Que cela soit clair dès le départ, nous apportons notre soutien total aux militants de SOS Racisme agressés et violentés lors de la réunion fasciste d'Eric Zemmour.
Cela étant posé, l'émotion quelque peu retombée, il n'est pas interdit de penser cette séquence.
Oui, ce moment nous semble révélateur de l'état de ce qu'on appellera « notre camp », celui d'une grande partie de la gauche et y compris de la « gauche de gauche » comme l'appelait Bourdieu.
Face aux actions violentes auxquelles on ne s’habitue jamais vraiment, une question nous vient : Qu'allaient-ils faire dans cette galère ? Deux réponses s'imposent : soit les militants de SOS Racisme étaient conscients du risque, soit ils ne l'étaient pas. Peu importe la réalité, ces deux alternatives posent des questions fondamentales pour « la gauche ».
Du pouvoir de l'image face à la menace fasciste.
Imaginons tout d’abord qu'ils aient été parfaitement conscients du fait que par cette action, ils allaient avoir droit à des mandales.
Il faut reconnaître en premier lieu le courage d'une telle démarche, mais ces militants allaient donc chercher des images au risque de leur intégrité physique, des images pour apporter la preuve de la violence des zemmouristes, tout cela dans le but de réveiller le bon peuple endormi face à la menace fasciste.
Premier constat, il est flippant de voir qu'on a encore besoin de dire et démontrer que les fascistes sont violents et prêts à en découdre. Alors que les articles de Médiapart ou Streetpress se multiplient, des militants auraient besoin d'aller se faire défoncer pour qu'on ouvre enfin les yeux ?
On peut penser qu'il s'agissait de ramener des images pour un public plus large que les gauchos abonnés à ces médias, que le but était de toucher les millions de Français qui n'ont pas conscience du péril fasciste et ne sont pas(plus?) au courant que l'extrême-droite est violente.
Ici aussi, on peut interroger le cheminement intellectuel et découvrir la naïveté d'une (grande) partie de notre camp.
Qui pouvait croire que les médias, dont les consultants/editorialistes sont au « mieux » idéologiquement affiliés au macronisme (et ont un seuil de tolérance assez haute face à la violence sur ceux qui ne pensent pas comme eux), au pire directement salariés par des journaux réactionnaires (Figaro/Le Point/Valeurs actuelles...), condamneraient sans nuance la violence des nervis d'extrême-droite comme ils le font en cœur lorsqu'elles émanent (contre des banques) d'un black-bloc ?
Qui pouvait croire que Geoffroy Lejeune qui a son rond de serviette sur les chaînes d'info, n'assurerait pas le SAV des fascistes auprès des masses rassemblées devant BFN ? Qui pouvait croire que les politiques, notamment la droite qui s’extrémise chaque jour, diraient enfin STOP ?
Après des heures de violences policières (Gilets jaunes, contestations sociales...), alors que des centaines de vidéos de youtubeurs racistes s'empilent sur internet, et que même les journaux télévisés commencent doucement à se faire le relai des arrestations des groupuscules armées d'extrême-droite, est-il encore possible de croire que la simple dénonciation de ce qu'est la menace fasciste suffira au grand éveil des consciences ?
Penser que les images et les indignations de « notre camp » suffiront à faire changer les choses, c'est se condamner à répéter l'histoire.
Du pouvoir du t-shirt face au gant coqué.
Seconde solution, les militants allaient à ce meeting en imaginant pouvoir s'exprimer, conscients qu'ils seraient quelque peu chahutés, mais persuadés qu'ils réussiraient à participer au « débat démocratique » dans une réunion où étaient présents le rance du rance.
Dans ce cas de figure, il faut une nouvelle fois reconnaître le courage des gens de SOS Racisme.
Cependant, imaginer que l'on puisse débarouler à une dizaine munis de t-shirt, face à 10 000 fachos dont plusieurs centaines d'exciter groupusculaires se préparant concrètement à la guerre civile, cela nous laisse sur le cul.
Envisager cette solution, c'est découvrir le manque cruel de culture politique, historique et militante d'une grande partie de « notre camp ». Face aux fascistes, nous avons l'histoire qui nous apprend les violences inouïs auxquelles ils ont pu s'adonner. Face aux fascistes, nous avons la culture des antifas, qui développent des réponses concrètes pour s'opposer à cette menace bien particulière. Face aux fascistes, nous avons des journalistes, des militants, des penseurs qui nous informent et nous forment.
Débarquer dans une réunion de fascistes dopés au nationalisme guerrier, à la masculinité exacerbée et pour certain au néo-nazisme virilistes, et y opposer une action pacifique fondée sur des t-shirts dénonçant ce qu'ils assument, c'est démontrer que nous ne sommes pas conscients du danger. C'est crier haut et fort que nous ne sommes pas prêts à faire face.
Débarquer au meeting de Zemmour sans savoir où l'on met les pieds, c'est-à-dire dans un lieu dangereux pour des gens qui expriment des valeurs contraires (ou même critiques) à celles dégueulées sur scène et dans les travées, c'est s'exposer physiquement. Oui cela relève du courage mais du courage non éclairé donc en partie de l'inconscience.
Au final, tout reste à faire et cette séquence aura rappelé, s'il était besoin, qu'en face, ils sont déjà prêts. En face, ils n'hésitent pas à entrer dans une confrontation physique, d'ailleurs, ils n'attendent que ça. Pour la Gauche se pose la question des moyens (mais aussi des fins). Alors que nous continuons l'éternel débat « quelle légitimité pour la violence ? », en face, ils y ont répondu depuis bien longtemps. Ils ont construit leur « identité » sur la guerre, les chevaliers, Napoléon et maintenant le Krav-maga. Face à ça, que faisons-nous ?
Cassandre Solon