Depuis quelques années, nous assistons à un frémissement certain sur le front de l’égalité femmes – hommes. Le sujet intéresse, mobilise, fait débat dans la société. Pour les générations les plus récentes, c’est un fait important : alors qu’on serinait que l’égalité était acquise, que le féminisme était un combat du passé, nous assistons à une prise de conscience récente et rapide que les acquis du mouvement des femmes sont en permanence remis en cause et qu’il faut s’organiser pour les défendre. Des centaines de jeunes femmes et hommes ont rejoint et continuent à rejoindre les rangs des associations féministes. Sur les réseaux sociaux, les mobilisations se succèdent. La réalité est là, sous nos yeux : le féminisme ré-intéresse.
En 2009, en alertant la société tout entière sur les reculs manifestes qui existent en matière de droit à disposer de son corps, en 2010, en participant massivement à la défense d’une retraite solidaire ou, en 2011, en menant des campagnes pour l’égalité salariale et en réagissant au sexisme déclenché par l’affaire Strauss-Kahn, les associations féministes ont réussi à faire en sorte que les droits des femmes s’invitent à nouveau à la table du débat public.
Mais cette dynamique est fragile et les résistances bien ancrées. Alors que nous nous approchons de l’élection présidentielle, nous le voyons : le sujet de l’égalité femmes – hommes est moins présent dans le débat public. Comme sur tant d’autres aspirations sociales (emploi, protection sociale, services publics), la parole politique est rare. En matière de droits des femmes, le 25 novembre dernier aura été révélateur. Alors que les associations féministes étaient présentes partout, démultipliant les initiatives, nous n’avons entendu quasiment aucune parole de responsable public pour dénoncer les violences faites aux femmes et la domination qu’elles représentent. Comme si le sujet n’avait pas été d’actualité pendant l’année qui vient de s’écouler ! Un autre révélateur : certaines équipes de campagne se constituent sans que la parité n’apparaisse comme une évidence. Nous ne soulignons pas l’absence de femmes dans ces équipes juste pour le plaisir ou pour des soi-disant raisons d’efficacité. Les femmes ne sont ni plus ni moins compétentes que leurs homologues masculins. Mais l’incapacité des politiques à rendre effectif le partage des responsabilités au moment de lancer une campagne présidentielle qui veut offrir au pays un projet de société alternatif - en tout cas pour les partis de gauche - est en dit long sur leur volonté réelle de transformer les choses s’ils sont élus !
Suite aux mobilisations de défense du Planning familial, au mouvement contre les retraites et aux mobilisations contre le sexisme, nous avions le sentiment que les droits des femmes avaient momentanément fait irruption sur la scène publique. C’est le rôle du mouvement féministe de faire en sorte qu’ils y restent.
Ce week-end auront lieu les États Généraux du Collectif national Droits des Femmes (CNDF) et début juillet, ont eu lieu les rencontres d’été « Féministes en mouvement ». Deux rencontres assez semblables à six mois d’écart. C’est sans doute le signe que quelque chose pourrait mieux tourner dans le mouvement féministe. Nous le savons, les associations féministes, leurs militantismes, leurs objectifs sont divers. Mais nous le savons également : une immense majorité d’entre nous partage les mêmes idées et revendications.
Nous sommes d’accord sur l’analyse de la crise économique que nous traversons, conséquence du libéralisme économique qui écrase les salariés, et en premier lieu les femmes. Nous sommes d’accord pour refuser l’austérité qui fait payer la crise aux catégories modestes et touche plus particulièrement femmes. Nous sommes d’accord pour refuser les intégrismes religieux qui et défendre le principe de laïcité ciment de l’application des droits des femmes. Nous sommes d’accord pour refuser la marchandisation des corps. Nous sommes d’accord pour caractériser les violences faites aux femmes comme un instrument de domination sur nos corps à toutes. Nous sommes d’accord pour défendre la liberté de chaque femme à pouvoir avorter dans de bonnes conditions. Nous sommes d’accord pour défendre les femmes les plus précaires parmi les précaires, notamment les femmes seules avec enfants, les immigrées, les femmes sans papiers. Nous sommes d’accord pour lutter contre tous les stéréotypes sexistes et lesbophobes. Enfin, nous sommes d’accord pour participer à la construction d’une société nouvelle, où le sexe et la sexualité des individus n’aura aucune conséquence sur les rôles qu’elles et ils joueront dans la société. Une société d’égalité, de solidarité, de progrès social.
C’est là tout le paradoxe du mouvement féministe. Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux, nos idées progressent dans la société comme rarement depuis quelques années, nous partageons une analyse commune sur l’état de la société et portons chacune dans nos associations des projets de société alternatifs qui convergent. Et pourtant, les cadres de discussions et de réflexions sur des stratégies et objectifs communs manquent. Nous avons de l’or entre les mains : appuyons nous sur cette dynamique qui existe dans le mouvement féministe pour la transformer en droits nouveaux, en un rapport de force qui imposera un changement de société.
C’est à notre avis l’un des enjeux du week-end et des semaines qui viennent : trouver le moyen pour les féministes d’être les porte-voix de ce qui se passe dans la société. Dépasser les rancœurs et les clivages périmés pour, ensemble, toutes générations confondues, en préservant ce qui fait l’identité et la force de chacune, construire un rouleau compresseur de l’égalité. Un mouvement de fond qui forcera les politiques à inscrire l’égalité femmes – hommes à l’agenda et à mettre en œuvre des politiques pour la réaliser. Un mouvement suffisamment fort et indépendant des pouvoirs publics pour que, quels que soit les résultats des élections de 2012, nous ne soyons pas condamnées à seulement résister contre les reculs mais pour que nous obtenions des avancées.
Les objectifs sont ambitieux mais les signaux de l’engagement féministe sont au vert. À nous d’offrir un débouché à cette volonté qui renait dans la société de transformer les rapports sociaux de sexe. Réfléchissons ensemble à nos objectifs et à la stratégie pour les réaliser, aux moyens d’occuper l’espace public pour faire changer les mentalités. Rassemblons-nous, parlons plus fort et plus haut. Si nous y arrivons, nous pourrons réussir à imposer les droits des femmes au rang des priorités politiques. Et à changer la vie.
Maïté Albagly, Marie-Noëlle Bas, Marie Cervetti, Alice Coffin, Caroline De Haas, Sandrine Goldschmidt, Séverine Lemière, Christiane Marty, Romain Sabathier, militantes et militants féministes