"Bonjour Madame.
Je tiens tout d’abord à vous remercier de vous être rendue disponible dans le cadre de l’entretien RH.
Néanmoins, malgré l’intérêt certain de votre candidature, j’ai le regret de vous informer que vous n’avez pas été retenue.
Je tiens à vous assurer que cette décision ne remet en cause ni vos qualités personnelles, ni la qualité de votre profil, mais simplement qu'une autre candidature répondait davantage à notre demande.
Nous sommes sensibles à l'intérêt que vous avez porté à notre établissement et vous en remercions, et espérons que votre recherche aboutisse rapidement.
Veuillez agréer, Madame, l'expression de nos salutations distinguées.
Cordialement."
Une 10aine de candidatures par jour réparties à minima sur Angers, Nantes, Nancy, Reims, Strasbourg. Tous profils de poste confondus, dans les secteurs du commerce, de la grande distribution, et de l'entreprise. Moins de 5% de réponses. Moins de 0,00001% d'entretiens. Voilà à quoi ressemble le quotidien du "chômeur".
Marginalisation sociale et sociétale. Mésestime, isolement. Le "chômeur" n'a plus de qualités, plus d'habiletés, plus de compétences. Il devient un concentré de défauts à la personnalité douteuse.
Ça, c'est la réalité des demandeurs d’emploi de plus de 40 ans dans une société policée dont les contours doivent être lisses, où chacun doit s'inscrire dans la standardisation et la conformité d'un modèle unique et de bien-pensance.
Paraitre et ne pas être.
Cet état de fait ne touche pas que les personnes fragiles, les publics difficiles, déscolarisés ou désocialisés. D'anciens chefs d'entreprise, après avoir perdu jusqu'à leur honneur et leur dignité, se retrouve mis au banc d'une société pervertie et corrompue, jugés et méprisés par... des fonctionnaires.
Pas suffisamment d'expérience, trop d'expérience, pas assez diplômé(e), trop diplômé(e), mal diplômé(e), trop entreprenant(e), pas assez entreprenant(e), trop affirmé(e), pas assez affirmé(e), parcours pas assez conforme. Trop âgé(e)... ?
La vérité, c'est que celui à qui s'adresse ce message n'est jamais informé des motifs de son rejet. Parce que, à ce niveau de répétition, c'est bien de rejet dont il s'agit. Malgré la demande de feedback, le "chômeur" a toujours droit à ce même message récurent, après entretien ou pas, adressé par courrier ou par mail.
Vivre une remise en cause dans son identité devient inéluctable dans une telle spirale négative. Ce n'est qu'une question de temps. Chaque jour qui passe dégrade un peu plus la confiance en soi et l'estime de soi, jusqu'à conduire à une forme d'auto dénigrement permanent.
Plus de la même chose, produit plus du même effet.
"Qu'est-ce qu'ils ont, et que je n'ai pas. Parmi ces gens qui m'entourent, quel est celui ou celle qui sera retenu(e). Et pourquoi ? Ais-je trop de diplômes, pas assez, pas les bons ? Est-ce par ce que j'ai été à mon compte ? Est-ce parce que mon parcours est trop diversifié ? Me juge-t-on instable ? Suis-je trop souriante, trop spontanée ? Est-ce que mon manque d'assurance est visible ? Est-ce que je parais manquer de charisme ? Ais-je trop d'envergure pour ce poste ? Suis-je trop dans la relation ? Suis-je suffisamment dans l'affirmation ? Est-ce que j’apparais comme déstructurée (on le serait à moins), sans cap et sans lignes ?"
Les regards qui pèsent sur le "chômeur" deviennent difficile à soutenir, il les appréhende. S'installe alors comme une sorte de défiance avec ceux qui ont la chance d'avoir un emploi, et d'exister dans cette institution définie exclusivement par ses échelles de valeurs, ses castes, organisée autour de hiérarchies et de référencements arbitraires uniformes.
Dans ce monde dépersonnalisé et déshumanisé, nous n'avons d'existence que dans ce que nous sommes, au présent, jamais dans qui nous sommes.
Lentement, après avoir étudié, obtenu des diplômes, été salarié, parfois employeur, le "chômeur" est dénigré, méprisé, désavoué par son environnement et cette société qu'il a servi.
Il devient l'objet d'évaluations systématiques du travailleur salarié, arrogant, et si "convaincu" de sa supériorité. Peut-être pas si convaincu que ça.
Parce que le chômage fait peur, le "chômeur" fait peur.
Perdre une entreprise, sa maison, ses amis, ses relations, renoncer à ses projets. Licencier ses salariés, être menacé de prud'homme parce que les salaires sont versés en retard, vivre les huissiers, les avocats, les saisies, les ventes aus enchères, les procès avec les banques. Devenir un(e) "assisté(e)".
Quand on est une femme, qu'on a un parcours "différent", qu'on a 40 ans, qu'on est seule ; il faut le dire, ce n'est pas tous les jours facile. Et croyez bien que cela demande beaucoup d'énergie, de courage et dignité, de continuer à se lever chaque matin, de prendre soin de soi, de s'habiller et de se maquiller. Pour paraître aux yeux des autres.
Mais si il n'y a plus ça, alors que reste-t-il ?
Carla H