Hier lundi, un nouveau bâtiment de guerre américain a fait une entrée triomphale dans le port de Manhattan.
Baptisé USS New York, ce fleuron de la Navy, flanqué sur le pont de deux tours à la gémellité symbolique, a été accueilli avec une émotion vibrante notamment par les familles des victimes du 11 septembre.
En effet, la proue du navire intègre 7,5 tonnes d’acier provenant des décombres des Twin Towers.
La devise de ce fier vaisseau ? « Never forget »…
L’idée de transformer tout ou partie d’un vestige, symbole de douleur et de souffrance pour un peuple ou une communauté, en mémorial n’est pas nouvelle. Il y a un morceau du mur de Berlin dans le sanctuaire de Notre Dame à Fatima. Un autre reste du mur, l’East Side Gallery a été peint par 118 artistes venus du monde entier. L’un des miradors subsistant est transformé en « musée de l’art interdit ». A Hiroshima, l’hypocentre de l’explosion a été transformé en un vaste parc, baptisé « Parc de la Paix », abritant des monuments à la mémoire des victimes, où brille une flamme de la paix destinée à rester allumée tant que les armes nucléaires existeront.
La transformation est en psychologie une étape du deuil. La capacité à reconstruire sur les cendres d’un évènement tragique quelque chose de positif et de porteur d’espoir fait partie du chemin du retour à la vie. Même au fond des tranchées de Verdun, les poilus « transformaient » modestement les douilles de cartouches ou d’obus en objets d’art, ou simplement d’utilité quotidienne… en bague de fiançailles aussi, parfois.
Mais l’idée de faire de ce « mémorial » une arme de guerre, donc implicitement destinée à causer d’autres malheurs, j’ai beau en chercher d’autres exemples, je ne trouve pas. Peut-être des contributeurs plus éclairés que moi en trouveront-ils dans l’Histoire ? Je n’en doute pas. L’esprit humain est bien trop tordu pour qu’on ai la naïveté optimiste de croire que le cas de l’USS New York soit une première du genre.
Non, ce qui m’étonne le plus en fait c’est ce silence autour, le commentaire « degré zéro de l’analyse » du journaliste de France2 que j’entendis relater le fait au journal du soir, les articles que j’ai pu trouver sur internet ce matin, qui s’en tiennent tous à la simple relation du fait, comme si la symbolique n’était somme toute qu’accessoire… « Cela réjouit les familles des victimes… »
Ah ?
C’est tout ?
Voir un morceau du tombeau de son frère, de sa femme, de son enfant refondu en machine de guerre, c’est un apaisement ? Rien que ça ?
Personnellement, je ne peux m’imaginer à la place d’une de ces mère-femme-sœur-amie, sans penser que je me serais battue bec et ongles, à coup de manifestations et protestations en tout genre contre un tel projet. Je ne peux m'imaginer qu'aucune n'ai protesté...
Je ne peux m’imaginer par exemple, que le peuple israëlien démonte une cheminée des crématoires d’Auchwitz pour bâtir symboliquement une partie du mur de Palestine avec ses briques, sans que personne ne s’indigne. Je ne parle ici que de l’utilisation du symbole, pas de l’existence en elle-même du mur que je ne justifie en rien, qu’on m’entende bien. C'est d'ailleurs de cela qu'il s'agit, de justification. Une justification par avance de la politique militaire des USA. Ce navire-mémorial devient sacré, intouchable. Sa coque est symboliquement trempée dans le sang des victimes du 11 septembre. Un sang qu'il faut laver.
La vidéo dont je mets le lien sur ce billet est présentée ainsi :
« From the ashes of the World Trade Center comes the awesome USS New York! God Bless America and her heroes! »
« God bless America… »
Mais de quel Dieu s’agit-il ? Celui, terrible, de l’Ancien Testament ? Le Dieu de la Vengeance et de la Loi du Tallion ?
Si c’est l’autre, « le prophète aux yeux tristes qui parlait d’amour » comme écrivait Cohen, qui prêchait le pardon des offenses et la miséricorde, alors c’est une autre prière qu'il faudrait lui adresser :
« God forgives America »…