Puis se sont succédé les articles pour encenser le livre de Carole Barjon Mais qui sont les assassins de l'école ? (Éd. Robert Laffont), exposer à la vindicte publique les dangereux pédagogues et s’apitoyer sur leurs victimes, les enfants qui « paient le prix de réformes absurdes ».
De l’Obs à Libération en passant par le Point, on trouve bien sûr le grand fantasme de la «méthode globale» qui était déjà reconnue coupable en 1959.
Freinet dans un fameux texte « La méthode globale, cette galeuse ! » :
« Il faut dans toute période difficile trouver un bouc émissaire.
La Méthode Globale est aujourd’hui responsable de tous les maux dont souffre l’École.
Si les enfants lisent moins bien qu’autrefois, c’est la faute à la Méthode Globale.
S’ils manquent d’attention et de concentration dans leurs devoirs, s’ils font trop de fautes dans leurs dictées ou dans leurs lettres, c’est évidemment la méthode globale qui en est la cause.
La discipline elle-même, et donc la marche générale des établissements, en sont affectés. Qu’on revienne donc à la bonne règle préalable du B-A BA et aux exercices méthodiques ; qu’on enseigne les bases avant d’aborder le tout, et l’éducation refleurira. L’État sera sauvé. […]
La méthode globale n’est employée dans aucune école française comme méthode de base, mais n’est pas moins déclarée responsable d’un désordre et d’une carence dont parents et éducateurs commencent à prendre heureusement conscience. » (L’Éducateur n° 19, supplément à, juillet 1959)
En 2016, cette méthode globale n’est toujours pas utilisée, mais elle est toujours déclarée responsable des échecs de l’École. Elle se serait glissée insidieusement dans les méthodes de lecture non phonétiques : le fameux B.A.- BA. Je ne dis pas « syllabique », car la syllabe reste la base de l’apprentissage, y compris dans les méthodes de lecture décriées dans ces différents articles. Mais bien sûr, les enfants n’entonnent pas en chœur : p et a pa, p et i pi, p et o po, etc. Si le sens est privilégié pour que l’enfant se sente lecteur et prenne plaisir à lire dès le début de l’apprentissage, le travail sur le mot et la syllabe est toujours présent.
Un autre fantasme, l’orthographe qui serait considérée comme inutile, voire élitiste au primaire par les enseignants, la responsabilité aux auteurs « fauteurs » des politiques éducatives et de leurs nouveaux contenus : méthodes d’apprentissages de la lecture (on y revient toujours !), d’enseignement du français et des nouvelles règles de grammaire.
Les bonnes vieilles dictées ne seraient plus pratiquées… et pourtant elles n’ont pas déserté les classes et sont toujours bien prescrites dans les nouveaux programmes. Et ce sont même ajoutées depuis plusieurs années toutes les situations pédagogiques mettant en valeur l’orthographe et la syntaxe telles que les publications des classes (journaux, blogs, correspondances).
Les pédagogues vertueux du siècle dernier seraient devenus les « pédagogistes » délinquants du 21e siècle.
D’un côté on reproche aux enseignants de ne pas appliquer les réformes, et de l’autre on se chagrine de leurs effets sur les résultats de l’École.
Les enfants sont donc en échec par la faute de réformes qui par ailleurs sont peu suivies…
Qu’importe les difficultés sociales et linguistiques, qu’importe l’absence de mixité sociale et scolaire dans les établissements, qu’importe les rythmes d’apprentissage pressés par les évaluations, qu’importe les ruptures éducatives aveugles aux parcours individuels, qu’importe la confiscation des clés de l’orientation dans les bonnes filières par ceux qui les possèdent, qu’importe l’explosion du chômage qui impacte encore plus les jeunes les moins diplômés et des milieux populaires…
Bref qu’importe l’apitoiement d’une société qui ne veut rien changer sur ce qui réussit à une petite partie de ses enfants : les héritiers des détenteurs de pouvoirs politiques et économiques.
 
                 
             
            