L'un des droits les plus précieux de l'être humain est celui de communiquer librement ses pensées et ses opinions. Dans les sociétés démocratiques, la liberté de parole est non seulement garantie, mais elle s'accompagne d'un autre droit fondamental : celui d'être bien informé. Or ce droit est mis à mal.
Quelques causes…
- La concentration économique
Depuis quelques années, avec la baisse des ventes des quotidiens et la diffusion des journaux gratuits on assiste au regroupement des titres de la presse. Quelques groupes pour des centaines de titres et un seul objectif : rentabiliser ses investissements dans le capital des sociétés de presse.
Ces groupes ont toute puissance avec un pouvoir réuni entre les mains de quelques personnes qui détiennent sans complexe le contrôle des grands titres de presse, des groupes de communication et l’ensemble des instruments de production et de diffusion des produits dits culturels. Un vaste pouvoir économique !
Il faut préciser que le marché médiatique est spécifique, car un produit est vendu deux fois :
- comme tous les produits à ses clients directs (lecteur, spectateur, auditeur...)
- une seconde fois aux publicitaires qui eux s’intéressent au pouvoir d’achat et aux habitudes de consommation de ces clients lecteurs, spectateurs, auditeurs... Cette deuxième vente représente un poids de plus en plus important.
Ces grands groupes privilégient la rentabilité financière et placent aux postes de commande des gestionnaires dont le souci est surtout de répondre aux exigences des investisseurs. Si certains titres ne sont plus rentables, ils s’en débarrassent. Qu’importe ce qu’ils représentent du point de vue éditorial, c’est l’analyse du manager qui compte.
Que peut-il rester du pluralisme de la presse dans ces conditions-là ?
- La concurrence voire la compétition
Selon le discours tenu par les détenteurs du pouvoir médiatique, la concurrence serait synonyme de création. En fait on constate plutôt une uniformisation, comme on ne veut pas être en reste et qu’on veut récupérer les consommateurs d’un certain type de produit, on imite et on ne crée pas. Prenons l’exemple de la télévision, on assiste à la diffusion du même type de produits sur toutes les chaînes : jeux, émissions de téléréalité, séries policières…
Le phénomène est comparable pour la presse et les journaux télévisés. Des équipes d’envoyés spéciaux parcourent le monde. Chacun se surveille, car il faut avoir l’information avant tout le monde. C’est ainsi que si plusieurs événements surgissent simultanément dans le monde, il n’y en aura qu’un de couvert : celui qui aura attiré toutes les équipes !
Tous les journaux traitent les mêmes sujets, seule l’importance accordée peut varier d’un média à l’autre, avec le choix des unes, les premiers titres…
Tous les médias se copient les uns les autres : les journaux suivent le ton de la télé, les nouvelles se plagient les unes les autres. De plus, l’information en continu impose un nivellement de tous les faits.
Toutes les productions d’informations sont traitées comme n’importe quelle marchandise, elles obéissent aux lois du marché et à la sacro-sainte compétivité.
Quel poids reste-t-il aux règles éthiques ? Par exemple, lorsqu’une catastrophe arrive, on assiste aux enchères sur le nombre de morts. On commence avec une dizaine, pour finir le lendemain à plus de 10 000 morts !
Les investisseurs doivent en avoir pour leur argent et le plus rapidement possible et comme il faut les garder, voire les attirer ; la recherche de « bonnes notes » devient indispensable : l’audimat pour le journal télévisé, le nombre de cadres publicitaires dans les journaux, le nombre de ventes…
- Voir serait savoir
Les journaux télévisés cherchent plutôt à amener le spectateur à regarder les événements d’une certaine manière : banaliser les catastrophes, certains phénomènes économiques ou au contraire en exaspérer d’autres pour entretenir la peur.
Quand la misère, le chômage, la maladie sont traités, ils sont banalisés par des chiffres et des statistiques puis commentés par quelques experts, des personnes désignées compétentes par les politiques et qui deviennent des professionnels des plateaux. Le citoyen subit passivement le flot d’informations qui lui fait confondre voir et savoir.
Les médias renforcent le sentiment d’impuissance et de résignation du citoyen. D’abord, en véhiculant la vision d’un monde devenu trop complexe, donc incompréhensible et intransformable, puis en ayant recours aux experts pour finir de convaincre le citoyen lambda qu’il n’a pas son mot à dire.
Le journalisme d’investigation diminue au profit de la production d’informations rapides peu coûteuses en temps et moyens humains. La presse écrite a cette mission d’investigation, de débat, mais elle se réduit comme peau de chagrin... et de plus en plus, les émissions et les journaux jouent sont sur la même longueur d’onde, ils misent plutôt sur le spectacle que sur la construction d’une pensée collective sur une question donnée.
Certains titres résistent, mais leurs difficultés financières sont énormes, combien de temps encore pourront-ils le faire ?
Les citoyens peuvent-ils se réapproprier l’information ?
La participation des citoyens est réduite aux sondages qui empêchent la construction d’une intelligence collective puisque l’individu est isolé dans sa pensée tant pour celui qui donne son avis que pour celui qui reçoit les résultats. Ces sondages, sous des couverts démocratiques d’écoute de spectateurs, de lecteurs servent donc surtout à justifier les contenus de sujets que les journaux souhaitent traiter.
Certains médias sur internet développent la participation de leurs lecteurs. Mais qui s’approprient ces espaces participatifs ? Ceux qui ont le temps, ceux qui ont une certaine formation, ceux qui ne regardent jamais la télévision ou alors avec l’esprit critique ? Mais pas encore tous les citoyens !
- Quelques propositions (liste non exhaustive, à compléter…) :
- mettre en œuvre dès l’enfance des pratiques de participation démocratique, d’analyse critique des médias, de production d’informations que ce soit à l’école, dans les centres de loisirs ou au sein des associations culturelles et sportives ;
- développer des espaces de démocratie participative sur les territoires, sur Internet… où réfléchir ensemble, construire ensemble, gérer ensemble forme des espaces de résistance, d’innovation et de création ;
- sortir de l’emprise marchande qui étouffe l’univers médiatique : se tourner vers des formes d’économie sociale et solidaire reposant sur des pratiques coopératives, de partage et de mutualisation de l’information avec la participation des lecteurs, auditeurs... des activités qui renforceraient le lien social ;
- mutualiser, échanger ses savoirs : le monde est complexe, mais ne pas laisser sa lecture aux seuls experts. C’est un devoir de sortir de son laboratoire, de son université, de son école, de son entreprise, de sa bibliothèque, de chez soi pour extérioriser et mutualiser ses savoirs. Chaque citoyen est porteur de nombreux savoirs (savants, culturels, techniques, artistiques, sociaux...) et chacun peut être à la fois un transmetteur et un récepteur de savoirs.