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Billet de blog 11 janvier 2025

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On sait enfin qui sera notre Premier Ministre : une femme ? Bien sûr que non

La Belgique tarde à former un gouvernement, et plus encore à nommer des femmes à sa tête. Bien que la parité au sein des instances de pouvoir s’améliore, on ne peut s’en contenter. Face à une démocratie fragilisée et des droits des femmes menacés, il ne suffit plus de se cacher derrière ce qui a toujours été fait. Par Noémie Evrard et Scott Brenton.

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La scène politique belge : Le Roi, le Premier Ministre et les Ministres Présidents.

Mais alors, où sont les femmes ? Si la composition précise du Gouvernement Fédéral et du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale reste à finaliser, une chose est sûre : une fois encore, il n'y aura pas de femmes à la tête des gouvernements fédéral et régionaux. La seule femme dirigeante étant la Ministre Présidente de la Communauté française, Élisabeth Degryse (Les Engagés). Il convient de rappeler la controverse suscitée autour de ce gouvernement dont la composition d’origine proposait uniquement des femmes. Une situation alors contraire à la Constitution et aux décrets.

À la suite des élections de juin, le roi (il n'y a jamais eu de reine souveraine) a reçu les président·es de parti, à commencer par une série d'hommes en costume bleu. Les seules femmes étaient Melissa Depraetere (Vooruit) – rapidement remplacée par Conner Rousseau, l’ancien président controversé – et les co-présidentes d’Ecolo et de Groen.

Femmes en politique : un plafond de verre[1] toujours infranchissable

Si les femmes participent aux négociations, elles ne le font pas en tant que leaders. Pour cause, elles rencontrent de nombreux obstacles avant de gravir ces échelons.

Notamment les comportements sexistes subis dans l’arène politique qui s’étend aujourd’hui aux réseaux sociaux. Récemment, l’échevine de l’égalité à Schaerbeek, Sihame Haddioui (Ecolo), a porté la création d’une charte d’engagement pour la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en politique. Une avancée historique et nécessaire à la participation des femmes et des minorités en politique.

Dans les rares occasions où une femme dirige, on ne lui accorde pas nécessairement le même respect que ses homologues masculins. Ainsi, en région bruxelloise. Les trois principaux partis francophones (PS, Les Engagés et MR) – dont les présidences sont encore le lieu d’un entre-soi masculin – ont formé la moitié d'un gouvernement sans même consulter la formatrice néerlandophone et cheffe du plus grand parti de cette communauté, Elke Van den Brandt (Groen). Ces présidents de parti ont alors soumis une proposition, votée par le Parlement bruxellois, pour reporter la prochaine phase de restriction de la zone à faible émission (LEZ). Alors que beaucoup affirmeront que cette mise à l’écart est le fruit de son idéologie et non de son genre, imaginez comment une telle situation serait perçue dans tout autre environnement professionnel : un groupe d’hommes excluant délibérément une femme d’une discussion clé à laquelle elle aurait légitimement dû participer. Une telle tactique aurait-elle jamais été envisagée si le leader concerné avait été Bart De Wever (N-VA) ?

Et que penser des traditionnelles négociations nocturnes ? Bien que celles-ci seraient la preuve d’un engagement sans relâche à former un gouvernement, elles créent par ailleurs un environnement de travail discriminant. Notamment pour les personnes assumant des responsabilités d’aidante proche, dont la majorité sont des femmes. Soyons honnêtes, à l’échelle de la formation d’un gouvernement, ce théâtre politique n’a, jusqu’à aujourd’hui, pas réellement abouti à une prise de décision opportune. Il s'agit plutôt d'une tactique reconnue pour fatiguer ses adversaires.

Les quotas de genre en politique : une avancée essentielle, mais loin d’être miraculeuse.

Les quotas de genre dans les listes électorales, même s’ils n’ont pas encore abouti à la parité dans les parlements belges, tendent tout de même à renforcer la représentation des femmes dans ces institutions. Sur ce sujet, les partis en négociations pour former le futur gouvernement fédéral, n’ont pas manqué de s’empresser d’exprimer leur intention de supprimer les quotas de genre dans les conseils d’administration des entreprises cotées et des services publics fédéraux. Alors même que, en 2018, la Belgique était reconnue comme l’un des pires élèves européens en la matière et ce malgré une progression depuis l’instauration des quotas de genre. Plus prometteur à l’échelle du pouvoir exécutif, la parité est observable parmi les ministres et, à certaines occasions, on compte même une majorité de femmes. Toutefois, le fameux « plafond de verre » persiste lorsqu’il s’agit de gravir la dernière marche. Une observation qui s’est dernièrement confirmée à l’échelle communale. Ainsi, Sophie Wilmès est la seule femme à avoir occupé le poste de Première Ministre belge, durant une courte période et à titre intérimaire lors de la crise Covid-19. C'était 60 ans après que la première femme dirigeante au monde soit élue et après que plus de 50 autres pays aient élu des femmes présidentes et premières ministres.

Le court mandat de Wilmès a été au moins plus long que celui de Liesbeth Homans, qui a été Ministre Présidente de la Flandre pendant 3 mois et qui est à ce jour la seule femme à avoir dirigé ce gouvernement. Il n'y a jamais eu de femmes Ministres Présidentes de la Région wallonne, de la Région de Bruxelles-Capitale ou de la Communauté germanophone. Seule la Communauté française a été dirigée par des femmes à plusieurs reprises. En revanche, lorsqu’il s’agit de la présidence des partis francophones, le constat est particulièrement alarmant. Il n'y a jamais eu de femmes présidentes du Parti socialiste, du Mouvement réformateur et du Parti du travail de Belgique (et du Partij van de Arbeid van België). Il y a tout de même des exceptions notables en plus du système de co-présidence d’Ecolo : de 1977 à 1982, Antoinette Spaak présidait le Front démocratique francophone (FDF, devenu DéFi). Réelle pionnière, elle soutiendra la dépénalisation de l’avortement et la féminisation des noms de métiers et fonctions au sein de la Communauté française. De 1999 à 2011, Joëlle Milquet présida le Centre démocrate humaniste (aujourd’hui, Les Engagés). C’est également elle qui, en tant que Vice-Première Ministre et ministre de l’Emploi et de l’Égalité des chances (2008-2011) a instauré la mise en œuvre de la budgétisation sensible au genre. Cela montre que l’égalité, entre autres, de genre dans le leadership ne se limite pas à refléter la diversité de la société. Elle vise également à enrichir les politiques publiques en intégrant diverse perspectives, pour des décisions plus inclusives et éclairées.

La Belgique à la peine face à ces voisins.

Parmi nos pays voisins, le seul qui fait pire que la Belgique est le Luxembourg. Aux Pays-Bas, deux des quatre partis au pouvoir sont dirigés par des femmes ; les récentes élections présidentielles françaises ont mis en vedette Marine Le Pen ; les prochaines élections allemandes verront probablement trois femmes diriger ou codiriger les sept plus grands partis. Le Royaume-Uni s’est distingué par la présence de femmes dirigeantes influentes, y compris la reine. Bien que les récentes élections aient été largement dominées par des hommes, aujourd’hui, une femme noire dirige un des principaux partis britanniques, un fait qui rappelle les élections américaines. Une réalité qui, à ce jour, semble encore hors de portée dans le paysage politique belge.

Qu'est-ce qui doit changer ?

À l’aube d’une nouvelle année, il n’y a plus d’excuse pour que persiste une telle sous-représentation en politique. Il ne s’agit pas ici d’un débat sur le mérite. De nombreuses femmes ont démontré leur compétence, tandis que bien des hommes, qui n’ont pas seulement dû compter sur leur mérite, continuent d’afficher des bilans mitigés après des siècles de domination politique. Le mérite comme critère de réussite n’existe pas sur le terrain de jeu biaisé de nos institutions androcentrées. Les prochaines élections nous laissent quelques années devant nous, offrant aux partis une opportunité réaliste d’adopter des modèles de co-présidence et de reconnaître, à juste titre, les politiciennes au sein de leurs rangs. La démocratie est fragile, et il est temps de bousculer les scénarios traditionnels. Il ne suffit plus de répéter ce qui a toujours été fait ; il est crucial d’innover pour que notre système politique reflète réellement la diversité et les réalités vécues au sein de la société.

Noémie Evrard, Doctorante UCLouvain, au sein d’ISPOLE (Institut de Sciences Politiques Louvain-Europe), et membre du Groupe de Recherche en Etudes de Genre (GREG), et Scott Brenton, Professeur en administration publique et management public, Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, de l’UCLouvain,  pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

[1] Le plafond de verre désigne une barrière invisible qui limite l'accès des femmes aux postes de pouvoir, malgré leurs compétences et qualifications. Il symbolise les obstacles systémiques liés aux préjugés, aux stéréotypes ou aux structures institutionnelles.

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