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Billet de blog 14 mars 2022

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Les Belges et l'humour : qu'ont-ils de plus que nous ?

Il était une fois un Français, le roi Louis-Philippe, qui, à la suite de la proclamation de l’indépendance d’un royaume naissant en 1830, donna à son roi, Léopold 1er, sa fille Louise, devenant la première reine des belges. C’est ainsi que débuta l’histoire de la Belgique et que se scella à tout jamais l’amitié franco-belge.

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             200 ans plus tard, l’amitié est intacte. Ou presque. 
             « Les belges trouvent les Français souvent prétentieux et les Français ont tendance à nous trouver ridicules » résumait le premier ministre belge Charles Michel à l'aube d'une demi-finale de la Coupe du Monde de Football en 2018 remportée par les Français qui laissa quelques goûts amers. Mais qu’importe. Si le chiffre des ressortissants Belges en France est peu ou prou égal à celui des ressortissants Français en Belgique, il y a un secteur où le déséquilibre est de taille : l’humour.
            Raz-de-marée. Invasion. Exode. Appelez cela comme vous voulez mais le fait est que les humoristes belges ont décampé… pour la plupart, en France, qui les accueille, il est vrai, à bras ouverts. On raffole de cette humeur belge, décomplexée et décalée. Avouons qu’ils nous brocardent mieux que quiconque. 
            Alors, qu’ont-ils de plus que nous ? 

Illustration 1
Avec l'aimable autorisation de Philippe Decressac

           Les humoristes belges ont la côte

           « Aujourd’hui je voulais passer un message à tous les français parce que j’ai appris que c’était bientôt vos élections présidentielles ; bon, moi, je suis belge donc les gens qui essaient de nous la mettre bien profond je connais ! Tous mes oncles étaient pédophiles donc je pense que pour le coup je peux vraiment vous aider… j’ai donc analysé un petit peu tous vos candidats et j’ai compris un truc très important cette année : le but ce n’est pas d’élire le candidat qui vous plaît, non, mais d’arriver à élire celui qui a le plus de chance de terminer son mandat avant d’aller en prison » : Laura Laune, la gentille petite diablesse qui fait fureur en France depuis qu’elle a remporté la douzième saison de l’émission « La France a un incroyable talent » manie l’humour noir comme personne, ou presque. L’humour belge ne prend pas trop de précaution, elle non plus. Et c’est pour cela qu’on l’aime. Si Laura Laune figure aujourd’hui parmi les humoristes préférés des français, c’est qu’elle est aussi l’héritière d’une génération d’humoristes belges qui avait, avant elle, tracé un sillon durable.
            C’était dans les années 90.
            « J’étais dans le premier contingent d’éclaireurs et on sortait de la période des blagues sur les belges colportées par Coluche où les belges étaient les imbéciles de l’histoire » raconte Philippe Geluck, créateur belge du Chat qu’on ne présente plus. « Puis, grâce à Antoine De Caunes, Philippe Gildas et Albert Algoud que je remercie de m’avoir invité sur Canal + à l’époque, il y a eu un questionnement de la part du public français et des médias. Ils se sont dits  « À chaque fois qu’il y a un belge sur un plateau, c’est drôle, c’est inattendu, c’est décalé, ce n’est pas arrogant et ça nous fait rire ! ».  
            Depuis c’est la déferlante. Les humoristes belges ont pris le Thalys et colonisé la France.

            Alors pourquoi la France a-t-elle la côte chez les belges ?
            Belges et français partagent la même langue, le français, et la même culture, francophone, ça rapproche forcément. Mais pas seulement. « Paris reste la ville lumière et surtout les médias français sont puissants, plus que chez nous, par le nombre d’auditeurs et de téléspectateurs » explique Vincent Taloche, l’un des frères éponyme, aujourd’hui Président de la Fédération Belge des Professionnels de l’humour ». À son époque, comme à celle de Philippe Geluck, il faisait office de rareté. Tenter l’aventure n’était pas une sinécure mais la vocation était chevillée au corps. Car « l’humour a toujours eu une place importante dans le cœur des belges ».

Illustration 2
Avec l'aimable autorisation de Philippe Geluck

        Alors d’où vient ce talent ? Quel est leur petit truc en plus ? 
        Pour les belges, il faut chercher du côté de l’histoire : « On est petit, on est dominé par les cultures qui nous environnent, la française, l’anglaise, la néerlandaise, l’allemande et puis on a été traversé par les plus grands pays européens (les espagnols, les romains, etc.), ce qui nous a permis et incité à pratiquer l’autodérision, l’ultime arme de défense des petits et des opprimés » explique Philippe Geluck. « L’humour tchèque est redoutable avec le brave soldat Svej (NDLJ le roman tchèque qui dresse une satire de la guerre et de ses absurdités à travers un soldat nommé Svej), l’humour juif on le sait, sa réputation n’est plus à établir et la Belgique c’est un peu ça : le rire de nous d’abord avant que les autres ne le fassent et Dieu sait si les autres ne s’en sont pas privés pendant longtemps ! ».
 
Patrick Weber est journaliste et historien belge. Il anime chaque jour « Le Club de l’histoire » sur la RTBF. Pour lui aussi, la particularité de l’humour belge tient à la taille du pays :  « Nous avons le complexe du petit pays à côté d’un grand pays. Les suisses ont la même chose. Alors on le dépasse et on le transcende en essayant d’être drôle ». Et force est de constater qu’ils y arrivent.

           La politique française, une passion belge ?

           L'élection présidentielle française est vécue comme un véritable spectacle en Belgique. Dans la rue, on en parle comme on parlerait de la dernière prestation des Diables rouges, l'équipe nationale belge de football. « Pourquoi je dessine beaucoup l’actualité en France ? Parce que l’actualité belge est tellement chiante ! » s'amuse Philippe Decressac, dessinateur de presse belge depuis 20 ans. « Chiante » parce que complexe et donc incompréhensible. 
Imaginez le bazar : trois régions et trois communautés linguistiques avec chacune leur propre ministre, leur propre langue et leur propre drapeau. La Belgique compte 52 ministres, des cabinets et des parlements dans tous les coins et une demi-douzaine de partis. Difficile de s’y retrouver et de s’y intéresser. « En pleine pandémie, nous avons eu pas moins de 9 ministres de la santé. Une absurdité géniale » s’amuse Patrick Weber. « Notre politique est richissime en aberrations. On dit d’ailleurs en Belgique que si vous essayez d’expliquer les institutions politiques politiques belges à un français et qu’il comprend c’est que vous avez mal expliqué ! » renchérit Philippe Geluck.
En Belgique, on aime à dire que la situation est grave mais pas désespérée…

           « Quand j’étais gamin et que je regardais le Bébête Show et les Guignols de l’Info, je comprenais mieux la politique française que la politique belge » confirme Alex Vizorek, humoriste en scène, en radio et en télévision qui co-anime, entre autres, chaque jour, « Par Jupiter » sur France Inter. « C’est une spécificité médiatique francophone : nous sommes très attirés par le voisin là où les flamands se suffisent à eux-mêmes. En Belgique, on regarde les émissions françaises depuis toujours, mais la réciproque n’est pas vraie. Vous demandez à un belge le nom de la maire de Paris, il saura vous répondre mais demandez à un français le bourgmestre de Liège ou de Bruxelles et il sèchera. Nous, on n’a pas le choix, on regarde ce qu’il y a à l’étranger ». Le jeu politique belge est très complexe et le gagnant de l’élection n’est pas sûr d’arriver au pouvoir. « En Belgique, nous sommes à la proportionnelle, ce qui au fond, d’un point de vue du système démocratique est préférable mais, évidemment, on y perd le plaisir d’avoir des personnalités pleines de panache et hautes en couleur qu’on aime moquer et qui facilitent le travail des humoristes. Chez vous, traditionnellement, la campagne présidentielle est hyper-personnalisée : il y a deux coqs, deux personnalités claires qui s'affrontent, avec un gagnant et un perdant » conclut Alex Vizorek. « Notre politique n’intéresse personne au-delà de nos frontières. C’est dommage car elle pourrait être un exemple vertueux pour la planète entière ! On aurait pu développer des projets qui soient éblouissants mais la querelle entre communautés sont stériles » regrette Philippe Geluck.
            Les belges vivraient-ils notre vie politique française par procuration ?
            Il y a de cela, certainement.

           
            Humour belge VS humour français : les jeux sont faits

            Le public français serait-il plus friand de l’humour belge que les belges eux-mêmes ? Non c’est plutôt que nous sommes plus nombreux ! « Beaucoup d’artistes et d’humoristes belges restent en Belgique. Si je suis venu en France c’est que le marché est plus grand, ce n’est pas que j’ai particulièrement envie de faire des blagues sur Chirac et Mitterrand. C’est qu’en venant en France on peut potentiellement être écouté par 66 millions de gens plus les Belges en Belgique » explique Alex Vizorek qui, dans son billet d’humeur il y a quelques jours s’amusait de la venue d’Éric Zemmour à la radio : « Inviter quelqu’un qui veut vous dissoudre en privatisant et en supprimant la redevance, c’est la première fois que France Inter faisait une matinale spéciale SM ! ».

           L’autodérision décomplexée envers et contre tous, le raffinement, l’impertinence, le décalage, c’est tout cela, l’humour belge. Ils ont même un mot à eux (imprononçable mais bien présent dans le Larousse) dont nous autres, pauvres fransquillons, ne pouvons saisir toute la subtilité. « Nous avons une forme d’humour qui s’appelle la « zwanze », qui est caractéristique de la Belgique francophone et plus typiquement de Bruxelles et qui s’inscrit dans dans notre culture, le surréalisme car la Belgique c’est bien le pays du surréalisme » raconte Patrick Weber. « D’ailleurs nos grands humoristes belges jouaient très forts avec les mots et le côté surréaliste des choses. Il y avait un gros travail sur la langue et les situations absurdes ». Petit extrait pour le plaisir du virtuose Raymond Devos : « On m’a demandé de faire un discours, je vous signale tout de suite, Mesdames et Messieurs, que je vais parler pour ne rien dire. Je sais, vous pensez, « S’il n’a rien à dire il ferait mieux de se taire ! ». C’est trop facile ! Vous voudriez que je fasse comme tous ceux qui n’ont rien à dire et qui le gardent pour eux ? » 

           Si l’on devait compter les points, à actualité égale, les Belges s’en sortent haut la main. 
           Petit saut dans le temps. Nous sommes en 1943.
La France et la Belgique sont sous occupation nazie. Dans les deux pays, la presse est muselée ou collaborationniste. Les résistants Belges ont cette idée de génie : sortir un faux Soir satirique imitant en tous points le vrai (présentation, style, impression sur les mêmes rotatives – c’est d’ailleurs elle qui les confondra) et en court-circuitant la distribution du Soir normal. Coup de maître, le 11 novembre 1943, les nazis sont ridiculisés devant 250 000 lecteurs par ce « Soir emboché ».
Extrait : « Les trains fascistes arrivent toujours à l’heure si bien que le train de M. Mussolini est en avance sur l’horaire lorsqu’il entre dans la gare d’Anhalt ». Les lecteurs rient à gorge déployée, les Allemands, moins (on raconte qu’ils auraient tout de même salué la qualité de l’opération par un « Ces types-là, il faudrait les fusiller mais avec une balle en or »). 15 responsables seront arrêtés ; certains mourront en déportation. L’histoire est passée bien sûr dans la postérité et l’humour belge y a acquis ses lettres de noblesse. L’affaire du faux Soir (relayée par Radio Londres) inspirera l’opération du faux Nouvelliste de la résistance française à Lyon en décembre de la même année, avec un succès plus modeste. Imités mais jamais égalés !

Illustration 3
Le Faux Soir paru en 1943 en Belgique.

               Nordpresse est un site internet belge (par opposition à Sudpresse) qui parodie l’actualité (et qui s’inspire de notre Gorafi français). Actualité politique oblige, le site publie régulièrement des articles moquant les candidats français. Petite pépite de début de campagne : « Éric Zemmour s’exprimera sur la censure dont il fait l’objet demain en direct sur 12 chaînes simultanément ». Ou encore « VoteFNetgagne5euros.com » qui provoqua un tollé dans le monde politique français. Une menace de procès a même été brandie. Bien joué de la part de l’auteur de cette bonne blague qui ne pouvait être que belge. 
               
                Alors, les Français se prendraient-ils un peu trop au sérieux… ?  
                Nous sommes en 2015 et 2016. La France puis la Belgique sont touchées par des attentats terroristes. Une étude réalisée par Albin Wagener a analysé les réactions post-attentats des exécutifs des deux pays. Les résultats sont éclairants : quand la France parle principalement d’identité nationale (avec les utilisations massives de « Président », « France », « Français » et « état »), la Belgique, elle, parle, de « liberté », « société », « victimes », « proche ». Bien loin d’une rhétorique patriote et plus près d’un vivre-ensemble. CQFD.

               
               La France a un incroyable ego

               La France aurait donc un peu (beaucoup) la grosse tête. 
              « Comment faire une bonne affaire avec un français ? vous l’achetez au prix qu’il vaut et vous le revendez au prix qu’il pense valoir ! » : la blague de l’humoriste Alex Vizorek est drôle et tellement juste (on est à deux doigts de le prendre mal quand même). « C’est normal, quand vous avez grandi avec Napoléon et De Gaulle partout et avec l’histoire que Vercingétorix a créé la France à mains nues, c’est difficile d’avoir un autre regard sur son pays » explique-t-il. « Nous, on a grandi dans un Etat qui n’a pas le même rapport à la hiérarchie, avec l’histoire, nous sommes plus décalés et un peu plus humbles par rapport à toute cela ». « Nous, on a la culture du petit et on s’excuse presque de parler. Alors on s’intéresse à ces grands arrogants français. En France, vous avez une classe politique qui est gonflée à l’hélium, avec des egos surdimensionnés. La France ,vous êtes vraiment des coqs ! » renchérit Philippe Decressac qui croque l’actualité dans plusieurs journaux dont le Vigousse, l’hebdomadaire satirique romand : « Je serai bien en mal si tous les jours je devais dessiner l’actualité belge ! ». 
               
              Heureusement, on peut toujours compter sur les (bons clients) français pour s’inspirer ! « On se pose pas mal la question, ici en Belgique, de comment Zemmour peut avoir un écho aussi important dans une France si multiculturelle. C’est vraiment difficile à comprendre. Ces gens sont des mystères qui nous surprennent, nous attirent, nous passionnent et nous inspirent » ajoute-t-il. « La politique française c’est un peu comme un feuilleton médiatique. Il y a une saison 1, une saison 2, etc. et avec des gens qui sortent de nulle part et qui peuvent faire de la politique. Contrairement à la France, il n’y a jamais chez nous un personnage qui se détache » emboîte Patrick Weber.
La période électorale actuelle offre en effet du matériau de choix pour les humoristes. Parfois même servi sur un plateau d'argent : « Il y a des périodes de fins de campagne, c’est comme ça : il s’agit d’être rapide, si la blague tombe hier soir il faut la faire le matin sans tarder. Quand l’actualité est drôle (et les hommes politiques le sont malgré eux) ça aide. À nous d’être encore meilleurs » explique Alex Vizorek.

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Avec l'aimable autorisation de Philippe Decressac © Philippe Decressac

             
              On l'a compris, si les humoristes belges se moquent si bien de notre vie politique française c’est qu’elle se regarde un peu trop le nombril. On le concède : notre classe politique ne brille pas par son humour, ni par son autodérision (ni par sa qualité mais c’est une autre histoire !). 
              Si on se plonge dans les archives des célèbres joutes politiques, on garde forcément en mémoire cette saillie cinglante et blessante d’un François Mitterrand qui lança à son adversaire Jacques Chirac en 1988 « Vous avez tout à fait raison Monsieur le Premier Ministre » en vue, bien sûr, de le rabaisser. L’humour aux dépens des autres. Du français tout craché. Imaginez qu’en 2004, George W. Bush se mettait en scène en train de chercher frénétiquement, sous le mobilier du bureau Ovale, les introuvables armes de destruction massive. Inimaginable chez nous !
              Et que dire de l’humour british ? En 2006, Tony Blair, alors premier ministre placé dans une situation embarrassante par son épouse Chérie, qui avait traité de "menteur" son rival Gordon Brown alors ministre de l'économie, démina le terrain au moyen d'une habile pirouette : "Au moins, je n'ai pas à m'inquiéter de voir ma femme partir avec le voisin d'à côté" (la résidence de Gordon Brown, jouxtait le 10 Downing Street). 

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