Il est des fois des paradoxes si gros qu’ils ne cessent d’étonner. Comment expliquer que la plupart des gens vous théorisent que la féminisation des noms est un sujet périphérique et que, lorsque ce sujet arrive dans l’actualité, il déclenche les foudres et les passions. Comment un sujet si peu utile au dire de ses détracteurs peut-il autant les passionner ?
Peut-être – c’est seulement une hypothèse j’en conviens – que la féminisation des noms n’est pas si futile qu’elle en a l’air. Et qu’au fond, elle est le reflet d’une évolution inéluctable de nos sociétés que la droite a du mal à digérer : l’égalité entre les sexes.
Il est vrai qu'il est difficile d'assumer son opposition à l'égalité entre les femmes et les hommes. La droite avance donc d'autres arguments (elle est futée n'est-ce pas ?)
D’abord, féminiser donnerait une « effroyable sonorité » aux mots. Comme si la perception du beau concernant le langage était identique pour toutes et tous et figée par on se sait quelle règle éternelle. Pour trouver un mot beau ou du moins qu’il cesse d’écorcher nos oreilles, il faut avant tout y être habitué. Or, comme le souligne l’Institut National de la langue française dans le guide de la féminisation des noms : « la pression de la norme, en français, est telle que tout mot nouveau fait sourire, dérange ou inquiète. Cela est d’autant plus regrettable que la créativité lexicale qui, depuis les origines, a enrichi notre vocabulaire de centaines de milliers de mots, est un signe de vitalité de la langue ».
(Pour info, l’Académie Française a fait rentrer dans le dictionnaire ces dernières années des mots comme architecturer, historicisme ou entartrage. Pour la sonorité, on repassera)
Ensuite, la féminisation « martyrise notre langue » et remet en cause 1000 ans de civilisation. D’abord, c’est faux (voire là encore le guide cité ci-dessus qui retrace l’histoire de la féminisation des métiers, très ancienne) et ensuite, franchement, quand bien même. Pendant la quasi totalité de ces 1000 années, les femmes (donc 51% de la population) n’ont disposé d’aucun droit ou presque. Alors si féminiser les termes remet en cause l’invisibilité multimillénaire des femmes et les inégalités, je ne vois pas bien le problème.
J’avoue quand même être impressionnée par la ténacité des députés : la féminisation des titres et fonctions ne date en effet pas d’hier. C’est en 1984 qu’Yvette Roudy installe la première commission. Pensez donc : Julien Aubert apprenait tout juste à écrire que déjà, on commençait à dire Madame la Présidente. Ils sont obstinés quand même.
Ce que disait la ministre des droits des femmes de l’époque est pourtant assez simple à saisir : nommer les femmes, c’est les faire exister. C’est reconnaître les rôles et les places qu’elles occupent dans la société. Quand on vous dit « directeur » ou « président », vous pensez à un homme. Vous visualisez un homme. Vous citez un homme en exemple. Pour rendre visible les femmes, il faut les nommer, il faut dire « directrice » ou « présidente ».
Dire Madame la Présidente, c’est rendre visible le fait que les femmes peuvent exercer ces fonctions et qu'elles vont être de plus en plus nombreuses à le faire. Au final, est-ce que ce ne serait pas ça le vrai problème de Julien Aubert et François Fillon ?
Caroline De Haas, Militante féministe
NB : En cas de difficultés, pas de panique. Le fameux guide de la féminisation des noms explique très clairement les règles pour féminiser. Peut-être qu'un envoi de plusieurs exemplaires à l'Assemblée pourrait être utile (RDV sur Macholand à partir du 14 octobre !)