Dans la manifestation étudiante, je récupère un flyer qui reproduit une affiche suspendue au mur de l'université du Chili.

Le visage est celui de Michelle Bachelet, qui a présidé le Chili de 2005 à 2009. Le même visuel est distribué avec le visage de Ricardo Lagos, le président précédent. Tous deux appartiennent à la "Coalition", rassemblement de centre gauche, alliance entre les socialistes, le Parti pour la démocratie et les démocrates-chrétiens.
Cette affiche est loin d'être anodine. Elle reproduit un visuel très connu au Chili : celui des affiches réalisées pendant la dictature par les familles des prisonniers politiques disparus. Leurs visages étaient reproduits avec au-dessus inscrit "Donde Estan ?" ("Où sont-ils ?"). Ces pancartes étaient portées par les familles dans des rassemblements pour réclamer justice. Ce visuel n'a donc pas été choisi au hasard. Il rappelle à n'importe quel chilien des heures sombres de l'histoire de son pays.
Le fait que les étudiants utilisent aujourd'hui ce "Donde Estan ?" pour interpeller les responsables politiques et en particulier les sociaux-démocrates montre à quel point ces derniers ont déçus et n'incarnent pas, pour ces jeunes, un espoir de changement.
Certes, la mobilisation étudiante a éclaté après l'arrivée de la droite au pouvoir, événement politique qui a agi comme une sorte de révélateur des luttes sociales. Mais dans leurs discours, les étudiants reprochent autant à la droite qu'à la "Coalition" leur adaptation au système libéral. La Coalition, si elle a pris des mesures sociales, n'a en réalité jamais remis en cause le système économique dans lequel s'inscrit le Chili depuis le coup d'Etat de 1973 : un système néo-libéral, basé sur les privatisations et la concurrence.
Ce flyer est très fort : il accuse les politique d'avoir baisser les bras face aux marchés, d'avoir été littéralement portés disparus lorsqu'il fallait reconstruire le service public d'éducation et tourner la page de l'ère Pinochet.
C'est en cela que le mouvement étudiant chilien est particulièrement enthousiasmant et porteur d'espoir. Au delà des seules revendications sur l'éducation, il interroge un système économique et social dans son ensemble. Alors que le Chili a toujours fait office de bon élève du capitalisme, les fortes inégalités sociales qui sont aujourd'hui dénoncées par les étudiants montrent qu'en matière de libéralisme, qu'on soit bon ou mauvais élève, le résultat est toujours le même, c'est l'injustice.
Ce mouvement fait échos aux débats qui traversent la gauche en France. La défaite de la Coalition aux dernières élections dans un pays qui pensait ne jamais revoir la droite au pouvoir montre que si la gauche abandonne sa volonté de transformer en profondeur la société, elle ne réussira pas à mobiliser les électeurs et électrices. Au Chili comme chez nous.