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Billet de blog 21 mai 2025

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Belgique : la coalition Arizona n’assainira pas les finances publiques. Pistes alternatives

Alors que le redressement des finances publiques belges est compromis par une surestimation des effets de la réforme du marché du travail, il est possible de discerner des mesures alternatives. Celles-ci reposent sur la volonté de taxer le capital avant versement des dividendes via l’impôt des sociétés et sur la mise à contribution des gros patrimoines. Par X.Dupret, L.Pirnay et J.-F.Tamellini

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Effets retour surévalués

Plus personne ne l’ignore désormais. L’Arizona doit, pour rentrer dans les clous du Pacte de Stabilité, trouver 23 milliards d’euros. À y regarder de plus près, cet assainissement des finances publiques repose sur des bases précaires.

On en voudra pour preuve le fait que la trajectoire proposée par le gouvernement comporte 8 milliards d’euros d’effets retour liés aux réformes du marché de l’emploi (notamment la limitation dans le temps des allocations de chômage). Pour parvenir à ce résultat, le taux d'emploi en Belgique devra se situer au niveau de 80% en 2029. Ce cas de figure correspond à la création de 550.000 postes de travail au minimum alors que le Bureau du Plan projette, au terme de la législature, 300.000 emplois supplémentaires en Belgique, soit à peine plus de la moitié des prévisions de la coalition au pouvoir. À ce propos, Pierre Wunsch, Gouverneur de la Banque nationale, a récemment émis de sérieux doutes sur la crédibilité des ambitions gouvernementales en cette matière[1].

En prenant l’exact contrepied des recettes préconisées par la NVA et le MR, c’est-à-dire en misant davantage sur la redistribution fiscale que sur la réduction des dépenses, il s’avère, en revanche, possible de satisfaire aux exigences de l’Europe sans pour autant toucher aux droits des allocataires sociaux ou des fonctionnaires. La pierre angulaire de cette approche repose sur l’hypothèse que le droit fiscal chez nous avantage trop le capital.

Impôt des sociétés

On commencera par s’intéresser à l’impôt des sociétés (ISOC), lequel a été allégé en Belgique quand Charles Michel était premier ministre. Dans le détail, avant la réforme de 2017, le taux maximal de l’ISOC s’élevait à 33%. De leur côté, les petites et moyennes entreprises (PME) bénéficiaient d’un régime préférentiel décliné en deux tranches. La plus faible (jusque 25.000 euros de bénéfice) était taxée à hauteur de 24,5%. Le niveau intermédiaire (jusqu’à 90.000 euros) était, pour sa part, imposé à raison de 31%. Au-delà, le taux de 33% était appliqué. Après réforme, l’ISOC a été ramené à 25% pour toutes les sociétés du pays. Un taux préférentiel de 20% est également appliqué aux PME. Il est cependant limité aux 100.000 premiers euros de bénéfices. Au-delà, le régime général s’impose.

La Suédoise avait promis que la révision de l’ISOC s’autofinancerait par l’accroissement des investissements et la création d’emplois qui en résulterait. On retrouve une fois de plus l’idée d’effets retour pour les finances publiques.

Dix ans plus tard, il est possible de faire le point en toute sérénité sur l’impact réel de ces dispositions. Avec le recul, on peut, d’une part, constater que les mesures fiscales du gouvernement Michel n’ont débouché que sur la création de 27.500 emplois privés au lieu des 150 à 175.000 initialement promis[2]. D’autre part, la baisse de l’ISOC s’est surtout soldée, d’après la Cour des Comptes, par une diminution de recettes de l’ordre de 4,8 milliards d’euros en 2021[3].

Si l’on rapporte ce chiffre au niveau de l’indice des prix en vigueur au début de cette année, on a affaire à une perte de 5,26 milliards au budget de l’année 2025. En rétablissant l’ISOC à son niveau de 2017, on pourrait donc collecter 5 fois ce montant au cours de la présente législature, soir un peu plus de 26 milliards d’euros.

Impôt sur la fortune

Dans le même ordre d’idées, les différentes formules d’impôt sur la fortune (ISF) figurant dans les programmes des partis ont fait l’objet d’une évaluation par le Bureau du Plan. La même méthode d’estimation a, par ailleurs, été appliquée dans une récente recherche du Center for Operations Research and Econometrics (Core, UCL) consacrée à la taxation du patrimoine.

Il ressort de ces travaux que si l’on concentre un ISF sur le pourcent le plus fortuné du pays (en statistiques, on parle de centiles), il rapporte moins qu’un taux d’imposition (éventuellement plus faible) visant plus largement le décile (soit la part des 10%) le mieux loti. En outre, plus l’ISFest progressif, plus les retombées sont positives pour les finances publiques. De ce point de vue, la proposition du Core se caractérise par la plus forte dimension de progressivité puisqu’elle commence à taxer la fortune à partir d’un million d’euros à raison de 1% et à partir de 2 millions à 2%. Au-delà de 3 millions, une charge uniforme de 3% est appliquée. C’est ce dernier modèle qui rapporte le plus au fisc, entre 9 et 13 milliards d’eurospar an[4].

En mettant en œuvre cette dernière formule de taxation de la fortune, on touche les 15% des ménages belges les plus fortunés. À ce sujet, une récente étude[5] a montré que le processus de mondialisation entamé au début des années 1980 a essentiellement profité au décile le plus fortuné de la populationdans la distribution des revenus nationaux. Le neuvième décile n’a pas connu de modification notable de sa situation alors que les déciles 1 (les 10% des plus pauvres) à 7 ont vu leurs niveaux de viese détériorer. Autrement dit, les milieux populaires et la classe moyenne connaissent une dégradation de leurs conditions d’existence depuis plus de 40 ans de sorte que la création d’un ISF leur serait profitable alors que seule une minorité aurait à s’acquitter de ce nouvel impôt.

Xavier Dupret (professeur ISFSC/Association Joseph Jacquemotte), Laurent Pirnay (Vice-président CGSP fédérale/Professeur HEPL), Jean-François Tamellini (Secrétaire général FGTB Wallonne), pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Cette chronique s’inspire de l’étude réalisée par l’Association Joseph Jacquemotte intitulée « Taxer le capital en Belgique. Faire le point sur différentes propositions » (Url : https://www.acjj.be/taxer-le-capital-en-belgique-faire-le-point-sur-differentes-propositions/

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

[1] L’Écho, Gouvernement fédéral: la BNB affirme que les objectifs budgétaires de l'Arizona ne seront pas atteints, édition du 20 février 2024.

[2]Bodart, V., M. Dejemeppe et F. Fontenay (2019). Evolution de l'emploi en Belgique : tentons d'y voir plus clair in Regards économiques, Numéro, 146.

[3] Rapport de la Cour des comptes, Commentaires et observations sur les projets du budget de l’État pour l’année budgétaire 2018, p.124.

[4]Toniotti, M. (2024). Que rapporterait une taxe sur le patrimoine en Belgique ? Regards économiques, Numéro 184.

[5] Lang, V, Tavares, M, “The global distribution of gains from globalization” in The Journal of Economic Inequality, vol.22, 2024, pp.357-381.

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