Ce mercredi 6 octobre, sur l’antenne d’une grande radio publique, Ivan Levaï a tenu des propos qu’on ne pensait plus entendre sur le PAF. Et contrairement à ce qu’a affirmé Pascale Clark, ce n’est pas sa façon de parler de Dominique Strauss Kahn qui a déclenché les réactions. Ce qu’Ivan Levaï pense de DSK et sa communication le regarde et franchement, cela ne m’intéresse pas beaucoup. Même pas du tout. Par contre, quand un invité explique sur une radio écoutée par des millions d’auditeurs et d’auditrices, que les viols en France n’en sont pas vraiment, là, cela me regarde et me concerne.
Depuis que les mobilisations féministes contre les violences et contre le sexisme ont permis de remettre sur le devant de la scène la persistance des stéréotypes, on pouvait espérer que les médias ne tolèreraient plus des propos qui banalisent les violences sexuelles et surveilleraient leurs antennes comme ils surveillent et dénoncent à juste titre les paroles racistes ou antisémites. Pourtant, ce mercredi 6 octobre, j’ai entendu médusée que pour qu’il y ait viol, il faut « une arme ou un couteau », puis que parmi les 75000 viols qui ont lieu chaque année en France, une partie non négligeable seraient en réalité des « fantasmes ».
Ivan Levaï prouve ainsi qu’il méconnait, comme nombre de ses collègues journalistes, ce que sont les violences faites aux femmes en France. L’illusion de l’égalité femmes – hommes, inscrite dans les lois depuis plusieurs décennies, a fait penser que les choses seraient réglées. Et de fait, ont permis d’oublier la réalité : en France, plus de 200 femmes sont violées chaque jour, 75 000 par an. Ce chiffre est issu d’une enquête de l’Observatoire National de la Délinquance. Il ne s’agit ni des viols déclarés à la police (à peine 10%), ni des condamnations (environ 2% de ce total). Il ne s’agit pas du nombre de viols imaginés. Pas du nombre de viols cauchemardés. Pas du nombre de viols planifiés. 75 000, c’est le nombre de femmes adultes à qui on fait subir, de force, avec violence et ou par surprise, une pénétration, dans la bouche, dans le vagin ou l'anus, par un objet ou un sexe. 75 000, c’est le nombre de viols.
En expliquant que ces viols n’en sont pas, Ivan Levaï raye donc de la carte des dizaines de milliers de femmes. Il relativise les crimes que nous avons subi comme notre parole. Et c’est insupportable.
L’analyse de la persistance dans notre société d’une domination sur le corps des femmes est pourtant maintenant connue. Un étudiant en première année de sociologie pourrait expliquer en quoi, lorsque des crimes sortent de l’exceptionnel pour atteindre des chiffres aussi hallucinants, il ne s’agit plus de faits divers mais d’un fait social. Un étudiant en première année d’histoire pourrait expliquer en quoi l’organisation ancestrale de nos sociétés autour du pouvoir masculin a laissé des traces tenaces. Ces évidences ne semblent pas avoir encore atteint le cortex cérébral de tous nos éditorialistes et journalistes. Ivan Levaï n’est d’ailleurs pas le seul : en début de semaine, nous avons pu entendre des sportifs et commentateurs radio expliquer sur une autre antenne que le harcèlement sexuel pouvait être utile pour souder une équipe de rugby (sic).
Les médias n’ont donc manifestement tiré aucune leçon de ces derniers mois. Focalisés sur le cas d’un homme, ils n’ont pas entendu ce qu’ont exprimé les féministes et les 30 000 personnes signataires de l’appel contre le sexisme. C’était pourtant simple : nous en avons assez des propos misogynes tenus sur vos antennes. Ils véhiculent des stéréotypes tout aussi graves que le racisme ou l’antisémitisme. Ils nous font reculer sur le chemin de l’égalité femmes – hommes. En tant que médias, vous avez une responsabilité : celle d’éveiller, d’interroger, de critiquer. Pas celle de maintenir nos esprits dans des schémas archaïques. Quand un journaliste ou un invité le fait, prenez donc le temps de rectifier.
La chape de plomb qui muselait la parole des femmes a commencé à se lever : prenons garde, elle pourrait retomber.
Caroline De Haas
Militante féministe, ancienne secrétaire générale de l'UNEF, fondatrice d'Osez le féminisme en 2009