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Billet de blog 8 octobre 2025

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Le 7 octobre 2023, l'étrange défaite

Considérer le post-7 octobre 2023 comme une riposte animée d’une volonté de vengeance, aussi barbare soit-elle, ne permet pas de comprendre ce qui est en jeu depuis vingt ans : la dépossession des territoires palestiniens. Rappeler ce processus, c’est aussi nommer les intentions qui sont à l’œuvre dans les massacres actuels et comprendre la logique dans le « plan de paix » proposé par D. Trump. 

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Le 7 octobre 2023, l’étrange défaite.

Le 6 octobre 2023, faut-il bien s’en souvenir, la Palestine n’intéressait personne, hormis quelques obscurs spécialistes. Quelques mois plus tôt, Israël avait signé avec les pays du Golfe les accords d’Abraham et le monde avait applaudi cette normalisation qui se réalisait à coups de juteux accords commerciaux.

Les Palestiniens ? Ce n’était qu’un point de détail que la colonisation israélienne finirait par engloutir, au soulagement des grandes puissances. De vieilles histoires, tout ça, telle était alors la réponse lasse des éditeurs auxquels était proposé un livre sur le sujet.

Et alors le 6 octobre 2023, demande un enfant, c’était comment en Palestine ? Y vivait-on heureux ?

La candeur de la question surprend et tranche avec la tempête émotionnelle qui a secoué la planète lorsque le jour d’après le monde basculait dans la sidération, figeant la réflexion sur un présent insoutenable.  Non, on ne vivait pas heureux en Palestine le 6 octobre.

Le 6 octobre, les Palestiniens vivaient sous l’occupation israélienne militaire à Gaza et en Cisjordanie. Gaza, bien qu’administrée par le Hamas depuis 2006 était sous contrôle israélien pour les frontières, les eaux territoriales et l’espace aérien et soumise à un blocus privant les Palestiniens des libertés les plus fondamentales comme celles de se déplacer ou de travailler. En Cisjordanie, administrée par l’Autorité palestinienne, l’occupation militaire israélienne n’en était pas moins violente avec l’avancée des colonies, le recul des espaces agricoles et la pression permanente exercée par les militaires ou les colons sur les populations civiles.

Le malheur palestinien n’a pas commencé le 7 octobre et l’offensive israélienne en territoires occupés non plus. Gaza détruite quinze fois avant cette date, sans compter les massacres en Cisjordanie comme celui de Jénine en 2004. La litanie des exactions est longue ; elle s’inscrit dans l’histoire de l’expulsion des Palestiniens en 1948 et de l’occupation militaire par Israël des territoires palestiniens depuis 1967.

Cette occupation bien qu’illégale car condamnée par l’ONU a été cautionnée dans les faits par le soutien des États-Unis et de l’Europe à Israël. L’absence de sanctions internationales depuis 1967 a favorisé le développement des colonies et la brutalisation de l’occupation militaire.

Aussi le 7 octobre n’est-il pas le début d’un processus, mais son accomplissement ; il est le résultat d’une impasse politique délibérément orchestrée par le gouvernement israélien pour réduire à néant toute possibilité d’un État palestinien.

Dans un article du 8 octobre 2023 paru dans The Times of Israël, la journaliste Tal Schneider soulignait combien la droite avait fait le choix de renforcer le Hamas au détriment l’Autorité palestinienne. Dans ce même article, la journaliste rappelait les propos tenus en 2015 par Bezalel Smotrich, suprémaciste assumé et membre de l’actuel gouvernement israélien, considérant l’Autorité palestinienne comme un fardeau et le Hamas comme un atout.

C’est bien à la lueur de ces propos que l’on doit reconsidérer le 7 octobre. Affaiblir l’autorité palestinienne revenait en effet à éliminer tout interlocuteur politique et à enterrer définitivement les accords d’Oslo. Lorsque Benjamin Netanyahou devient premier ministre en 1996, il ne cache pas ses ambitions, partagées par ses acolytes du Likoud et les partis d’extrême-droite : saboter vaille que vaille les accords d’Oslo qui devaient aboutir en 1999 à la mise en place d’un État palestinien.

La droite israélienne a toujours été très claire sur ce point : les territoires occupés appartiennent à Israël et la population palestinienne doit en être chassée quels que soient les moyens. En 1999, Netanyahou tape du poing sur la table pour demander aux Américains la prolongation de la période de transition ; un an plus tard c’est Ariel Sharon qui torpille les accords de paix en se baladant sur l’esplanade des mosquées et en provoquant la seconde Intidafa.

Le cycle de la violence reprenait ; voilà qui faisait l’affaire de cette droite qui préférait le Hamas au président de l’Autorité palestinien de l’époque, Yasser Arafat, condamné à une mort politique dans son quartier général de Ramallah. Car, comme l’expriment les propos de Bezalel Smotrich en le considérant comme un atout, le Hamas, c’est l’assurance de la radicalité, du vocabulaire de la guerre de religion et du conflit de civilisation. Tout ce dont la droite avait besoin pour mener à bien sa stratégie d’annexion des territoires palestiniens. Les victimes israéliennes ont été prises deux fois en otage, par le Hamas et par leur propre gouvernement plus prompt à accomplir ses visées expansionnistes qu’à les libérer.

Considérer le post-7 octobre 2023 comme une riposte animée d’une volonté de vengeance, aussi barbare soit-elle, ne permet pas de comprendre ce qui est en jeu depuis vingt ans : la dépossession des territoires palestiniens. Or rappeler ce processus, c’est aussi nommer les intentions qui sont à l’œuvre dans les massacres actuels et comprendre la logique en cours dans le « plan de paix » proposé par Donald Trump.

Le 7 octobre 2023 est un événement qui fera date dans l’histoire comme l’échec d’un projet politique discuté et avorté depuis plus de soixante-dix ans. Pour plagier les mots de Marc Bloch dans L’Étrange défaite, ce n’est la situation militaire qui explique cet échec, mais une faillite plus profonde, à la fois d’ordre moral et d’ordre intellectuel d’Israël et de la communauté internationale face à la question palestinienne.

Caroline Piquet - Di Paolo

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