La pédagogie Freinet ancrée dans la société est évolutive
Célestin Freinet adhère à la Ligue de l’Éducation nouvelle créée par Adolphe Ferrière en 1921 qui deviendra un ami et un fidèle soutien. Il participe à ses congrès comme à ceux de l’ITE (Internationale des Travailleurs de l’Enseignement.)
Dans les congrès, Freinet invite les camarades ayant tenté des expériences dans leur classe à venir exposer ce qu’ils ont trouvé et au besoin, il demande qui voudra participer à former un groupe de recherche sur le sujet.
Sans relâche, Freinet part à la recherche d’éléments susceptibles d’apporter de nouvelles techniques pédagogiques. Ce sont de nouvelles sources qu’il adapte pour les rendre cohérentes avec la pédagogie populaire et prolétarienne qu’il veut promouvoir.
Il s’en va voir ce qui se passe dans les écoles qui expérimentent de nouvelles formes ou techniques pédagogiques et en rend compte dans les revues « l’École Émancipée » et dans Clarté. De ces différents contacts, il rapporte des techniques pédagogiques qu’il va mettre en œuvre dans sa classe, souvent en les modifiant.
Il rassemble des enseignants dans un « Groupe d’entre aide Pédagogique » qui publie pour la 1ère fois le 1er octobre 1926), ce groupe devient « L’Imprimerie à l’Ecole » qui constitue un véritable mouvement pédagogique international. Il permet à chaque membre d’apporter sa pierre à l’organisation pédagogique dans les classes. La pédagogie s’enrichit par l’apport de ses membres eux-mêmes. Le mouvement Freinet se développe.
La période qui précède et suit la victoire du Front populaire est propice au mouvement Freinet qui accompagne l’élan d’émancipation populaire des familles, des parents, des enfants et contribue au projet de transformation de l’enseignement porté par le ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay : permettre aux enfants du peuple de recevoir plus d’instruction, d’accéder à la culture et de veiller à la santé de la jeunesse.
Mais la montée du fascisme fait craindre le pire. En 1939, des passages de L’Éducateur prolétarien sont censurés et en particulier le mot « prolétarien ». Le titre L’Éducateur est conservé. Célestin Freinet est arrêté le 20 mars 1940 puis interné.
En 1940-41, pendant sa détention et sa mise en résidence surveillée, Freinet écrit des livres qui font le point sur ses idées pédagogiques et philosophiques. Il prend une stature qui le place désormais comme le leader incontestable de cette pédagogie qu’il prône avec ses camarades depuis plusieurs dizaines d’années.
Au sortir de la guerre, Célestin Freinet rend hommage à tous ceux qui ont souffert et appelle à poursuivre les combats politiques et pédagogiques, il est entendu par les militants du mouvement.
Ce retour à la paix est marqué par les avancées et les espoirs de sécurité sociale pour tous les travailleurs que porte le programme du Conseil national de la Résistance.
Dans cette dynamique, un projet global de réforme de l'enseignement et du système éducatif français est élaboré par une commission présidée par Paul Langevin puis par Henri Wallon (tous deux liés au Parti communiste).
Dans cet optimisme général, Freinet se laisse aller à croire à une prochaine victoire de son mouvement, il espère participer aux travaux de la Commission. En juin 1947, le projet de réforme est remis au nouveau gouvernement Paul Ramadier – qui n’hésite pas à exclure les ministres communistes. Le projet est enterré, il portera le nom de « Plan Langevin-Wallon » et restera une référence mythique, même encore aujourd’hui.
Freinet s’est illusionné sur cette « Commission ministérielle d’études pour la réforme de l’enseignement » et il n’y a pas été associé. On lui a fait comprendre, qu’il n‘était qu’un directeur d’école privée et le responsable de la CEL (Coopérative de l’enseignement laïc), un commerce.
L’Éducation nouvelle perd peu à peu de sa force, chaque organisation se recroqueville sur elle-même et protège ses propres actions d’une possible concurrence. Le souhait de Freinet de voir un grand mouvement populaire d’éducation se construire, s’éloigne…
C’est dans ce contexte qu’est créée l’association ICEM (Institut Coopératif de l’École Moderne) en 1947. Freinet choisit l’expression « école moderne » de Francisco Ferrer et non « école nouvelle » pour éviter toute équivoque avec la conception intellectualiste, scolastique et verbale de l’éducation nouvelle et se différencier des « méthodes nouvelles », « méthodes actives » parfois reprises par l’institution et qui pour lui empêchent le vrai progrès pédagogique. Au-delà des partis et des syndicats, l’association rassemble des instituteurs et des institutrices décidés à trouver des solutions aux problèmes et difficultés rencontrées par les enfants des couches populaires à l’école, difficultés liées directement aux effets du capitalisme sur leur vie. Plus que les groupements officiels d’Éducation nouvelle qui s’appuient trop sur des expériences réalisées en milieu bourgeois, avec parfois des moyens financiers extraordinaires, le mouvement Freinet est soucieux de rechercher dans quelle mesure et par quels moyens une pédagogie peut obtenir des résultats dans les milieux populaires.
Une « Charte d’unité du mouvement » est adoptée en avril 1950 pendant le Congrès de Nancy.
Freinet reste persuadé de l’importance de l’international et de la mutualisation de pratiques qu’il permet. Les congrès ont toujours eu une dimension internationale.
En 1957 est créée la FIMEM (Fédération internationale des mouvements de l’École moderne) au Congrès de Nantes.
En 1965, Freinet semble de plus en plus fatigué et déçu, néanmoins il développe un grand nombre d’idées et de projets, notamment vers les parents. Freinet très malade ne participe pas au Congrès de Perpignan en avril 1966. La dernière intervention de Freinet sera donc faite sous forme d’un appel enregistré. Elle montre la confiance renouvelée en ses camarades du mouvement pour poursuivre son œuvre.
Dans ce message, il demande aux éducateurs modernes de « prendre en main leur mouvement à l’image des enfants de l’École Moderne qui savent se porter responsables de l’organisation de leur classe ». Il décède le 8 octobre.
Le mouvement Freinet continue sa route
La « Charte de l’école moderne » est adoptée à l’unanimité au Congrès de Pau en 1968, elle est toujours la référence de l’ICEM en 2018.
Les ministres se suivent et comme le rappelle Élise Freinet en 1969 : « le Ministère de l'Education nationale est toujours enfoncé dans le même immobilisme et donne le change par des vœux pieux qu'il laisse à d'autres le soin de réaliser. »
En 1984, sous le ministère d’Alain Savary – qui sait rompre avec l’immobilisme de ses prédécesseurs et reconnaît les mouvements pédagogiques –, l’ICEM est agréée comme association complémentaire de l’enseignement public.
Et aujourd’hui ?
L’ICEM poursuit ses objectifs éducatifs dans l’enseignement public aussi bien dans les écoles de village, de villes, de quartiers populaires, voire « prioritaires ».
Les militants du mouvement Freinet prennent toujours en considération ce qu’est l’enfant, ce qu’il vit et ce qu’il fait hors de l’école, dans son quartier, dans son village et dans sa famille. Ce fameux « regard global ».
Le mouvement Freinet est bien vivant : trois milliers d’enseignantes et d’enseignants, des dizaines de milliers d’enfants peuvent en témoigner chaque jour. Mais, des dizaines de milliers d’élèves sur… 6 788 000 élèves du 1er degré ! C’est bien sûr encore trop peu et la pédagogie Freinet est loin d’irradier les écoles, mais de jeunes enseignants le rejoignent chaque année.
Certes, les réformes successives ont intégré quelques techniques dans les programmes : écriture de textes, journaux scolaires, correspondances, voyages échanges, moments de parole… mais sans les principes émancipateurs.
Les pratiques pédagogiques Freinet sont toujours considérées comme des expérimentations…
La formation initiale fait très peu appel au mouvement Freinet qui pourtant continue de réunir des praticiens et des chercheurs et serait ravi de transmettre lors de stages et d’accueillir dans leurs classes des enseignants en formation.
Après libre à eux de se déterminer sur une pédagogie, mais en connaissance de cause et non par défaut… Et puis rien n’est figé dans toute une carrière, mais il faudrait que la formation continue, offre tout au long des années, des temps de pause, de réflexion, de questionnements, de mutualisation, etc.
Et ce qui pourrait être un premier levier de changement du système : la réforme de l’évaluation, avec la suppression des notes et avec elles, la comparaison et la compétition.
Mais qui le soutiendrait ?
Les enseignants ?
Comment sans formation et sans temps de réflexion et de retour sur ses pratiques peuvent-ils avoir un esprit critique. L’enseignant devient un technicien supérieur ou pas, un exécutant formateur, instructeur d’exécutants
Le collège, ce petit lycée qui stigmatise certains élèves et les décroche semble immuable « inchangeable »
Les parents ?
Ne pas toucher à ce qui fonctionne bien pour nos élites et pour les enfants des classes supérieures, voire moyennes, sans oublier les enfants d’enseignants… Certains parents proclament le « vivre ensemble » mais ne souhaitent pas le « scolariser ensemble ». Ils théorisent sur la mixité sociale mais ne la souhaitent pas pour leurs « héritiers ».
La lutte des classes ne se renforce-t-elle pas à l’école ?
J’ai beaucoup de difficulté à imaginer autre chose qu’un développement économique libéral avec le chacun pour soi, la baisse des services publics et des prestations sociales le tout enveloppé d’idéologie réactionnaire et discriminatoire.
Mais ce sont surtout les enfants qui trinquent et en particulier ceux des familles populaires.
Il reste le rêve, l’utopie, l’indignation comme nos pédagogues du début du 20e siècle, mais la période ne s’y prête guère. Le chacun pour soi, la peur de l’avenir, la multiplication des guerres…
Conservons le rêve, l’utopie, l’indignation, mais préparons-nous à la résistance, voire l’insurrection !
Ma classe pendant le temps de travail personnel...