Et voilà, au travers du rapport Cherrier, le retour de l’idée de faire entrer au Conseil Economique, Social et Environnemental, - institution relevant de la Constitution de notre République laïque - des personnalités en fonction de leur appartenance religieuse et (pour faire bonne mesure?) de leur appartenance à certains mouvements philosophiques. Ou encore, pour éviter un tollé, de prévoir par la Loi organique “ la possibilité pour le CESE, voire l’obligation lorsque l’objet du débat le justifie, de consulter les cultes et les mouvements philosophiques reconnus, et leur demander leurs contributions sur certains sujets, notamment d’ordre éthique.”.
Justifier ce conseil par “ Il n’est pas inutile de rappeler le rôle de certains mouvements philosophiques dans l’inspiration de dispositions législatives qui ont concerné la vie des femmes.” est a minima invraisemblable et méprisant pour ces générations de femmes qui ont du se battre pas à pas pour que leurs vies cessent d’être un long chapelet d’indignité.
Dire aujourd’hui que l’évolution du droit des femmes relèvent du domaine de conceptions philosophiques particulières - auquel on pourrait donc légitimement opposer d’autres conceptions philosophiques ou cultuelles - est indigne et ouvrent des portes inacceptables. C’est nier le caractère universel de cette égalité qui reste encore inachevée. C’est revenir... à la philosophie des Lumières, à la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Citoyen initiale, qui excluaient les femmes, juste la moitié de l’humanité.
Par ailleurs, mettre en parallèle philosophie (en principe basée sur des raisonnements et leurs évolutions au fil de l’évolution de l’humanité) et religion ( basée sur la foi et arrêtée aux textes anciens ou leurs diverses interprétations plus ou moins strictes) c’est mettre un pied sur la pente savonneuse des créationistes qui réclament que leur croyance (la Genèse au pied de la lettre) soient considérées sur le même plan scientifique que la théorie de l’évolution. On n’en est pas là penseront certains et la philosophie n'est pas une science. Certes, mais il a suffit de 20 ans pour que les Américains en soit là après un peu de démagogie racoleuse de Reagan disant que finalement il préférait descendre d’Adam et Eve que d’un singe pour rouvrir la porte des confusions et donner voix officielle aux théoriciens étriqués.
Dans sa grande “lucidité” le rédacteur du rapport poursuit en expliquant qu’ “Il serait vain de nier l’influence de mouvements religieux – dès lors qu’ils respectent les principes de la tolérance – dans l’apaisement de certaines tensions communautaires.”
Un “mouvement” religieux qui ne tolère pas que les femmes puissent avoir accès aux mêmes états que les hommes au point de menacer d’excommunication ceux qui osent ordonner une femme ne peut être qualifié de tolérant. Oserait-on demander “notamment sur les sujets éthiques” l’avis de groupes qui prônent l’interdiction de l’accès à certaines fonctions des personnes de couleurs? Rien ne justifie que l’ostracisme envers les femmes ne soit pas condamné par la République avec autant de vigueur que l’est heureusement celui à l’égard de toutes autres catégories de personnes.
Arguer de la capacité des mouvements religieux d’apaiser certaines tensions communautaires pour justifier leur entrée au CESE revient à acter la pertinence de renoncer aux droits républico-régaliens pour les remettre entre les mains des diverses communautés religieuses plutôt que de chercher à résoudre les problèmes qui conduisent aux tensions... Le transfert des compétences de police à des sociétés privées que le récent Livre Blanc de Mme Alliot-Marie préconise doit-il s’étendre à terme à des “polices confessionnelles”?
Accepter l’entrée des représentants des groupes religieux au sein de nos institutions et du débat républicain, c’est accepter la prise en compte de leurs rapports à la vie lequel est à la base du ”sort” qu’ils réservent aux femmes.
Alors même que la laïcité reste la règle on a déjà pu voir un jugement rendu en tenant compte de l’appartenance religieuse des personnes concernées et une Ministre, oubliant l’égalité en droit des citoyens et citoyennes de ce pays, trouver cela normal. Normal d’ouvrir la porte aux procédures de répudiation.... Notre laïcité - et les réactions citoyennes - a permis de recadrer ce jugement sur le plan de l’égalité. Qu’en sera t il demain si nous mettons le doigt dans l’engrenage aujourd’hui?
Défendre la laïcité ce n’est pas rentrer dans le débat par définition sans fin de l’existence ou non d’un Dieu, quelque soit le nom qui lui est donné. C’est respecter tous les croyants en continuant à maintenir les religions dans la sphère privée.
Défendre la laïcité c’est refuser d’entrer dans le jeu du rapport à la vie et des exigences des représentants de croyants, chemin dans lequel nombre de croyants ne les suivent même pas.
Ne pas défendre aujourd’hui la laïcité c’est, n’en doutons pas, mettre à mal la dignité de toutes les femmes, croyantes ou pas. C’est une raison plus que largement suffisante de refuser fermement que l’on s’attaque à elle de quelques façons que ce soit.
Nous devons être très nombreux et ô combien nombreuses à réagir très vite contre cette nouvelle attaque que nous ne pouvons considérer comme anodine car aucune brèche dans la laïcité ne le sera.
(Rapport Cherrier à téléchager à l’adresse suivante:
http://www.elysee.fr/documents/index.php?lang=fr&mode=view&cat_id=8&press_id=2228) . Vous trouverez le paragraphe objet de mon courroux et justifiant mon appel page 18.