En 2019, les questions écologiques étaient au cœur des campagnes électorales en Belgique, mais elles ont été largement négligées lors des campagnes de 2024. Pourtant, la crise écologique se fait de plus en plus ressentir dans notre quotidien. Les processus de transitions qui devraient advenir pour répondre aux urgences climatiques et environnementales portent sur nos institutions, nos technologies, nos comportements, mais aussi nos pratiques démocratiques. Pourtant, ces processus de transitions tardent à se concrétiser. Les communes de Wallonie ne font pas exception à cette tendance.
Dans le cadre d’une recherche menée de 2019 à 2022 dans 18 communes rurales à l’aide d’entretiens menés avec des responsables locaux[1], j’ai cherché à rendre compte du rôle joué par ces acteurs dans la gouvernance locale de l’énergie. L’analyse montre que les communes constituent un environnement politique et institutionnel défavorable pour les transitions. Ceci se marque à travers trois dimensions.
Un trio de blocages : de faibles capacités institutionnelles, des mouvements d’opposition aux éoliennes et du délai climatique
Premièrement, les communes sont peu préparées aux transitions écologiques. Elles n’ont pas l’obligation de mettre sur pied un plan d’action sur l’énergie et le climat, et l’élaboration de tels plans dépend des volontés politiques locales. Pour se lancer dans la constitution d’un plan d’action, il faut généralement faire une demande de subside auprès de la Région Wallonne dans le cadre de sa « Politique locale Energie Climat » (POLLEC) et avoir signé la « Convention des Maires », un outil de la commission européenne pour favoriser l’action climatique locale. En 2023, 186 communes sur 262 avaient déjà participé au programme POLLEC pendant cette dernière décennie. Cela signifie qu’une série de communes continuent à vivre sans plan d’action sur ces questions d’énergie et de climat. Pour celles qui se sont déjà lancées, il faut noter que les capacités institutionnelles qui sont destinées à élaborer et implémenter ces plans d’actions sont hétérogènes. Dans des communes rurales à budget et superficie similaires, cela peut varier d’une seule personne travaillant à temps partiel à un service communal spécifique constitué de 4 personnes à temps plein. Ces différences sont le résultat de choix politiques qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne sont pas forcément dictés par les partis politiques. Au contraire, ceux-ci, à l’exception du parti écologiste, restent ambigus sur ces questions. Les trois partis traditionnels (libéraux, chrétiens-démocrates et socialistes) peuvent aussi bien initier des dynamiques ambitieuses qu’engendrer des blocages. Aucune cohérence partisane ne se dégage au niveau local. Ainsi, des citoyens de Wallonie peuvent tout à fait se retrouver dans des communes pro-actives qui pensent et implémentent des politiques de transitions, et offrent déjà une série de services (mobilité douce, conseil à la rénovation, achat groupé de panneaux solaires, rénovations des bâtiments publics) et des communes où rien n’a encore été entrepris. L’implémentation des politiques de transitions peut de cette manière progressivement créer des nouvelles formes d’inégalités entre citoyens.
Deuxièmement, les communes wallonnes sont traversées par d’importants mouvements d’opposition aux éoliennes. Ceux-ci sont constitués de différents acteurs, allant de citoyens ordinaires inquiets, qui s’opposent de manière spontanée à un projet éolien en demandant davantage de transparence et de délibération citoyenne, au réseau « Vent de Raison » fort d’environ 70 000 membres, organisé localement et régionalement. Ce réseau, qui s’oppose aux éoliennes de manière générale, a une capacité d’action redoutable. Interpellant les décideurs locaux, participant aux réunions d’informations sur les projets éoliens, ses membres lancent des pétitions ou déposent des recours contre les projets éoliens à la Région Wallonne et au Conseil d’État. En 2022, plus de 146 éoliennes réparties sur 30 projets sont ainsi bloquées pour cause de recours au Conseil d’État.
Troisièmement, les communes Wallonnes sont marquées par des discours qui relativisent l’urgence et la nécessité des actions climatiques. Ces discours sur le délai climatique se retrouvent dans toutes les communes, tenus par une multitude d’acteurs, allant des élus locaux de gauche comme de droite, aux employés communaux comme aux membres des mouvements d’opposition aux éoliennes. Pour certains, la mise en délai des actions climatiques est dû aux élus locaux, qui priorisent d'autres enjeux, aux citoyens qui votent pour des candidats opposés aux actions écologiques, ou à la ruralité qui rend la voiture indispensable. Ce retard se manifeste aussi par des actions réalisées qui répondent à une logique de « faire quelque chose pour ne rien faire ». Bien que ces actions soient concrètes, comme une semaine de la mobilité par an ou la lente construction de portions de pistes cyclables, elles ne sont pas alignées avec les transformations indispensables pour relever les défis climatiques et environnementaux.
La gouvernance locale, un pivot qui renforce les blocages ou permet d’en sortir
Ces trois premiers points montrent que les communes offrent un environnement défavorable aux processus de transitions. La situation est-elle pour autant bloquée au niveau local ? Certaines communes parviennent bien à coopérer et valoriser des actions citoyennes afin de créer un environnement plus favorable aux actions climatiques. Deux modes de gouvernance existent dans les communes wallonnes, dont l’un offre une porte de sortie à cette situation de blocages.
La majorité des communes wallonnes est marquée par un mode de gouvernance traditionnel. Ce mode de gouvernance est caractérisé par la présence d’un bourgmestre qui gouverne de manière autoritaire, en ne considérant que les idées de sa majorité et en dénigrant les mécanismes participatifs. Ces bourgmestres considèrent souvent que la politique énergétique doit rester cantonnée aux niveaux de pouvoir supérieurs. La compétence de l’énergie se retrouve donc peu développée, tout comme les mécanismes participatifs. Cela affecte négativement l’émergence d’acteurs locaux, perçus comme des compétiteurs pour le pouvoir local. Cette gouvernance verticale empêche ces communes de bénéficier de l’expertise venant de projets citoyens locaux. En conséquence, ces majorités locales, qui fonctionnent avec leurs faibles capacités institutionnelles communales, perpétuent un environnement politique et institutionnel marqué par un ancrage dans des routines, des verrous institutionnels et comportementaux qui empêchent les actions climatiques locales d’advenir.
Un deuxième mode de gouvernance, dit polycentrique, permet de sortir de cet environnement défavorable aux transitions. Marginal en Wallonie, il est marqué par la présence de bourgmestres intéressés par l’implémentation d’actions énergétiques et climatiques. Les majorités locales de ces communes favorisent la coopération avec d’autres acteurs locaux, comme des coopératives d’énergies renouvelables ou des sections locales du mouvement de la transition. Ces acteurs locaux peuvent ici profiter de mécanismes participatifs pour se faire connaitre et étendre leurs réseaux. Une fois établis, ils peuvent renforcer les faibles capacités institutionnelles de ces communes, leur apportant une connaissance spécifique des territoires et une expertise énergétique. La capacité des communes à capter une expertise énergétique qui lui est externe peut être un véritable atout dans le monitoring et l’installation de capacités renouvelables. Grâce à une relation de coopération, ces communes peuvent accéder à une expertise rare et chère, surtout dans les communes rurales, ce qui les placent dans une meilleure position pour échapper aux mécanismes de blocage et d’inerties.
Aujourd’hui, il est courant d’entendre que les processus de transition ne passeront que par une planification dictée par un État fort et que les actions citoyennes et locales ne seront jamais assez puissantes face à l’urgence climatique. Ce que montre la recherche menée, c’est cependant qu’un mode de gouvernance particulier au niveau local peut transformer un territoire et faciliter des transformations par le bas. Voilà un résultat qui maintient la perspective citoyenne et territoriale ouverte, ce qui pourrait s’avérer utile au cas où nos États modernes resteraient arrimés aux logiques de marché néolibérales et ne se transformeraient jamais vraiment. Dans les prochains jours, si j'entends des candidats aux élections communales prôner le changement et la relation avec le citoyen, je me demanderai quel type de changement et comment les citoyens seront impliqués localement. Quels mécanismes participatifs et quelle place pour l'expérimentation ? Ces questions sont essentielles, car la gouvernance locale est cruciale pour l'émergence d'actions climatiques et énergétiques.
Loïc Cobut, UCLouvain – Saint-Louis-Bruxelles, Centre de Recherche en Science Politique (CReSPo), pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).
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[1] Recherche doctorale menée à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. Soixante-huit entretiens ont été menés avec des élus locaux, des employés communaux, des membres de coopératives d’énergies renouvelables, de mouvements d’opposition aux éoliennes et du Réseau Transition.