Mercredi 27 novembre 2019. Après plusieurs semaines d’intense communication, NewB annonce la réussite de sa campagne de récolte de fonds. L’objectif de 30 millions d’euros est même dépassé. Un engouement populaire. Les porteurs du projet NewB sont bien conscients qu’ils ne sont encore qu’à mi-chemin, qu’il faudra encore transformer l’essai pour durer. Le monde de la finance solidaire belge tient néanmoins son premier grand exemple de succès d’une structure coopérative, finalement soutenue par 116.804 citoyens coopérateurs[1].
34 mois plus tard, les craintes sont vives. On reproche notamment au management de NewB d’avoir surestimé le potentiel de faire de ces coopérateurs des clients, n’ayant jusqu’aujourd’hui réussi à en attirer que 20.000. De plus, les changements au sein de la direction ont suscité des questions sur la gestion de la coopérative. On annonce ce mercredi 5 octobre que les 40 millions d’euros supplémentaires exigés par la Banque Nationale de Belgique (BNB) pour fin septembre n’ont pas encore été récoltés.
Ces dernières semaines, suite à la pression de la BNB, la recapitalisation de NewB a ainsi été à l’ordre du jour des conseils d’administration de plusieurs investisseurs ou fonds d’investissement privés ou publics. Continuer à soutenir, avec de l’argent public, une entreprise qui n’est pas (encore) rentable, était-ce acceptable ? Serait-ce valider « l’échec » d’une entreprise qui n’arrive pas à attirer suffisamment de clientèle ? À moins que la situation soit moins inextricable qu’elle n’y paraît ?
Les problèmes de NewB, une réelle surprise ?
Les difficultés de NewB ne devraient sans doute pas vraiment nous étonner. D’abord, on ne le dira jamais assez, faire vivre une entreprise sociale dans une économie de marché présente d’importantes difficultés, même si c’est également, à d’autres égards, une force. Si gérer la mise en place d’une nouvelle entreprise n’est pas une sinécure, lancer une start-up qui se veut exemplaire d’un point de vue social et environnemental l’est en effet encore moins. Ce qui arrive à NewB se passe pour de très nombreuses start-ups œuvrant dans le champ de la durabilité. On peut observer que combiner performance financière et non-financière reste souvent un défi dans la finance durable ou « à impact » (une finance visant directement un objectif social ou environnemental et cherchant à mesurer son impact)[2] et qu’arriver à l’équilibre financier prend habituellement plus de temps pour les start-ups les plus engagées sociétalement. Il est sans doute illusoire d’avoir les mêmes attentes de rentabilité pour la finance solidaire que pour la finance traditionnelle.
Par ailleurs, la conjoncture des trois dernières années, avec notamment les différentes crises et des taux d’intérêt assez faibles, a accentué les difficultés de nombreuses entreprises engagées dans la durabilité, par exemple dans le secteur du bio ou des circuits courts. En outre, la communication de nombreuses banques traditionnelles quant à leurs produits plus durables a rendu plus floue, pour des clients non spécialistes, la frontière entre types d’investissements.
Autre élément, la gouvernance participative mise en place par NewB nécessite plus de temps qu’une structure hiérarchique traditionnelle. Rappelons également que cela faisait 50 ans qu’une nouvelle banque indépendante (qui n’émane pas d’une autre banque ou d’une institution financière déjà existante) n’avait plus vu le jour en Belgique. NewB a dû tracer un chemin nouveau, ajuster (voire inventer) des repères adaptés à son identité.
Enfin, les problèmes internes de NewB ne sont pas exceptionnels. Il n’est en effet pas rare que la gestion des ressources humaines, telle que le recrutement, soit un des talons d’Achille des entreprises sociales[3].
NewB demain : Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ?
La Wallonie a choisi de ne plus financer NewB. Selon moi, les débats sur une éventuelle recapitalisation de NewB par les pouvoirs publics s’inscrivent dans la problématique plus large du rôle de l’État dans une économie de marché et, plus largement encore, la question des investissements publics dans la transition de nos sociétés.
Deux arguments me semblaient pouvoir justifier un engagement financier public supplémentaire dans NewB. En premier lieu, même si les limites de l’intervention publique restent floues et sujettes à débat, on peut estimer que les entreprises offrant un service sociétal, ayant un impact sociétal fort positif, devraient pouvoir être financées à différentes reprises par les pouvoirs publics. Des conditions de performance peuvent évidemment être apposées à ce soutien.
Deuxièmement, l’investissement additionnel d’argent public pourrait permettre d’attirer des financements privés complémentaires, ce que l’on nomme le phénomène de « crowding-in »[4]. Or le secteur de la transition en manque encore cruellement, comme l’indique le dernier rapport du GIEC pour qui la transition climatique nécessite une multiplication entre trois et six fois des financements actuels (publics et privés confondus) d’ici 2030[5]. La difficulté de NewB à trouver des investisseurs institutionnels privés est un nouvel exemple des difficultés de la finance dite « à impact » de mobiliser des investisseurs institutionnels acceptant des performances financières en dessous de celles offertes par les marchés[6].
L’intervention de pouvoirs publics ou d’investisseurs institutionnels risque cependant d’être insuffisante. Le plus grand défi de NewB - et sans doute le principal écueil jusqu’ici - est de faire de ses investisseurs coopérateurs des clients. Fin septembre 2022, seul un sur six était devenu client, ce qui est insuffisant avec le modèle existant. La longue période entre la fin de la récolte de fonds participative et le lancement des premiers produits financiers n’a sans doute pas facilité les choses. Le « soufflé » de l’enthousiasme a eu le temps de retomber.
Mais là aussi, il n’est pas exceptionnel que seule une petite partie des coopérateurs soient finalement actifs. Peut-être s’agit-il, en partie du moins, d’un nouvel exemple du phénomène de « passager clandestin[7] », bien connu en économie ? Embarqués tous ensemble dans le bateau de NewB, de nombreux coopérateurs espéraient sans doute, consciemment ou pas, que sa santé financière ne nécessiterait pas un changement de banque de leur part.
À moins qu’il ne faille imaginer revoir le modèle pour qu’il fonctionne avec un petit nombre de clients, ou se limite à jouer le rôle d’intermédiaire financier, acceptant alors de beaucoup plus modestes ambitions ?
En tous cas, ce qui se joue ici avec NewB dépasse de loin son cas spécifique vu la visibilité de la banque et les espoirs qu’elle a suscités. Les enjeux soulevés mettent en lumière d’indéniables nœuds de la finance solidaire et même plus largement de la finance, et touchent à la difficile concrétisation d’une autre économie, au moment où elle est plus utile que jamais.
Marek Hudon, Professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management (SBS-EM) de l'ULB,
Pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/)
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[1] https://www.newb.coop/fr/a-propos-de-newb (Consultée le 03/10/2022)
[2] Bernal, O., Hudon, M. and F-X Ledru (2021), Are impact and financial returns mutually exclusive? Evidence from publicly-listed impact investments, The Quarterly Review of Economics and Finance, 81, 93-112.
[3] Battilana, J. & S. Dorado (2010), Building sustainable hybrid organizations: The case of commercial microfinance organizations. Academy of management Journal, 53(6), 1419-1440.
[4] Reichert, P., Hudon, M, Szafarz, A. & R. Christensen (2021), Crowding-in or crowding-out? How subsidies signal the path to financial independence of social enterprises, Perspectives on Public Management and Governance, 4, 3, 291-308
[5] GIEC (2022), 6th Assessment Report.
[6] https://www.lecho.be/entreprises/general/les-institutionnels-se-font-trop-rares-dans-l-investissement-a-impact/10412757.html
[7] Le phénomène de passager clandestin fait référence aux situations où un acteur bénéficie (en partie) d’un bien sans contribuer au coût ou en contribuer faiblement à l’action collective. https://www.scienceshumaines.com/le-probleme-du-passager-clandestin_fr_40390.html