Les guerres et les conflits actuels ont déjà, et continueront d’engendrer d'importants dommages quantifiables tels que le nombre de morts, de déplacés, ou la destruction d'infrastructures. Cependant, quantifier les cicatrices psychologiques qui découlent de ces évènements est bien plus ardu. Un simple exercice sur Internet le confirme : recherchez un désastre majeur, d’origine humaine ou naturelle, et les chiffres des victimes ou les coûts économiques apparaissent immédiatement. Toutefois, ces plateformes ne recensent pas les dommages moins visibles qui bouleversent profondément l'esprit humain.
Le stress post-traumatique
Des avancées significatives ont été faites pour reconnaître et comprendre les conséquences psychologiques d'un traumatisme. Le syndrome de stress post-traumatique (PTSD, en suivant l’acronyme anglais) désigne un ensemble de réactions susceptibles de survenir après un événement traumatique. Ce syndrome ne se manifeste pas forcément immédiatement mais peut apparaître des mois, voire des années plus tard, et peut perdurer s’il n’est pas traité.
Le diagnostic de PTSD chez l’adulte repose sur l'apparition de plusieurs symptômes, qui sont généralement regroupés en quatre catégories principales1. L'un des plus courants est la reviviscence de l'événement traumatique. Cela peut prendre la forme de flashbacks, de cauchemars ou d'images répétitives d'expériences douloureuses. Les personnes souffrant de PTSD tentent également d'éviter de se rappeler l'événement traumatisant. Elles font donc preuve d'évitement, en évitant par exemple les lieux ou les personnes qui leur rappellent leurs expériences ou tentent de ne plus rien ressentir du tout, afin d'éviter les pensées négatives. Les personnes souffrant de PTSD peuvent également être dans un état d'hyperexcitation, avec des difficultés à se détendre et un état d'alerte fréquent. Elles souffrent d'irritabilité, d'insomnie ou d'accès de colère. Enfin, ces personnes peuvent également présenter une altération négative de la cognition et de l'humeur. Par exemple, elles peuvent rencontrer des difficultés à se souvenir de certains éléments clés de l'événement traumatique. Elles peuvent également avoir des pensées et des affects négatifs, comme le sentiment de culpabilité.
Ces symptômes sont difficilement contrôlables pour les personnes qui en souffrent, notamment car ils découlent souvent d'un dysfonctionnement cérébral dû au stress et à des déséquilibres neuronaux et hormonaux.
Les événements traumatiques changent le fonctionnement du cerveau
Un stress prolongé peut avoir des effets neurotoxiques sur le cerveau, affectant la prise de décision, le traitement des émotions et les réactions inconscientes. Les quatre régions principalement affectées sont l’amygdale, le cortex préfrontal, le Nucleus Accumbens et l’hippocampe2,3.
L'amygdale, qui joue un rôle crucial dans la gestion de la peur et la réponse aux menaces, peut présenter une hypersensibilité chez les personnes souffrant de PTSD, entraînant des réactions de peur intensifiées et une régulation émotionnelle altérée. Le cortex préfrontal, essentiel pour réguler les émotions, peut également être dysfonctionnel, ce qui réduit la capacité de contrôle sur les émotions négatives. En outre, des changements dans l'hippocampe, responsable de la mémoire à court et long terme, peuvent conduire à des difficultés avec la mémoire, et expliquent les pensées intrusives, les cauchemars ou des troubles mnésiques post-traumatiques, ainsi qu’une hypersensibilité au contexte traumatique. Le Nucleus Accumbens est quant à lui associé à la récompense et au plaisir, mais aussi à l’addiction. Son altération va entraîner des changements dans l’humeur et la motivation, et peut également mener à des troubles addictifs à certaines substances.
Peu de personnes sont épargnées par les conséquences d'un traumatisme, même si certaines caractéristiques génétiques et épigénétiques propres à chaque individu font que tout le monde ne réagit pas de la même manière. On pense bien évidemment principalement aux victimes directes, qui sont confrontées à des traumatismes psychologiques qui s'ajoutent à des handicaps physiques parfois permanents. Mais elles ne sont pas les seules à être touchées. De nombreuses études ont mis en évidence que les assaillants doivent faire face aux conséquences psychologiques de ce qu'ils ont fait ou de ce qu'on leur a ordonné de faire, et peuvent ressentir de la culpabilité et de la honte après les événements, ce qui peut entraîner des problèmes de santé mentale, certains allant même jusqu'à se suicider4,5.
Les effets des traumatismes peuvent également impacter les générations suivantes. Des recherches ont montré que les descendants de victimes de traumatismes sont plus à risque de développer un PTSD. Cela peut être lié à des transmissions sociales directes, comme les récits familiaux, mais aussi à des transmissions indirectes, comme un changement dans le comportement des adultes qui va influencer la réaction des enfants. Une étude menée au Rwanda a notamment montré que les enfants nés de femmes qui étaient enceintes durant le génocide et qui ont souffert de PTSD avaient une altération sur un gène associé à la régulation du stress, alors que ce n’était pas le cas chez les enfants nés de mère Rwandaise qui n’ont pas vécu le génocide7.
Par ailleurs, la vulnérabilité aux traumatismes peut persister toute la vie. Une étude a révélé qu'après les attentats du World Trade Center en 2001, de nombreux réfugiés qui ont vu les images à la télévision ont éprouvé une réactivation de leurs symptômes de stress post-traumatique6.
Comment surmonter un stress-post-traumatique ?
Le soutien par des professionnels de la santé mentale, qu’il s’agisse de psychiatres ou de psychologues, est crucial, que cela soit basé sur des traitements médicamenteux ou non médicamenteux.
Pourtant, l'accès aux soins de santé mentale par un professionnel est très compliqué dans de nombreux pays, voire parfois inexistant. Par exemple, parmi plus d’une soixantaine de survivants du régime des Khmer Rouges que j’ai rencontrés au Cambodge il y a quelques mois, aucun n’avait jamais consulté un professionnel de la santé mentale, et beaucoup souffraient encore fortement de symptômes traumatiques, même près de 50 ans après les événements. Cela était dû au manque d’infrastructures et de professionnels de la santé mentale – avec environ 60 psychiatres en 2020 pour 16 millions d’habitants – mais aussi à une perception culturelle différente sur le rôle d’un professionnel de la santé mentale. En effet, à plusieurs endroits de par le monde, aller voir un professionnel de la santé mentale peut être perçu de manière négative.
En Belgique, nous disposons des infrastructures et de l’accès aux professionnels de la santé mentale, avec des centaines de psychologues qui obtiennent leur diplôme chaque année dans nos universités. Cependant, le suivi psychologique est peu ou pas pris en charge par les mutuelles, qui remboursent principalement les consultations chez les psychiatres, qui sont eux beaucoup moins nombreux. L’accès aux soins de santé mentale représente un coût significatif, notamment parce que les thérapies peuvent être longues, ce qui les rend inaccessibles pour de nombreuses personnes. Les personnes les plus démunies peuvent se tourner vers des maisons médicales, mais y rencontrent des listes d’attente extrêmement longues. De plus, il n’existe pas d’exception pour ces coûts ou ces délais d’attente, même pour soutenir les victimes de traumatismes sévères. Pourtant, la souffrance psychologique est reconnue en Belgique, puisqu’elle peut être une raison acceptée pour bénéficier de l’euthanasie – qui, elle, ne coûte que quelques dizaines d’euros. Cela illustre le long chemin qu'il reste à parcourir pour assurer une prise en charge adéquate des personnes souffrant psychiquement. Chaque guerre ou autre évènement traumatique peut prendre fin, mais la bataille pour la santé mentale des survivants est un combat qui perdure.
Émilie Caspar, Professeure de psychologie et de neuroscience à l’Université de Gand et membre du Collégium de l’Académie Royale de Belgique, pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).
Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.
- Association, A. P. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders: DSM-5-TR. (American Psychiatric Association Publishing, 2022).
- Shin, L. M., Rauch, S. L. & Pitman, R. K. Amygdala, Medial Prefrontal Cortex, and Hippocampal Function in PTSD. Annals of the New York Academy of Sciences 1071, 67–79 (2006).
- Rauch, S. L. et al. Exaggerated amygdala response to masked facial stimuli in posttraumatic stress disorder: a functional MRI study. Biological Psychiatry 47, 769–776 (2000).
- Dohrenwend, B. P. et al. The Psychological Risks of Vietnam for U.S. Veterans: A Revisit with New Data and Methods. Science 313, 979–982 (2006).
- Bryan, C. J., Ray-Sannerud, B., Morrow, C. E. & Etienne, N. Guilt is more strongly associated with suicidal ideation among military personnel with direct combat exposure. Journal of Affective Disorders 148, 37–41 (2013).
- Kinzie, J. D., Boehnlein, J. K., Riley, C. & Sparr, L. THE EFFECTS OF SEPTEMBER 11 ON TRAUMATIZED REFUGEES: REACTIVATION OF POSTTRAUMATIC STRESS DISORDER. The Journal of Nervous and Mental Disease 190, 437 (2002).
- Perroud, N. et al. The Tutsi genocide and transgenerational transmission of maternal stress: epigenetics and biology of the HPA axis. The World Journal of Biological Psychiatry 15, 334–345 (2014).