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Billet de blog 12 février 2016

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Égalité réelle, le retour

En écoutant les nominations liées au remaniement du gouvernement hier soir, je me suis questionnée sur le concept d’« Égalité réelle » et j’ai recherché son origine. Ce qui m'a éclairée sur son utilisation aujourd'hui.

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En écoutant les nominations liées au remaniement du gouvernement hier soir, je me suis questionnée sur le concept d’« Égalité réelle » et j’ai recherché son origine1. Ce qui m'a éclairée sur son utilisation aujourd'hui.

L’expression « Egalité réelle » apparaît dans les Cinq mémoires sur l’instruction publique de Condorcet. Pour lui, il est important de dépasser l’égalité de droit pour atteindre une égalité réelle : « Les lois prononcent l’égalité dans les droits, les institutions pour l’instruction publique peuvent seules rendre cette égalité réelle ».
L’égalité serait donc un levier d’autonomie et de liberté : « Il ne peut y avoir ni vraie liberté, ni justice dans une société, si l’égalité n’y est pas réelle ; et il ne peut y avoir d’égalité, si tous ne peuvent acquérir des idées justes sur les objets dont la connaissance est nécessaire à la conduite de leur vie » (Journal d’instruction sociale, 1793). Il amorce ainsi les débats sur l’égalité des chances.

Dans les années 1970, la sortie de l’ouvrage de John Rawls Théorie de la justice (1971) relance le débat. Il énonce deux principes :
– Le premier : la liberté individuelle ne peut être sacrifiée au nom du bien commun.
– Le second reprend la notion d’égalité des chances et affirme que les inégalités sont injustifiées, sauf si elles profitent aux plus défavorisés.
Mais ces deux principes correspondent à un système économique de marché avec croissance des richesses qui seront redistribuées sous la responsabilité de l’État pour en assurer l’égalité.

Amartya Sen (prix Nobel d’économie en 1998 pour sa contribution à l’économie du bien-être) montre l’insuffisance du système présenté par Rawls. Même avec un même revenu (avec la redistribution des richesses), toutes les personnes n’obtiendront pas l’égalité des possibles. En effet, la liberté et la capacité (qu’il nomme « capabilité ») de chaque individu à leur revenu ne sont pas égales. Les richesses d’une société sont donc insuffisantes pour établir l’égalité en son sein. Il est donc nécessaire d’y associer des éléments sociaux et culturels. Cette démonstration de Sen servira de base aux réflexions socialistes sur l’égalité réelle.

Les conditions de réalisation de l’égalité essaient de pénétrer les politiques publiques : la fiscalité, l’éducation, le logement, l’insertion professionnelle ou la lutte contre la pauvreté.
L’égalité des chances est mise à toutes les sauces quelles que soient les couleurs politiques. En 2006, une loi pour l’égalité des chances est même adoptée. Toutefois la définition de l’égalité n’est pas si simple. François Dubet dans Des Places et des chances (2010), en relève deux : une plus individuelle centrée sur la réussite sociale de quelques-uns comme levier de projection pour les autres, et une autre plus collective pour une promotion sociale du plus grand nombre. C’est cette deuxième définition que Benoit Hamon promeut au sein du Parti socialiste avec la « Convention égalité réelle » dont le texte a été adopté en décembre 2010 par le Conseil national et les militants.

Le concept d’égalité réelle n’est donc pas un sujet nouveau pour le parti socialiste et il a toujours été au cœur de sa politique électorale. Et s’il revient un an avant les élections présidentielles, ce n’est pas un hasard.
Ce troisième remaniement répond bien à une démarche électorale, il n’est qu’une étape de la campagne présidentielle : un clin d’œil à la gauche du PS avec le ministère de l’Égalité réelle, un autre à ceux qui appréciaient Jean-Marc Ayrault  ; une caresse aux RDG avec leur patron à la tête d’un ministère et un coup de pied à EELV avec trois nominations et pour ce qui fait la politique « réelle » de ce gouvernement on ne change rien et surtout pas le premier ministre !
Économie, travail, justice, police… on flatte à droite et les inégalités se développent sans état d’âme. La fraternité sociale se transforme en charité sélective, le commun et le collectif disparaissent, la sécurité sociale s’estompe pendant que la sécurité publique développe des mesures liberticides.
Éducation… l’égalité des chances ne produit que des inégalités scolaires en se nourrissant des inégalités sociales. La bienveillance au cœur de la Loi de Refondation ne suffit pas. 

Le concept d’Égalité réelle a été créé par des humanistes au 18e siècle, son utilisation est devenue politicienne au 20e siècle et c’est toujours le cas en 2016.
À quand les concepts de Liberté réelle et de Fraternité réelle ?

Avec des personnages politiques décomplexés, on peut s’attendre à tout !

 1. J'ai trouvé mes réponses dans l'article, « Parcours d'une idée : l'Egalité réelle » sur le site d'Amaury Bessard :
http://amaurybessard.com/2011/03/29/parcours-dune-idee-d%E2%80%99ou-vient-le-concept-d%E2%80%99egalite-reelle/

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