Depuis quelques jours, certains journaux publient à nouveaux des articles sur le « processus de paix » entre la Palestine et Israël, sur l’implication de John Kerry qui tenterait d’amener les deux parties à trouver un terrain d’entente, non pas pour faire la paix mais pour relancer le « processus de paix ». On entend parfois aussi « pourparlers de paix » ou « négociations israélo-palestiniennes », expressions moins courantes mais tout à fait similaires.
Le "processus de paix" connaît trois états qui se succèdent depuis 20 ans : La relance, l’enlisement et la fin. Nous étions dans la période de relance il y a quelques mois et maintenant il s’agit de la période d’enlisement. Viendra la période de la fin du processus de paix qui sera immédiatement suivi de la période de relance.
Voici quelques titres d’articles des grands média français de cette semaine :
« Kerry appelle Palestiniens et Israéliens à sauver le processus de paix » Le Monde
« Processus de paix : les israéliens s’apprêtent à sanctionner les palestiniens » Le point
« Le processus de paix israélo-palestinien est-il en train d’échouer ? » La croix
« Les états unis restent engagés dans le processus de paix en cours » Libération
« Conflit israélo-palestiniens : efforts pour sauver le processus de paix » L’express
« Processus de paix : les négociateurs se retrouveront dimanche » Huffington Post
« Les négociations de paix israélo-palestinienne prolongées » Mediapart
« Le processus de paix israélo-palestinien a besoin de l’Europe » Blog Mediapart
« Processus de paix : John Kerry en visite officielle en Israël » Mediapart
Trois ans plutôt, en 2011 c’était la phase de relance, qui est exactement similaire si ce n’est à un détail prêt :
« Proche orient : Sarkozy veut relancer le processus de paix» Le Figaro
La télé, les journaux, les hommes politiques et ensuite les citoyens n’hésitent pas à reprendre cette expression à leur compte. Ce faisant ils tombent dans une grande supercherie. Certain le font volontairement, d’autre par négligence et d’autre encore par peur de sortir des sentiers battus et pour rester dans le langage du politiquement correct.
Aucun des principaux média français osent encore appeler un chat un chat. Tous au contraire, préfèrent participer à la grande pièce de théâtre, la grande farce tragi-comique qui se nomme « Processus de Paix ». Reprendre cette expression, c’est accepter de jouer dans cette pièce, c’est imiter l’autruche par peur de la réalité. Finalement, c’est un peu comme favoriser la colonisation et l’occupation en détournant l'attention et en maintenant la confusion.
Ce terme trompeur est utilisé à dessein par ceux qui profitent du conflit, et contrairement aux idées reçues, beaucoup de pays arabes et musulmans font partie de ce groupe qui inclut évidemment les Etats Unis ou l’Europe.
Pour commencer il n’y a pas de guerre en Palestine. Il y a un peuple occupé, une terre occupée par une puissance occupante. Cette situation génère cependant de grandes violences, physiques et psychologiques, et très régulièrement des actes de guerre. Comme le bombardement de gaza en 2009-2010, les multiples assassinats aux missiles des dirigeants du hamas, qui visent bien évidemment aussi à terrifier la population, les attaques sur les pêcheurs de Gaza et le harcèlement constant des agriculteurs qui travaillent proche du mur assiégeant Gaza. Le Hamas et d’autres groupes à l’intérieur de Gaza tentent de répliquer pathétiquement par des tirs de roquettes artisanales. Ces roquettes ont faits des victimes civiles du côté israélien, vingt quatre depuis 2008 à mettre en relief avec les près de deux mille victimes civiles palestiniennes durant la même période.
La Cisjordanie n’est pas en reste, et fait face de manière constante à des arrestations arbitraires, des invasions systématiques de l’armée israélienne dans les villages palestiniens, des tirs de sniper qui mutilent ou tuent selon les cas, des attaques de colons sur les villages palestiniens. La détention administrative, aussi bien sur les mineurs que sur les adultes est très courante et permet d’arrêter n’importe quel palestinien sans motif, sans informer sa famille de son lieu de détention et sans que celui-ci ait le droit à un avocat pour une période de six mois renouvellable indéfiniment.
On est donc aux antipodes d’une guerre, on l’on verrait deux armées s’affronter. Ni même d’une guerre ou une armée régulière affronterait une résistance armée organisée et efficace. La violence n’est que dans un sens. Les sceptiques s’en convaincront en regardant le nombre de victimes israéliennes comparé au nombre de victimes palestiniennes ces vingt dernières années, et même ces soixante dix dernières années.
En Cisjordanie, Mahmoud Abbas a mis fin à toute résistance armée. Il n’y a donc plus aucun groupe armé en Cisjordanie.
Gaza quand à elle est littéralement assiégée. C’est Israël qui décide entre autre combien de kilo de chocolat seront autorisés à entrer dans Gaza chaque mois. Le matériel de construction et les médicaments, bien plus vitales, sont soumis eux aussi à la même subtile et perverse stratégie, celle de faire comprendre aux Gazaouis que si Israël le voulait il pourrait littéralement les faire mourir de faim dans cette grande prison, dont l’une des portes ne l’oublions pas, est gardée par l’Egypte, grande alliée d’Israël depuis maintenant des décennies et qui est donc aussi coupable qu’Israël dans la situation actuelle de Gaza.
On pourrait continuer comme cela pendant des pages, le lecteur intéressé pourra simplement parcourir le web et visiter entre autres, des sites comme Betselem, association israélienne qui recense et documente de manière très précise tous les actes cités plus haut. http://www.btselem.org/statistics
Après cette digression nécessaire revenons au sujet qui nous occupe. Le « processus de paix » est ainsi une expression qui par les simples mots qui la compose constitue déjà une manipulation, si ce n’est un mensonge. Mais s’il n’y a pas de guerre, pourquoi parler de paix ?
La raison est en fait très simple. Faire, la paix, et plus encore le processus pour faire la paix implique nécessairement un effort mutuel, une volonté mutuelle, de deux parties. On ne fait pas la paix tout seul, on ne peut faire la paix qu’avec un autre, un autre avec qui on est en guerre. Ce terme de paix permet donc de faire croire à ceux qui l’acceptent sans le remettre en question, que la solution au conflit vient autant des israéliens que des palestiniens. C’est une stratégie très bien pensée et très efficace jusqu’à maintenant. Il n’y a qu’à voir avec quelle docilité les journalistes se prêtent au jeu.
Qu’est ce que les palestiniens peuvent offrir aux israéliens ? La triste vérité est qu’ils n’ont plus rien à offrir. Les négociateurs, pour se rendre aux négociations à Jérusalem doivent eux même obtenir un permis, une autorisation administrative de la part d’Israël pour passer le mur de séparation. Ils doivent passer à travers des check points, contourner les colonies juives installées en Cisjordanie pour enfin arriver à Jérusalem. Avant d’arriver à Jérusalem ouest, ils passent dans Jérusalem Est et peuvent s’apercevoir des multiples projets de construction en cours ou à venir de nouvelles colonies juives pourtant strictement interdites au regard du droit international comme le sont toutes les autres colonies de Cisjordanie. C’est au mieux de l’intimidation, au pire de l’humiliation. Mahmoud Abbas s’est plié à toutes les requêtes d’Israël, à tel point qu’il est considéré par certain palestinien comme ni plus ni moins qu’un collaborateur. En retour il n’a obtenu qu’une augmentation de l’implantation de nouvelles colonies sur son territoire et une occupation militaire toujours plus intrusive et active. Tout cela s’est passé pendant que l’on parlait du processus de paix, soit en cours soit qu’il fallait relancer. On pourra lire à cet égard le livre écrit par un négociateur franco-palestinien: "Il n'y aura pas d'état Palestinien" de Zyad Clot.
Pour bien comprendre le grotesque de la situation, il faut aussi se rappeler que l’autorité palestinienne ne vit que grâce à l’aide financière des Etats Unis et de l’Europe. Cette aide financière est souvent un enjeu de chantage comme lors de l’adhésion de la Palestine aux nations unies. Tous les habitants de Cisjordanie ont au moins un membre de leur famille qui travaille directement ou indirectement pour l’autorité palestinienne. De même Israël a déclaré récemment qu’elle ne rétrocéderait pas les droits de douanes des territoires palestiniens car Mahmoud Abbas désirait poursuivre son adhésion aux différentes instances de l’ONU comme le permet le nouveau statut d’état observateur de la Palestine. Les leaders palestiniens ne sont par ailleurs pas plus immunes que les autres à la corruption, à l’attrait du pouvoir et à l’ambition personnelle que les autres leaders de ce monde. Une caractéristique bien humaine qu’Israël sait particulièrement bien utiliser à ses fins grâce entre autre à son pouvoir d’occupant.
De nombreux « observateurs » aussi bien palestiniens qu’israéliens ou autres résument la situation de la manière suivante :
« Il y a trois solutions au conflit : La première, (celle que les deux peuples dans leur majorité préfère mais la plus improbable) est la solution de deux états vivant côte à côte. La seconde c’est celle d’un seul état bi-national où juifs et arabes vivent ensemble dans le même pays. La troisième solution, celle dont les média justement ne parlent pas car elle est officieuse et n’est pas politiquement correct c’est le statut quo ».
C’est un point fondamental pour comprendre la politique d’Israël, qui autrement peut sembler suicidaire. Israël a choisit la troisième solution, le statut quo. Mais ce statut quo n’est pas vraiment acceptable d’un point de vue moral ni du point de vue de la communauté internationale. Il lui fallait un alibi, et ce fut justement le « processus de paix ». C’est ce qui rend cette expression coupable de complicité et d’hypocrisie. Et c’est aussi le « coup de gueule » que ce billet veut faire passer. Appeler les média (dont mediapart), les hommes politiques et les citoyens à refuser de reprendre cette expression. Si l’on doit parler d’un processus, ce doit être le processus de fin de l’occupation. Comment mettre fin à la l’occupation et à la colonisation est le processus qui devrait occuper les dirigeants européens et américains à défaut des dirigeants israéliens.
Malheureusement les palestiniens n’ont plus aucune latitude dans ce processus. Le seul qui peut mettre fin à l'occupation et la colonisation illégalle, c'est l'occupant pas l'occupé. C'est une décision qui, si elle se fera un jour, se fera sans même demander l'avis des palestiniens. Toutes les cartes sont dans les mains d'Israël. Ce constat là, évidemment fait peser toute la responsabilité sur Israël et s'il était reconnu amènerait beaucoup plus d'intransigence de la part des démocraties alliées d'Israël.
En fin de compte, il faut simplement commencer par appeler un chat un chat. C’est d’abord une question de principe et de vérité, et c’est surtout le seul point de départ possible pour mettre fin à l’occupation et la colonisation qui s’étend chaque année un peu plus sous le regard de tous.