup-ci c'est l'balafon, c'est pour ça qu'il va en Hongrie.
- Pas le balafon Julie, le Ba la TON la reprend Ondine.
- C'est ta musique qui l'influence, tu es une al chi mist' petite sœur !! s'attendrit Félix. Les alchimistes essayaient de transformer le plomb en or, toi tu veux couvrir la planète d'un maillage d' oasis.
- Neri a un joli prénom...On va à la Médiathèque regarder les vidéos qui la concernent ? propose Ondine d'un ton guilleret. ... jem'demande ce qu'elle a inventé d'autre !
- Pas moi, je vois Sophie, je vais lui parler du Balaton, tout ça...élude Félix.
- J'vais avec toaaaa Ondine ! s'empresse Julie.
- Pas le temps de t'aider Félix, pour Rémi... conclue Ondine en remarquant son froncement de sourcil interrogateur. En écrivant cette phrase du blason, ces gens n'imaginaient pas qu'un jour une tortue devrait être protégée, que tant d'animaux auraient disparu....et que nous serions aussi effrayés par les évènements climatiques que les hommes de Cromagnon!
Les jeunes femmes s'éloignent en bavardant avec animation. Leurs voix se répondent, s'enroulent, jusqu'à ne plus faire qu'un bruit diffus au coin de la rue. Félix les regarde, pensif. « Neri Oxman, tu es magique, Ondine est heureuse... et nous aussi »
Il se dirige à son tour vers son lieu de rendez-vous avec Sophie, la piscine. Félix se précipite dans les vestiaires pour en sortir peu après. Depuis toujours champion en temps de déshabillage-rhabillage, il marche ensuite avec prudence sur le carrelage glissant. Il finit par distinguer la silhouette gracile de Sophie dans l'eau, observe et savoure l'harmonie qui se dégage de ses mouvements. Depuis que Jordi a disparu, sa manière à elle de surmonter le chagrin a été d'intensifier ses entraînements de natation avec les Dauphins, le petit club local. Le résultat est là : force, souplesse, grâce sont au rendez-vous. Sophie se hisse avec légèreté sur le rebord et tourne la tête en entendant Félix s'adresser à elle :
- T'as encore fait des progrès Sophie, t'es championne !! surjoue Félix, content de la retrouver. Tu sais, Ondine est méconnaissable, l'histoire de cette Neri la fascine !! elle a même parlé d'avoir un enfant !! tu te rends compte ?!!! confie-t-il, heureux de s'imaginer en tonton gâteau.
- Humm, comprends pas... c'est fait pour l'espace sa robe !! enfin, c'est le résultat qui compte, non ? sourit Sophie, en s'essuyant le visage, dubitative. J'vois pas ce qu'elle est encor' allée chercher notre Ondine, là...Pendant des mois, elle nous a parlé des Karajas, le peuple amérindien dont toute la mythologie tourne autour de l'eau, ça a ensuite été cet « hollandais flottant » qui construit des maisons sur l'eau, ...on va avoir droit maintenant à des délires sur cette robe...rajoute-elle amusée, consentant à l'avance aux envolées lyriques d'Ondine. Elle a pourtant raison de s'intéresser aux algues, tu sais, rajoute-t-elle. Trois étudiants en design ont mis au point Ooho, une bouteille d'eau composée d'algues et de chlorure de calcium... et tu sais quoi ?
- Ben, non, explique au lieu de faire traîner....l'encourage Félix.
- Cette bouteille se mange ! On boit l'eau ...et il n'y a pas de déchet... ni en plastique ni en verre, ni en rien du tout !!
- …
- Ah ! Ah ! Ah ! Oh Oh Oh Ooho ça te suffoque, humm ? s' amuse Sophie.
- C'est une trèèèès bonne nouvelle concède Félix, cette bouteille qui se mange, c'est un grand bond en avant. Enfin des gens qui prennent le problème à la base !!...plutôt que de recycler des déchets, ne pas les produire...ça éviterait une partie du problème des continents de plastiques qui s'accumulent dans les océans. On avait pensé que tu pourrais venir avec nous à Budapest, mais maintenant, j'en suis sûr enchaîne Félix avec animation. Tu ne connais pas Hamid, je crois, mon pote qui fait des missions aux quatre coins de l' Europe. Il est d'accord pour nous servir de guide pour un voyage à Budapest et au Balaton ! Tu te rends compte !!?? Il est à fond dans l'écologie puriste et tout mais ce n'est pas un rêveur... ni un amateur. Bon , assez parlé ! dit-il en s'élançant dans l'eau. Je te parie une entrée au ciné que j'suis plus rapide que toi!
Une demi-heure plus tard, Sophie lui a amplement démontré que son entraînement est efficace et Félix crie grâce en riant «T'as gagné, je te laisse même choisir le film!»
Peu après, les deux amis se rejoignent dans le hall, complices, enchantés de leur joute acharnée.
- Budapest, t'as dit tout à l'heure? Tu savais que ma grand-mère était hongroise? questionne Sophie.
- Euh... nooon... hongroise, depuis quand? dit Félix qui se souvient d'une chaleureuse vieille dame avec un fort accent marseillais.
- Tu la connais pas, ma mère a rompu avec....Moi non plus , j'la connais pas. Elodie, celle que tu connais, c'est la mère de mon père.
- Rompu ?!!
- Oui, j'connais mêm' pas son prénom à la mère de ma mère!! j'aimerais bien voir son pays...dit Sophie avec un voile dans la voix. Quand est-ce que vous partez? J'ai besoin de connaître toutes les conditions pour te donner une réponse. A priori, ça peut m'intéresser.
- Je te dirai...une occase com'ça, faut pas la louper. mais j'te préviens, Hamid est plutôt du style chef de meute, hein, il nous faudra tous en tenir compte...précise Félix, en posant délicatement son doigt sur le nez de Sophie.
Cette dernière répond en hochant les épaules avec insouciance, toute à sa recherche des horaires de films sur son téléphone.
- Dans un quart d'heure...«Vincent n'a pas d'écailles». Un peu de fantastique, ça me plaît! On s'dépech'!! décide-t-elle avec sa vivacité coutumière. Viens, monte l'invite-elle en lui tendant son casque de moto.
- Avec plaisir Sophie, ça m'a fait du bien de nager, j'ai une overdose d'Ondine!! Ces derniers jours elle a ressassé tous les crimes climatiques...et le Bengladesh... et les Maldives... et Vanuatu...et tout le reste ….approuve Félix, soulagé. Si je l'écoutais, on ne parlerait que de sécurité hydrique com'ils disent! J'y pense...en réfléchissant, on pourrait organiser la récupération de l'eau de pluie autrement qu'avec des barrages, non?! dit-il en enfourchant la moto et en ajustant son corps à celui de sa partenaire.
- On y va!! shusss!! ne remplace pas Ondine! croit-il entendre malgré le bruit de la moto.
- Eééh, on n'est pas au skiiii, ralentiiiis, j'aime pas rouler trooop viiite ! crie-t-il, se rappelant une chute douloureuse sur le bitume.
Sophie ralentit un peu pour la forme, puis accélère tout d'un coup en se moquant de lui.
« Jem' demande si c'est un bon plan d'aller à Buda avec elle » pense alors Félix, soudain soucieux pour la réussite de leur projet. « Je vais creuser cette idée d'imprimante 3D pour les réservoirs d'eau... par quartier ou par toiture... » se rassérène-t-il en s' agrippant.
Pendant ce temps, Ondine et Julie ont multiplié les petits bonheurs : passer du temps à visionner sur grand écran des vidéos sur les travaux de Neri Oxman, emprunter des dvd sur le Balaton et Budapest, boire un milkshake et surtout parler, parler, parler ensemble sans souci.
- Tu sais, Hamid m'étonne dit Julie abruptement. Il conjugue le passé ET le futur. Ce n'est pas parce que c'est mon frère, mais je crois qu'il va avoir une vie riche, très active et qu'il va être important.
- Tu crois? C'est bien possible, il est tellement optimiste et sûr de lui dit tristement Ondine.
- Qu'est-ce qui va pas Ondine? dit doucement Julie, attentive aux sentiments d'autrui.
- Oh, c'est que j'ai du mal à voir le côté plein de la bouteille comme on dit...confie Ondine, adoucie par la bienveillance de sa compagne.
- Mais non! tu es obsédée par l'eau, or l'eau, c'est le côté plein d' une bouteille, donc c'est toujours le côté plein que tu vois!! lui démontre Julie avec amitié.
Le visage d'Ondine s'éclaire. Julie est la première personne a lui faire cette démonstration pourtant toute simple. «Quelle belle journée» pense-t-elle, en ajoutant à voix haute:
- Ca me fait du bien de parler avec toi Julie...et avec Hamid aussi. Vous ne connaissiez pas Jordi, il n'y aura pas la lourdeur des non-dit ...Je suis contente qu'on aille tous ensemble en Hongrie. C'est bientôt ma fête, ce voyage va être un cadeau magnifique, mieux que le bâton de pluie que je voulais!! Faut organiser un peu tout ça maintenant : le budget, le temps qu'on peut y passer, qui fait quoi... toi tu peux t'occuper de quoi? s'anime-t-elle.
- On fait pot commun pour les dépenses...c'est plus facile à gérer commence à lister Julie.
- Bon, OK. La mode est au financement participatif... on pourrait peaufiner notre idée et faire appel à certaines de ces plate-formes pour compléter !! kisskissbankbank, la Nef, le Crédit Coopératif....continue Ondine en comptant une action par doigt.
- Le Crédit Coop? Mon oncle y travaille, je vais lui demander des tuyaux!! s'exclame Julie.
- Génial !! vous êtes une famille de solidaires on dirait …oui, chaque goutte d'eau compte, chacune de nos actions aussi crée le monde dans lequel nous vivons...commence Ondine. J'utilise des moteurs de recherche solidaires ou écolos pour surfer sur le net et toi? la questionne-t-elle.
- Bof, je me contente du moteur de wikipédia... lesquels utilises-tu ? s'enquiert Julie d'un ton léger, visiblement peu intéressée.
- Ecosia comme moteur écolo et Goodsearch pour l'humanitaire. Je ne connais que Technorati pour les blogs précise Ondine, consciente de l'éloignement soudain de Julie. Elle change de conversation.
-J'ai récupéré une photo sur le net...c'est le désert de Lancaster qui fleurit de coquelicots au printemps. Je vais la mettre en fond d'écran! C'est un beau symbole ... c'est aux USA ...Neri a dû étudier le phénomène je pense. Je vais essayer de trouver son mail, j'ai envie de devenir mannequin pour sa robe d'algues...t'en penses quoi Julie ? demande Ondine à sa jeune amie.
- Fonce, bien sûr! T'as rien à perdre, tout à gagner peut-être. dit celle-ci en riant.
- Oui qui sait, si je gagne des thunes, on n'aura peut-être plus besoin de faire appel aux généreux pour Buda...?!! s'enthousiasme Ondine. Bon je te laisse, je rentre!! lui dit-elle en l'embrassant chaleureusement.
A son retour, Ondine trouve un message, constellé de smileys goguenards, posé bien en évidence sur son ordinateur.
«Hamid demande ton numéro de téléphone, j'lui donne ?
:-(( ;-)))) °-o
le sien... 06 56 39 23 28
appelle, IL EST LIBRE!»
Félix a toujours multiplié les sous-entendus lorsqu'il s'est agi de sa vie amoureuse, comme s'il avait un droit de propriété fraternelle à cet égard.
Ondine empoche le message en soupirant, mais son œil brille d'une lueur nouvelle. Elle se sent en empathie avec Hamid depuis sa réflexion sur les déserts. «Je vais lui demander son opinion sur l'intérêt d'un mannequinat pour notre cause... réfléchit-t-elle, ce nouveau contact créé sur son portable. Après tout, on peut atteindre les mêmes objectifs par des voies différentes!!».
Depuis la remarque de Julie, elle se sent moins négative avec «son refrain écolo»comme l'a qualifié son père. Malgré les dizaines d'«amis» sur les réseaux sociaux avec lesquels elle multiplie les échanges, ceux-ci sont insuffisants. Elle souffre de sentir son proche entourage lui reprocher d'être une sorte de Cassandre. Ils la surnomment tantôt Rigoberta Menchu, la femme maya prix Nobel de la Paix dont ils trouvent le discours primaire, tantôt «La Hulotte» en référence au médiatique Nicolas, tantôt Wangari Maathai, du nom de l'africaine à l'origine de l'idée la «Ceinture verte», gigantesque projet de plantation d'arbres en Afrique.«Ils ne se rendent pas compte à quel point ils frôlent la solution pense-t-elle. A problème mondial, solution mondiale bien sûr....il faut un réseau des groupes qui construisent la réalité qu'on veut voir sur la planète, comme les Colibris ou des évènements Alternatiba dans tous les pays...faudra que je regarde 350.org....
Elle soulève l'écran de son ordinateur portable «Neri Oxman....voilà... elle figure bien sur LinkedIn, je m'en doutais...Va-t-elle me répondre? Elle doit être très sollicitée...» s'inquiète-t-elle, en lui postant un message court dans un anglais approximatif, mais aussi explicite que possible sur ses projets.
- Ah là là!! s'exclame-t-elle tout haut en lisant son courrier électronique.
- Tu parles toute seule ? s'entend-t-elle dire par une voix familière. Ou c'est avec Hamid? rajoute Félix en ouvrant la porte.
- Oh, t'es là ?...c'est Pékin....les chinois viennent de mettre en service le grand canal du Centre...onze ans de travail...1400 km de travaux pour amener l'eau du sud vers le nord !! le réalisateur français Antoine Boutet a fait un film...Je vais proposer à Hamid d'aller le voir...il est sorti fin janvier. Merci un million de fois de m'avoir proposé de le voir avec toi... dit Ondine d'un air enjoué. Julie aussi est cool, malgré les apparences .... Nous avons commencé à penser l'organisation pour Buda... et toi, quoi de neuf? dit-elle d'une traite.
- Content que tu sois heureuse avoue Félix avec emphase. C'était trèèès pénible de te voir ployer sous le poids des catastrophes. On avait beau essayer, papa et moi, de désamorcer tes idées fixes, tu y revenais tout le temps gémit-il. Tu sais, clown c'est trèèès fatigant si l'autre ne rit pas... maintenant c'est mieux dit-il d'un ton soulagé.
Ondine s'est approchée de son frère, étonnée. Elle sent qu'une vanne vient de s'ouvrir dans leur relation. Elle se sent tout d'un coup libérée d'un poids «Moi qui croyais que...» commence-t-elle, confuse.
- Tu pensais que je n'étais qu'un gros lourd insensible, hein? interroge Félix. J'avais juste un masque...comme tous ceux qui font semblant de ne pas souffrir...rajoute-t-il plus doucement. Aller avec Hamid au Balaton... c'est un miracle, le miracle de l'amitié....ça nous permettra de ne plus penser à Jordi...
- Pardon Félix ...hasarde Ondine en le prenant par le cou. Tu es vraiment, vraiment, mon amour de petit frère a do ré, soupire-t-elle, triste du temps perdu.
- Sophie donnera sa réponse quand le projet sera un peu plus précis laisse-t-il tomber, pudique, en se dégageant. Tiens, tu as un nouveau message...en anglais dit-il en lorgnant sur l'écran.
-Ah...en anglais, je le lirai plus tard...ces émotions... ces deux jours... c'est trop... je décroche un peu...viens, on rejoint les autres en bas, je les entends... petit frère a do ré suggère Ondine avec tendresse.
- Je viens Rigoberta... heu, je veux dire... petite sœur a do rée, s'amuse Félix à nouveau. Maman dis que tu es une écorchée vive...tu le savais? Une deuxième peau pour une écorchée, ce sera top, hein ?
Ils se dirigent tous deux vers l'escalier à pas rapides, et commencent à descendre, quand Ondine réalise soudain.
-Tu dis?...une deuxième peau?...attends, le message là... c'est peut-être Neri... Neri Oxman !!! dit Ondine en se précipitant sur son ordinateur. Ga gné!! Elle m'a répondu...j' y crois pas...voyons...elle dit qu'elle sera à Paris à la COP21 et que ...mon projet l'intéresse!! Yaououou!!! s'écrie Ondine en dansant une sarabande, en pleurant, en riant de ses larmes, rejointe par son frère tout heureux. «bbzzzzz...bbzzzzz» Le vibreur d' un portable se manifeste interrompant leurs cris.
- C'est Hamid...annonce Félix en mettant le haut parleur pour une conversation à trois.
Christine, leur mère, passe la tête dans l'encadrement de la porte.” Pourquoi tout ce bonheur?” s'enquiert-t-elle avec bonhomie.
- J'ai trouvé les coordonnées de Neri!!..dit une voix masculine dans le portable de son fils
- J'ai rendez vous avec elle! J'ai rendez vous avec elle! exulte Ondine en s'adressant au téléphone.
- C'est Hamid... informe Félix en désignant le portable.
- Neri Oxman, m'a répondu ! triomphe Ondine en s'adressant à tous.
- Ondine sait maintenant être positive explique Félix. Grâce à une robe du futur, une double peau...
- Je vois, commente Christine. Je viens de lire «Chaque jour , je me lève pour construire un monde meilleur» de Florence Montreynaud. C'est ta ligne de vie ma fille...murmure-t-elle en la prenant dans ses bras.
- Tu as réussi? se réjouit Hamid au bout du fil. Je savais que je pouvais compter sur toi pour notre voyage, Ondine...
- Quel voyage ? demande Christine, surprise.
- Le Balaton, maman, on y va bientôt avec Félix, Hamid, Sophie, Julie et moi. Mais d'abord Paris m'attend avec Neri Oxman, je veux devenir mannequin pour sa robe et elle est intéressée...
- Merci Hamid !! Merci des millions de fois !! Il faut toujours croire aux miracles maman, conclue Félix, un brin sentencieux.