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Billet de blog 24 juillet 2009

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Culture: pays pauvre, ou le microcrédit expliqué aux artistes

 Dans la jungle foisonnante du off d’Avignon, qui prend chaque année d’avantage des allures de supermarché-foire-à-tout en période de soldes, on trouve… de tout justement.

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Dans la jungle foisonnante du off d’Avignon, qui prend chaque année d’avantage des allures de supermarché-foire-à-tout en période de soldes, on trouve… de tout justement.

Pas seulement en matière de spectacle, où se croisent des propositions artistiques aussi diverses que variées, où l’affiche d’un très moderne : « Ma voisine ne suce pas que de la glace » recouvre improbablement celle d’un très (trop ?) classique Molière , ou vice-et-versa…

Les journaux de critiques ou les programmes présentant des sélections de spectacles prennent peu à peu auprès des festivaliers le relais du sacro-saint Programme du off, qui, en recensant plus de 1000 spectacles, a désormais l’aspect indigeste d’un bottin téléphonique.

C’est aussi un lieu de promotion de nouveaux services destinés aux professionnels, de nouveaux médias de diffusion ou d’information, comme celui dont le premier numéro me tomba sous la main l’autre jour, intitulé en toute simplicité « Profession spectacle », journal gratuit des métiers du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma.

Enfin, gratuit pour 19€ de participation aux frais d’envoi pour 6 numéros de quatre feuilles, passons…

Sur la couverture, mention « à la une », un titre me saute aux yeux :

« Un micro crédit pour la création artistique : enfin ! »

Suit la présentation de l’article qui annonce « enfin un moyen responsable de financer vos projets et de concrétiser vos idées, lire page 2 »

Avide d’apprendre, et interloquée par l’emploi de ce vocable « responsable » -que faut-il entendre dans ce « responsable » ? Est-ce la naissance d’une nouvelle charte de création artistique qui respecte l’environnement ? Tracts en papier recyclés et décors biodégradables ? Ah non, il s’agit de financement ! Serait-ce alors l’avènement d’un commerce équitable en matière de culture, qui respecterait enfin le petit producteur que je suis ?- bref, alléchée, je dévore l’article.

On y apprend que l’Adie (association pour le droit à l’initiative économique) et l’association Saltimbank (d’où sortie, fondée par qui, comment, pourquoi, malgré de patientes recherches sur le net, cela reste nébuleux), qui délivre paraît-il, moyennant cotisation, une « carte professionnelle » (qui sert à quoi, c’est tout aussi nébuleux, mais c’est 32€…), ces deux associations donc, ont mis au point un micro crédit qui s’adresse aux professionnels du spectacle. Les sommes prêtées vont de 1000 à 11000€, « remboursables en fonction des capacités », à un taux d’intérêt inconnu. Et c’est « un pas de géant pour la profession », si si, puisqu’on vous le dit ! D’ailleurs voici le lien pour ceux qui ne sont pas encore bien convaincus :

http://www.profession-spectacle.com/crbst_0.html

Vous avez tout lu ? Moi aussi, plusieurs fois, pour être sûre de bien comprendre.

Surtout le paragraphe concernant la fameuse responsabilisation :

« N’attendez plus une aide miraculeuse, soyez à part entière partie prenante de vos idées. »

Lexique :

Aide miraculeuse : tout soutien financier public.

Etre partie prenante de ses idées : s’endetter pour financer ses créations.

Voilà donc la solution au sous financement de la culture, qui donne enfin aux artistes la fierté de ne plus être des parasites dépendants de l’aumône d’état, mais des acteurs économiques responsables, qui en plus d’investir dans leurs projets une énergie et un temps considérables, le plus souvent mal et peu rémunérés, auront aussi la joie de faire enfin partie du grand système capitaliste en s’endettant pour créer.

Enfin, tous n’auront pas ce bonheur, car quand même, une caution est nécessaire.

Amusant, quand on sait qu'à l’origine, le système du micro crédit a été développé par le professeur d'économie Muhammad Yunnus, pour permettre un accès au crédit précisément à des clients jugés insolvables par les banques, de petits artisans du Bangladesh fabricants des tabourets en bambou.

Reste qu’en proposant le micro crédit aux artistes, on reconnaît enfin la culture pour ce quelle est : un pays pauvre, dont les richesses profitent à d’autres.

Ah, pour en finir avec ce nouveau petit bijou de la presse professionnelle, sachez, si vous n’avez pas la chance de mettre la main sur sa version papier, que lorsque vous aurez épuisé votre micro crédit pour faire aboutir votre projet artistique, vous trouverez en page 7 (sous la nécro de Planchon..), les recettes d’Annick, pour concocter un repas de première ou de fête de fin de tournage à peu de frais. Dans ce numéro, les joues de porc aux olives pour 4 personnes.

Ben oui, 4 personnes, équipe réduite, forcément…

Allez, bon appétit !

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