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Billet de blog 8 septembre 2025

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Désarmer le Hezbollah. Un tournant historique pour le Liban

Le 7 août 2025, le gouvernement libanais ordonne le désarmement du Hezbollah. Cette décision historique impulsée par des pressions internationales et un contexte régional redessiné remet en cause le paradigme de la « résistance armée ». Entre craintes de guerre civile et espoir de renaissance, le pays joue son avenir, par Jihane Sfeir.

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La décision du gouvernement libanais, prise le 7 août dernier, d’affirmer le monopole de l’État sur les armes marque un tournant, voire une rupture, dans l’histoire contemporaine du pays. Pour la première fois depuis des décennies, l’État libanais remet officiellement en cause la légitimité des armes du Hezbollah longtemps présenté comme un pilier de la « triade » sacrée : armée, peuple, résistance. Cette rupture s’inscrit dans un contexte de défaite militaire, d’isolement politique et de pressions internationales. Le gouvernement a chargé l’armée d’élaborer un plan de désarmement du Hezbollah d’ici la fin de l’année, sous l’impulsion des États-Unis.

Cette décision n’est pas le fruit du hasard. Elle est le résultat d’un processus long et complexe, marqué par l’affaiblissement progressif du Hezbollah, l’assassinat de son chef charismatique Hassan Nasrallah, la transformation des rapports de force régionaux, et une crise socio-économique sans précédent. Pour comprendre sa portée, il faut revenir sur les dynamiques qui ont conduit à ce moment charnière, analyser les réactions des différents acteurs afin d’évaluer les défis qui attendent le Liban.

1. La perte de la légitimité des armes

Depuis sa fondation en 1982, le Hezbollah a bâti sa légitimité sur deux piliers : la lutte contre Israël et son intégration dans le système politique libanais. Après l’invasion israélienne, il s’impose comme le principal mouvement de résistance, notamment avec le retrait israélien du Sud en 2000 et la guerre de 2006. Son image de « protecteur » renforce son assise populaire, en particulier chez les chiites.

L’accord de Taëf (1989), qui mit fin à la guerre civile, entérine implicitement cette légitimité, permettant au Hezbollah de conserver son arsenal au nom de la « résistance ». Progressivement, le parti intègre le jeu politique, occupant des postes-clés dans les institutions, participant au partage des ressources et s’imposant comme acteur incontournable aux côtés de la Syrie des Assad.

Cependant, cette légitimité s’érode dès les années 2010, avec l’engagement du Hezbollah dans la guerre syrienne (à partir de 2012), qui divise l’opinion publique libanaise et affaiblit son image de mouvement de résistance nationale. L’accumulation d’armes lourdes menace de plus en plus la stabilité du pays et la crise économique libanaise déclenchée en 2019 remet en question le rôle du Hezbollah, accusé par certains de prioriser les intérêts de l’Iran au détriment de ceux du Liban.

L’engagement du parti auprès du Hamas dans la guerre du 7 octobre 2023, et l’intensification des frappes israéliennes sur le territoire libanais en 2024, sapent les capacités militaires du parti et fragilisent son assise populaire et politique. Et avec l’assassinat de son leader charismatique Hassan Nasrallah et de plusieurs hauts responsables, le mythe de dissuasion du Hezbollah s’effondre. Selon l’armée libanaise, plus de 90 % des infrastructures militaires du Hezbollah au Sud-Liban sont démantelées.

Le Hezbollah n’a plus la stature d’acteur incontesté. Isolé au Liban et sans vision régionale cohérente, le mouvement est affaibli par les pertes militaires et le retrait du soutien iranien.

2. Désarmer le Hezbollah, une décision qui marque un tournant.

Depuis 2023, les États-Unis intensifient leurs efforts pour désarmer le mouvement et stabiliser la région, tout en préservant les intérêts de l'État hébreu. Après avoir œuvré en faveur d'un cessez-le-feu avec Israël en novembre 2024, l'émissaire américain Thomas Barrack multiplie ses visites à Beyrouth et exhorte le gouvernement libanais à désarmer le Hezbollah, afin de renforcer le contrôle de l'armée sur l'ensemble du territoire, en échange d'un retrait progressif des forces israéliennes. Pour Washington, cette pression s'inscrit dans une stratégie plus large visant à affaiblir l'influence iranienne au Liban et en Syrie, et à stabiliser la frontière nord d'Israël.

Sous la pression américaine, le gouvernement de Salam-Aoun officialise son projet de désarmement du parti le 7 août 2025. Les partisans du Hezbollah réagissent avec virulence, qualifiant la décision du gouvernement de « péché grave » et de « soumission aux diktats américains ». Si l'aile radicale du parti estime que cela équivaudrait à un suicide, plusieurs signes indiquent toutefois que le groupe est contraint de composer avec la nouvelle réalité. En effet, la marge de manœuvre du mouvement est réduite sur le plan politique, en raison de l'affaiblissement de ses soutiens régionaux, de la réduction de ses ressources financières et de la dégradation de ses capacités militaires.

Le Hezbollah est actuellement dans une phase cruciale et décisive pour son avenir. N’étant plus un acteur majeur dans la politique libanaise, il doit composer avec une réalité libanaise où  les forces politiques opposées au Hezbollah saluent la décision du gouvernement, y voyant une opportunité de restaurer l’autorité de l’État. Cependant, leur optimisme est tempéré par plusieurs craintes. Certains redoutent que le désarmement forcé du Hezbollah ne déclenche une nouvelle guerre civile, d’autres craignent de nouvelles agressions israéliennes mettant en péril la souveraineté du pays et la reconstruction des régions du Sud, dévastées par la guerre.

Au sein de la population, les réactions sont contrastées. Si une partie de la communauté chiite reste fidèle au Hezbollah, des voix critiques émergent. Les sunnites et les maronites, traditionnellement hostiles au Hezbollah, voient dans cette décision une chance de réduire son influence. Néanmoins, dans ce contexte de profondes divergences sur la question des armes, des leaders chrétiens tendent la main à la communauté chiite.

3. Les défis de la transition

La décision du gouvernement ne suffit pas à garantir le désarmement effectif du Hezbollah. Plusieurs obstacles majeurs se dressent. Le groupe dispose encore de milliers de combattants et d’un réseau de soutien logistique. Son désarmement nécessiterait une opération militaire complexe, que l’armée libanaise n’est pas en mesure de mener seule.

Le désarmement du Hezbollah pose ainsi une question existentielle pour la communauté chiite, qui a longtemps vu dans le parti de Dieu son principal représentant. Son désarmement peut favoriser l’émergence de nouveaux leaders chiites modérées ou au contraire radicaliser une frange de la communauté qui se sent trahie dans son combat pour la résistance contre Israël. Dans le premier cas, le mouvement se diluera dans la démocratie consociative libanaise ; dans le second, on risque de glisser dans une guerre civile, voire une guerre ouverte avec Israël. Les mises en garde répétées de Naïm Qassem[1], hélas, ne font que confirmer ce scénario.

L’une des conditions essentielles pour éviter l’escalade réside dans la capacité à sortir de la crise économique et à reconstruire les régions dévastées par la guerre avec Israël, bastions historiques du Hezbollah. Ces zones, où la pauvreté et le chômage ont explosé depuis 2020, abritent une population largement dépendante des services sociaux et de l’aide fournie par le parti. Une reconstruction rapide et un plan de relance économique y seraient perçus comme une preuve tangible de l’efficacité de l’État. Pourtant, ce projet se heurte à un paradoxe insurmontable : les promesses d’aide internationale, indispensables à cette reconstruction, sont explicitement conditionnées à des réformes structurelles, dont le désarmement du Hezbollah.

La décision du gouvernement libanais de désarmer le Hezbollah constitue un tournant historique, mais son succès dépend de conditions multiples. Pour être viable, il faut mettre fin aux attaques israéliennes, obtenir des garanties sécuritaires internationales, limiter l’ingérence iranienne et engager des réformes profondes. Le gouvernement doit aussi démontrer sa capacité à reconstruire le pays et maintenir un dialogue avec le Hezbollah afin d’éviter une confrontation. Si les conditions sont réunies, l’armée pourra contrôler tout le territoire et le Liban amorcer une transition démocratique. Si elles échouent, le Hezbollah refusera de se désarmer, le pays restera paralysé et risquera de sombrer dans la guerre civile. En somme, le désarmement du Hezbollah est moins une fin qu’un processus global de renouveau politique, sécuritaire et institutionnel.

Jihane Sfeir, historienne du monde arabe contemporain, professeure à l’Université libre de Bruxelles et chercheure au REPI et OMAM, pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

[1] Le nouveau secrétaire général du Hezbollah.

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