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Billet de blog 28 juin 2023

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Pourquoi nous nous soulèverons

Les Soulèvements de la Terre offrent aux gens comme moi, qui voient les arbres crever dans des forêts centenaires, les rivières et les puits s’assécher chaque été, les fermes mourir au profit d’exploitations agricoles de plus en plus grandes, les gens qui, comme moi, vivent les sécheresses – pas en théorie ni à la télé - mais dans leurs corps et leurs métiers, d’enfin donner de la voix. Par Fabien Granier, depuis le bocage bourbonnais (Allier).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voici la retranscription d'un texte de Fabien Granier, écrit depuis le bocage bourbonnais (Allier), dont le point de vue peut éclairer la méthode et les raisons des Soulèvement de la Terre. Originellement publié et partagé sur les réseaux sociaux, il peut trouver de la résonance ici.

À peu près tout a été dit sur les Soulèvements de la Terre.

À vrai dire, à peu près tout a été dit sur tout.

Pourtant, j’ai envie de rajouter un truc. Mon truc.

Celles et ceux qui me connaissent, et qui ont suivi les différentes métamorphoses de mon parcours, savent d’où je parle. Pour les autres je dirais ceci : je vis à – et pour – la campagne. Une campagne franche, radicale et bouleversante. J’y suis tour à tour quelque chose comme un boulanger, et quelque chose comme un animateur social. J’y suis aussi un père, un ami, un amoureux, un militant, un conseiller municipal, bref quelqu’un de relativement engagé.

C’est de là d’où je m’exprime.

De ce coin du pays qui participe à nourrir les 96 % des français.es qui ne produisent pas leur bouffe.

De ce bocage dense et joyeux, où est né le syndicalisme paysan. Où il a finalement péri sous les coups de boutoir de l’agroindustrie.

De cette campagne que celles et ceux qui nous gouvernent ne savent pas nommer – tellement ce qui se passe en dehors des ville leur est étranger. On parlait de « monde rural », on dit désormais « territoire ». Les « territoires »…

C’est donc de là que je m’exprime. D’un territoire. De la diagonale du vide.

D’un trou du cul du monde.

Peuplé d’apaches, de sages, et de toute une foule vivifiante qui ne te donne qu’une envie : celle de ne jamais partir.

Je parle aussi depuis une génération née avec la conscience aiguë de la catastrophe. Et c’est une différence fondamentale d’avec celles qui nous ont précédées. Je crois que si rien ne bouge – où si peu – en matière de protection de l’environnement, c’est parce qu’il y en trop peu, parmi les boomers, qui ont, vissé au corps, le sentiment que tout part en couille.

Je dis « sentiment ». Je devrais dire « connaissance ».

C’est pas qu’on le sent. C’est qu’on le sait.

On est né avec ça : tout est foutu.

On va payer sur plusieurs génération pour des histoires de pouvoir et d’accaparement, qui ont fait le bonheur d’une minuscule poignées de personnes pendant quelques quelques pauvres pauvres décennies – pourtant frappées de guerres horribles et de catastrophes écologiques.

On le sait. Ça a été dit, affirmé, confirmé depuis suffisamment longtemps.

Pourtant : rien – strictement rien – n’a bougé depuis que je suis en âge d’être dans la vie publique.

On pourrait rentrer dans la finesse du discours, et dire que ce « rien » est trop radical. Qu’il y a eu des efforts de faits, le tri des déchets, tout ça…

Et bien c’est justement là où ça se joue, les Soulèvements de la Terre.

Si : rien n’a été fait depuis les 40 ans qu’on sait que le changement climatique est en cours. Qu’il est violent, rapide, inéluctable et indubitablement lié à l’activité humaine.

Rien n’est fait pour enrayer la machine infernale engagée depuis la révolution industrielle : extraction de ressources finies. Pillage surabondant des ressources renouvelables. Concentration des terres agricoles. Disparition de la paysanneries. Disparition de la biodiversité.

On peut finasser, c’est sur. Mais regardez comme on galère à faire retirer de la circulation ne serait-ce que le glyphosate et les néonicotinoïdes, dont il est avéré qu’ils sont un des facteurs majeurs de la réduction dramatique de la biodiversité. Sachant que même si on les supprimait, il en resterait encore une sacrée brassée à faire disparaître. Regardez comme on doit se battre pour refuser des projets aussi délirants qu’infondés : les mégabassines en sont un exemple criant, mais il y en a tous les jours, partout dans le monde des construction de ce type – rejetées par les scientifiques, les économistes et pourtant systématiquement validées en catimini, après des simulacres de consultation.

La liste est interminable. Je ne l’ouvre même pas. Les chiffres sont disponibles partout.

Ce qui se joue, en ce moment, c’est le ras-le-bol de ça.

Il est devenu évident que le changement nécessaire à la survie des écosystèmes, et donc des générations futures du plus grand nombre sur cette planète ne serait jamais possible tant que continuerait la concentration des pouvoirs.

Grosso modo plus on avance, plus les pouvoirs se concentrent entre les mains de groupes de personnes de plus en plus puissantes. Ce sont les grandes gagnantes d’un système basé sur l’exploitation excessive des individus et des ressources. Elles n’ont aucun intérêt à freiner la débâcle en cours, puisqu’elles et leurs descendants ont tout à y gagner.

Plus on avance, plus ça empire – et plus ça semble impossible d’enrayer la machine.

Alors qu’il faut l’enrayer. Pour le bien commun – et la perpétuation de notre espèce.

Alors : qu’est-ce qu’on fait ?

Option 1 : on reste sage et discipliné et on attend que celles et ceux qui nous gouvernent prennent les responsabilités qui devraient être les leurs. On respecte les processus démocratiques et on vote – tout les 5 ans. Je fais ça depuis que je suis en âge de de la faire.

Résultat : néant. Absolu.

Option 2 : on se soulève contre l’accaparement, et on fait pression pour que ça change, enfin.

Les Soulèvements de la Terre offrent aux gens comme moi, qui voient les arbres crever dans des forêts centenaires, les rivières et les puits s’assécher chaque été, les fermes mourir au profit d’exploitations agricoles de plus en plus grandes, les gens qui, comme moi, vivent les sécheresses – pas en théorie ni à la télé - mais dans leurs corps et leurs métiers, d’enfin donner de la voix.

Vous nous appelez « terroriste ». Vous dite « sabotage ». mais de quoi on parle ? De quelques arpents d’un champ de 16 hectares de muguet indus ? De graffitis sur une serre chauffée de 8 hectares ?

C’est quoi, ça, comparé au désastre avéré, documenté, de l’agro-industrie sur le climat, sur nos vies – individuelles et collectives ?

Et bien ça : c’est que dalle. C’est du symbole. Le pauvre gars et son muguet indus, qui arrose son champ de sable et de plastique en puisant illégalement et impunément dans un cours d’eau voisin, je me fais pas de souci pour son chiffre d’affaire.

Par contre, pour nous, ça qui rongeons nos freins depuis des décennies de frustration ça canalise une violence qui s’exprimera, sans ça, de manière bien plus extrême - tant elle est dingue, notre colère.

Cette tentative de dissolution, c’est une tartufferie.

Une dérisoire tentative de garder le contrôle sur une situation dont tout le monde sait qu’elle leur échappe.

Vous voulez faire taire le soulèvement ? Facile : tout le monde la connaît la recette, jusque dans votre propre camp. Taxez les profits des actionnaires - pour de vrai. Démantelez les monopoles industriels et agricoles. Mettez en place une vraie politique de sobriété énergétique. Désengorgez les villes. Installez plus des paysannes et des paysans sur de plus petites surfaces. Établissez un moratoire sur les extractions minières et l’artificialisation des sols.

Et surtout arrêtez de faire de nous des coupables.

Nous, on se défend. On se protège. On met en place, collectivement, les stratégies de soin dont vous nous privez au nom de la concentration des richesses.

Alors laissez nous nous organiser.

Et tant pis si ça déborde, un peu, parfois.

Si ça braille, c’est que ça naît...

… et si ça naît c’est que ce n’est qu'un début.

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