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Billet de blog 7 octobre 2024

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Et si la démocratie, c’était autre chose que voter pour nos dirigeant·es ?

Le 13 octobre, le corps électoral belge va élire ses représentant·es au niveau communal. « Un grand moment de démocratie locale », a rappelé récemment le ministre bruxellois des Pouvoirs locaux. Cependant, voter tous les six ans pour des élu.es qui décideront à notre place sur les questions qui nous concernent – est-ce là tout ce que l’on peut attendre de la démocratie ? Par Sixtine Van Outryve.

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La démocratie représentative : un système démocratique (en crise) parmi d’autres

La démocratie représentative est en crise. Que l’on regarde la désaffection populaire des partis politiques, le déclin de la confiance envers les institutions démocratiques ou l’apparition de démocraties illibérales, les institutions représentatives apparaissent de moins en moins légitimes à exercer le pouvoir public aux yeux des personnes qu’elles sont censées représenter[1]. Mais il est également des défis externes que ce système politique semble incapable de relever : la crise écologique, l’augmentation des inégalités, la crise de l’accueil des personnes migrantes et la montée de l’extrême droite. 

Pour secourir la démocratie représentative en crise de légitimité, les dispositifs participatifs incluant la population dans le processus politique, que cela soit un conseil de quartier, une assemblée tirée au sort ou un budget participatif, se sont multipliés ces dernières années. Bien que la démocratie participative offre des pistes pour améliorer la démocratie représentative, et bien qu’elle permette de faire une brèche dans le mythe de l’individu ordinaire incapable de comprendre les enjeux politiques, elle présente, à son tour, des limites.

Puisqu’ils sont maitrisés et déclenchés par les institutions représentatives, ces dispositifs sont susceptibles d’être instrumentalisés. Ils peuvent ainsi être utilisés comme outils de légitimation de certaines politiques publiques, comme produit électoral utilisant la participation dans une perspective de clientélisme politique, ou comme manière de dépolitiser les conflits sociaux en détournant « les populations de leurs revendications, selon une logique de diversion »[2].

En outre, dans la grande majorité des cas, ces dispositifs n’ont qu’un pouvoir de consultation, et non de décision. La population montre ainsi qu’elle est parfaitement capable de délibérer, et bien souvent d’arriver à des décisions meilleures que ses représentant.es, mais ces derniers ne sont en rien obligés de les appliquer. L’exemple de la Convention Citoyenne pour le Climat en France en est une illustration parfaite.

Après des mois de débats de qualité au sein de cette assemblée de 150 personnes tirées au sort pour proposer des réformes de transition écologique, le Président Macron a trahi sa promesse de soumettre les propositions « sans filtre » au parlement, à référendum ou à application réglementaire. Il a arbitrairement écarté certaines mesures, et neutralisé la portée de ce dispositif participatif dans un schéma de « déprise institutionnelle »[3]. La participation pouvant facilement être vidée de son contenu par le gouvernement représentatif pour conserver son pouvoir, la crise de la démocratie représentative semble donc avoir de beaux jours devant elle. 

L’on peut cependant mettre en cause la démocratie représentative sur une autre base que celle de l’existence d’une crise. Car dans sa logique fondamentale, la démocratie représentative ne permet pas au peuple d’exercer le pouvoir, mais le contraint à confier cet exercice à une minorité de personnes dont la politique devient (et souvent, demeure) la profession. Une fois élue, cette classe gouvernante, séparée de la classe gouvernée, est considérée comme la seule légitime à prendre des décisions pour la population, condamnée à la passivité politique. Cette situation d’aliénation politique est aggravée par la prétention de la démocratie représentative à incarner la seule définition de la démocratie, délégitimant la recherche d’autres modèles démocratiques.

Or, ces modèles alternatifs existent. Si le gouvernement représentatif est l’héritage dominant de la révolution française, il n’est pas le seul. À cette époque se sont aussi développées des assemblées populaires, lors desquelles la population locale se réunissait pour discuter en face-à-face et prendre des décisions sur les affaires publiques, plutôt que de s’en remettre à ses représentants nationaux.

Si de tels espaces démocratiques communaux ont resurgi en France lors de la révolution de 1848 ou la Commune de Paris de 1871, ils ont également été observés ailleurs dans le monde et dans le temps. Au XXIe siècle, l’on peut citer les mouvements des places comme Occupy ou les Indignados, les assemblées de Gilets jaunes sur les ronds-points ou encore les systèmes d’autogouvernement reposant sur la démocratie communale au Chiapas ou au Rojava[4]. Ces exemples montrent que l’aspiration à un autre mode de démocratie que celui qui consiste à voter tous les cinq ou six ans, n’est ni contrôlable, ni tarissable.  

Permettre au peuple assemblé d’exercer directement le pouvoir au niveau local ? 

Les élections communales de ce 13 octobre sont l’occasion d’envisager la démocratie locale sous un angle différent. Non pas comme le moment où le corps électoral choisit ses dirigeant.es pour les six prochaines années, mais plutôt comme le lieu d’expérimentation d’une de ces autres formes de démocratie : la démocratie directe communaliste. Le communalisme est un projet politique développé par le penseur américain Murray Bookchin à partir d’expériences historiques d’autogouvernement local. Il propose la commune comme unité démocratique principale, plutôt que l’État-nation, afin que celle-ci soit le lieu où le peuple s’assemble pour exercer directement le pouvoir, plutôt que de laisser cette tâche à des représentant.es professionnel.les de la politique. Si la taille des États modernes rend impossible la délibération de masse, celle de la commune permettrait à la population de débattre et de décider en face-à-face.

Imaginons donc un système où les décisions politiques ne seraient pas prises par l’assemblée des représentant.es du peuple – le parlement – mais bien par le peuple lui-même, réuni en de multiples assemblées locales. Inversant la logique fondamentale de la démocratie représentative qui « n’accorde aucun rôle institutionnel au peuple assemblé »[5], la démocratie directe communaliste vise précisément à instituer ce peuple assemblé, et à lui donner le premier rôle. Reconnaissant que la vie politique sera inévitablement pavée de désaccords, l’assemblée du peuple est ainsi vue comme l’entité légitime pour débattre et poser ces choix politiques, plutôt que laisser ses représentant.es décider à sa place.  

Une des stratégies pour institutionnaliser ce peuple assemblé est d’occuper les institutions municipales existantes afin de les transformer radicalement. Loin de considérer les élections communales comme un moment pour choisir ses dirigeant.es, il s’agit de les utiliser pour transférer le pouvoir des élu.es vers le peuple assemblé au niveau local, en les soumettant aux décisions de ce dernier. La stratégie consiste donc à présenter des candidat.es aux élections communales qui s’engageraient à lier leur mandat aux décisions de l’assemblée ouverte à tou.tes les habitant.es de la commune. Il n’est donc pas question de simplement présenter une liste dite « citoyenne » – qui, trop souvent, est une appellation utilisée par les professionnel.les de la politique pour se faire une nouvelle jeunesse en se prétendant plus proches du peuple – mais de réellement changer qui exerce le pouvoir, et comment.

À l’instar des assemblées à Commercy, sur lesquelles j’ai concentré ma thèse, des mouvements tentent de faire élire des individus ordinaires avec le mandat d’exécuter les décisions de la population locale réunie en assemblée. Afin d’encadrer cet exercice populaire du pouvoir, ce mouvement a élaboré une Constitution locale qui détaille le fonctionnement de l’assemblée, sur base de sa pratique pendant le mouvement des Gilets jaunes. Cette expérimentation de démocratie locale contredit ainsi deux principes sur lesquels s’est construit le gouvernement représentatif. Elle montre que les individus ordinaires sont capables d’exercer directement le pouvoir, mais aussi de créer eux-mêmes les institutions qui leur permettraient de le faire.

Bien entendu, de nombreuses questions dépassent le territoire communal, et le projet communaliste ne vise pas à recréer des îlots autarciques et autosuffisants, loin de là. Au-delà du local, ces assemblées pourraient donc s’organiser en conseils confédéraux regroupant des personnes envoyées par chaque assemblée locale. Ces délégué.es seraient doté.es de mandats impératifs (soit une liste d’instructions précises décidées par l’assemblée) ; révocables (permettant de remplacer la déléguée si elle ne respecte pas son mandat) ; et rotatifs (pour que le pouvoir circule et que la tâche politique soit déprofessionnalisée).

Si le cadre de cette chronique ne permet pas de développer ce système politique alternatif ni de le défendre face aux nombreuses interrogations et objections que cette proposition doit certainement, et légitimement, susciter[6], peut-être permet-elle d’ébranler la certitude que la démocratie représentative est tout ce que l’humanité est capable d’imaginer, et de faire émerger l’idée que nous pouvons collectivement créer d’autres formes de démocratie.

Sixtine Van Outryve, autrice d’une thèse en droit intitulée « Théorie et pratique de la démocratie directe communaliste. L’autogouvernement par le peuple assemblé » (UCLouvain) et post-doctorante (Radboud Universiteit), pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

[1] Sur la crise de la démocratie représentative, voy. entre autres Yannis Papadopoulos, Democracy in Crisis?: Politics, Governance, and Policy, Palgrave Macmillan, 2013 ; Simon Tormey, The End of Representative Politics, Polity Press, 2015 ; Adam Przeworski, The Crises of Democracy, Cambridge University Press, 2019 ; Hélène Landemore, Open Democracy. Reinventing popular rule for the Twenty-First Century, Princeton University Press, 2020.

[2] Guillaume Gourgues et Alice Mazeaud, « Une ‘participation d’État’ sous contrôle. La neutralisation décisionnelle des dispositifs participatifs en France », Revue française de science politique, 72 (5), 2022, pp. 781-804.

[3] Sur ce concept, voy. Guillaume Gourgues et Alice Mazeaud, « Les assemblées citoyennes et le « policy-making » Quelle place pour la délibération publique dans les rapports de force ? », in Les assemblées citoyennes : Nouvelle utopie démocratique ?, Confluence des droits, 2022, pp. 253-270.

[4] Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond (éds.), La commune du Rojava. L’alternative kurde à l’État-nation, Syllepses/Critica, 2017.

[5] Bernard Manin, Principes du Gouvernement représentatif, Flammarion, 1995, p. 19.

[6] Je renvoie pour cela à ma thèse intitulée « Théorie et pratique de la démocratie directe communaliste. L’autogouvernement par le peuple assemblé ».

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