La pédagogie Freinet, comme tous les mouvements pédagogiques issus de l’Éducation nouvelle l’a bien compris. L’enfant, le jeune exercent leur citoyenneté au sein de la classe, de l’établissement en cohérence avec les textes de référence de la société.
L’apparition dans les premières années du 20e siècle, des mouvements pédagogiques de l’Éducation nouvelle est le fruit de la volonté de militants, convaincus de la nécessité de mettre en place dès l’école primaire, une éducation active à la démocratie pour construire « une société coopérative » non violente, démocratique et solidaire.
Cependant, installer un espace démocratique procède d'une conception éducative fondée sur l'apprentissage par tâtonnement expérimental de la liberté, de la responsabilité, des droits et des obligations, au sein d'une communauté qui met en œuvre les principes d'entraide, de solidarité, d'autonomie, de coopération, tant pour la réalisation des projets communs définis ensemble que pour la réalisation de projets personnels.
Les visées de la pédagogie Freinet sont ambitieuses, puisqu’elle se veut libératrice et émancipatrice pour tous les enfants, notamment pour ceux qui ne sont pas nés dans les familles où cet objectif est évident et qui n’ont que les espaces et temps éducatifs, dont l’École, pour se construire en tant que citoyens acteurs et auteurs de leur vie, qu’elle soit sociale, professionnelle ou personnelle.
En effet, il est ambitieux de vouloir que chaque enfant s’approprie les savoirs indispensables pour lire et écrire le monde ; de découvrir que l’autre est un vecteur pour apprendre et non un empêchement ; que la coopération est un accélérateur de connaissances et de réussites préférable à la compétition qui élimine et exclue ; que la société n’est pas un OVNI qui ne le concerne pas avec ses lois parfois anciennes, mais qui sont en perpétuelle évolution et que ce sera à lui de les défendre et de les transformer ; que la planète est le bien commun de tous les humains avec ses ressources limitées qu’il faut partager quelles que soient les politiques, les économies, les religions, les histoires… ; que la paix ne s’apprend pas, mais se construit dès les premières heures de vie en société dans les crèches, dans les lieux scolaires, les espaces éducatifs et culturels qu’ils soient proches ou éloignés de l’École.
Les éducateurs et enseignants Freinet ne sont pas les seuls à partager cette ambition qui peut sembler une utopie, mais qui pour avancer est indispensable.
Préparer, construire cet être humain « rêvé » demande un quotidien pédagogique spécifique. Être citoyen ne s’improvise pas à 18 ans avec la majorité. Le mouvement Freinet depuis ses débuts travaille dans ce sens : donner les clés et les outils à chaque enfant pour agir et prendre sa place dans la société et le monde.
Des principes démocratiques au quotidien…
La solidarité, une solidarité consciente – adultes et enfants – qui met en jeu la responsabilité et la volonté individuelle de concourir au bien commun, au progrès de chacun : (s’)assister, (se)soutenir, (s’)encourager, (s’)aider…
La fraternité, « La vraie fraternité, c’est la fraternité du travail » (C. Freinet). C’est bien devant la difficulté, lorsqu’il est nécessaire de s’entraider que se créée une fraternité humaine : reconnaître l’autre comme un autre moi, cela dépasse la simple admission de son existence, c’est apprécier l’existence et la présence des autres à ses côtés, voir ses différences et similitudes, les accepter pour s’enrichir ou se différencier, c’est pouvoir un jour se réjouir et profiter positivement des différences entre les êtres, en jouissant de la complémentarité qu’elles offrent. Accepter l’autre tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit, ne plus en avoir peur pour s’accepter soi-même.
La responsabilité, je cite encore Freinet : « Nous préparons, non plus de dociles écoliers, mais des hommes qui savent leurs responsabilités, décidés à s’organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d’efficience et de paix. »Former un citoyen engagé, apte à s’exprimer, à agir avec les autres et à prendre des responsabilités, au sein des collectivités où il vit, où il travaille.
Des principes qui se vivent dans un climat de confiance qui assure la sécurité, développent l’estime de soi une attitude de l’adulte qui encourage et respecte les droits, la dignité, la différence et les capacités de chacun.
… pour Apprendre et vivre ensemble…
Organiser et réussir ensemble des actions importantes est un moyen efficace pour créer un groupe démocratique et coopératif :
Produire, créer (un texte, une œuvre, un journal, un livre… )
Acquérir des savoirs lors d’apprentissages personnalisés motivés par des projets (individuels ou collectifs).
Proposer une activité, un travail en s’appuyant sur des situations réelles donnant aux enfants le besoin de travailler ensemble dans un but commun.
S’entraider, un principe en interaction avec un modèle idéal de relation sociale, mais l’entraide doit être féconde et stimulante au niveau des apprentissages et réalisations.
Construire et appliquer les règles de vie, partager les responsabilités, résoudre les conflits. Toutes les décisions sont prises ensemble, les droits, les obligations des enfants et des adultes sont clairement précisés et constituent une charte de vie commune.
Élaborer et réaliser un projet, définir les objets d’apprentissage, répartir le travail au sein d’une équipe, faire le suivi…
Ouvrir l’espace éducatif sur le monde proche ou plus lointain, organiser des partenariats avec les parents, des intervenants extérieurs, favoriser les rencontres.
Communiquer par l’entretien, le journal, la correspondance, les expositions, les conférences et exposés.
S’organiser avec les plans de travail, l’emploi du temps, la gestion des espaces, des ateliers et des outils pour permettre à chacun de disposer de temps et d’espaces personnels pour la réalisation des projets.
Même si la citoyenneté s’exerce dans ces différentes actions, il ne faut pas oublier les connaissances indispensables qui la nourrissent : les grands textes (Déclaration universelle des droits de l’homme, Convention internationale des droits de l’enfant, Constitution de la République), les étapes historiques, la réalité des droits humains dans le monde, les éléments de droit, etc.
Les recherches documentaires (bibliothèque de classe, CDI, BCD, Internet…) guidées par l’enseignant ou autre adulte, l’invitation d’intervenants extérieurs (famille, experts…), la correspondance nationale et internationale, l’étude du milieu (social, historique, naturel…) sont des techniques pédagogiques essentielles pour les acquérir. Les situations d’apprentissages et de vie d’une classe Freinet mettent en jeu de nombreuses connaissances et attitudes citoyennes.
Quelques situations pédagogiques courantes

Agrandissement : Illustration 1

C’est à Janusz Korczak que l’on doit l’introduction des pratiques des conseils coopératifs en pédagogie. Pédiatre polonais de la première moitié du XXe siècle, il s’efforçait de proposer une éducation de qualité aux enfants abandonnés, aux orphelins et aux enfants juifs du ghetto de Varsovie.
En France, ce sont Barthélémy Profit puis Célestin Freinet qui ont introduit cette démarche et l’ont progressivement fait évoluer.
Dans la classe, dans l’école, ils offrent aux enfants la possibilité d’agir véritablement sur ce qui les concerne : l’organisation matérielle de l’espace, l’emploi du temps, les projets de travail et de sorties, les récréations, l’élaboration des règles de vie, la gestion des conflits, etc. Donner son avis certes, mais aussi décider avec ses camarades et suivre les décisions du conseil.
Un moment d’expression et de décision réglé où l’écoute est aussi importante que la prise de parole. Un moment de participation démocratique réelle qui devrait laisser de bonnes traces dans le vécu scolaire des enfants et se retrouver dans leur vie d’adulte.
L’élaboration et la mise en œuvre de projets avec les enfants
Lorsque le conseil a entériné les propositions de projets. Les enfants concernés se mettent au travail en petite équipe où la coopération est indispensable, chacun devant trouver sa place. La répartition des tâches est importante pour que chacun progresse, ce n’est pas forcément celui qui sait le mieux qui fait… la part de l’adulte est importante. Ce n’est pas si naturel, par exemple ne pas cantonner l’enfant qui dessine « bien » à toujours dessiner ! Tout sera fait dans l’aménagement de la classe (temps, espace) pour faciliter la réalisation du projet.
L’entraide et la coopération
Permettre à chacun d’être respecté dans ses cheminements d’apprentissage demande des temps spécifiques de travail personnel dans la classe. Une organisation est essentielle pour que chacun sache où il va, ce qu’il a à apprendre, à réviser, à rechercher. Le plan de travail (personnel, collectif, mural, sur feuille… selon les pratiques) est utile. L’autonomie n’est pas un abandon, l’enfant doit avoir à sa disposition tout ce dont il a besoin (en ressources humaines comme en matériel), c’est la part du maître, cher à Freinet. Cette autonomie n’est pas individualiste, mais coopérative. L’entraide est assurée aussi bien par l’enseignant que par les enfants de la classe.
« Celui qui sait aide celui que ne sait pas » est un principe institué. Ce n’est aucunement de la charité : « je te donne quelques miettes de ce que je sais », mais de la solidarité « je te donne les moyens de comprendre pour que tu progresses ». L’enseignant peut compter sur les enfants et ainsi consacrer du temps pour aider lui-même celui qui a davantage de difficultés ou tout simplement besoin d’une présence adulte pour cheminer.
L’engagement dans des actions citoyennes
La vie ne s’arrête pas entre les murs de l’école, elle entre dans la classe, qui elle-même sort, la rejoindre. Le quartier, le village, la ville sont les chapitres d’un livre à ciel ouvert : une pierre soulevée, un banc public, la plaque d’une rue, une porte cochère, un homme couché sur le trottoir, une canne blanche, un oiseau siffleur, une fenêtre toujours fermée… sont autant de sources de questions, de débats philosophiques, de recherches, de points de départ d’actions de solidarité, de protection de l’environnement, de défense des droits humains.
L’expression
Toutes les nouvelles connaissances qu’elles soient humaines, scientifiques, artistiques, juridiques… nourrissent les textes littéraires, poétiques, documentaires qui seront publiés dans les journaux scolaires, les sites et blogs internet.
La liberté d’expression est essentielle, mais avec la reconnaissance de celle de l’autre, de son écoute. La compréhension et l’empathie prennent corps ainsi au quotidien.
C’est un droit inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et dans la Convention internationale des droits de l’enfant avec ses obligations qu’il faut connaître.
La presse et les médias
« Le journal scolaire est comme une permanente enquête qui vous place à l’écoute du monde, une large fenêtre ouverte sur le travail et sur la vie. » (C. Freinet)
L’utilisation et la réalisation d’un journal permettent de désacraliser ce type d’écrit et de mieux en comprendre les rouages. Sa diffusion est un acte de communication en grandeur nature, qui amplifie les textes écrits.
Une meilleure connaissance des médias en général est indispensable, car sa place est déterminante dans notre société. C’est en étudiant la presse, en faisant de la radio, des reportages, en tenant des blogs qu’ils étudient les circuits, les contraintes, les aspects juridiques (la diffamation, l’injure, l’offense, le respect de la vie privée, mais aussi le dépôt légal, les mentions obligatoires, l’utilisation des images) qu’ils apprennent à vérifier les informations, l’origine, l’auteur, la diffusion, à hiérarchiser, à soumettre à la critique, de se mettre à distance… les risques de ne pas le faire, la lecture des dépêches de l’AFP à l’origine des articles des journaux et leurs différents traitements s’avère formatrice…
… Et c’est toujours D’ACTUALITÉ
L’institution fait primer les impératifs de sécurité, de maintien de l'ordre, sur les impératifs d'éducation à l'autonomie et à la responsabilité : il faut enseigner, éduquer sans le moindre risque, surveiller étroitement les enfants, les maintenir sous la tutelle des adultes. Pourtant, l'expérience des classes et des autres espaces coopératifs témoigne que les enfants peuvent être des acteurs responsables lorsque le droit et les moyens leur en sont donnés. Tous les espaces éducatifs doivent être le lieu d'apprentissage des droits humains en permettant aux enfants d'y vivre leurs droits d'enfants. Entre protection et émancipation, c’est pourtant toute la part de l’adulte !
La société, par la voix des médias, des politiques voudrait que l’école et ses partenaires résolvent les problèmes liés à la violence, aux comportements non citoyens, au non-respect de l’environnement.
L’Éducation nationale pour répondre à ce défi propose pour tous les élèves du primaire et du collège un enseignement moral et civique avec des programmes inspirés par les pratiques pédagogiques de l’Éducation nouvelle. Les classes Freinet comme toutes les classes coopératives font déjà de « l’enseignement moral et civique », sauf que pour elles, ce n’est pas un enseignement en soi, c’est un exercice au quotidien de pratiques permettant une construction de la citoyenneté pas à pas et dans tous les temps et espaces de l’École.
Il suffirait donc que toutes les classes aient des pratiques coopératives pour que tous les enfants soient dans cette situation ! On n’en est pas encore là, les pratiques coopératives sont minoritaires. Il faut dire qu’elles ne pénètrent guère la formation initiale et continue des enseignants.
Aujourd’hui, le mouvement Freinet continue, ses enseignants sont dans l’enseignement public, que ce soit dans les écoles de village, dans les villes et ses quartiers populaires, dans les écoles de l’éducation prioritaire. Il prend toujours en considération ce qu’est l’enfant, ce qu’il vit et ce qu’il fait dans l’école, dans son quartier, dans son village et dans sa famille : ce fameux « regard global porté sur l’enfant ». Il vise toujours la construction d’un citoyen et d’une citoyenne qui ne peuvent se satisfaire d’une société asservissante et qui prennent les manettes de leur destinée qu’elle soit sociale, économique, culturelle, environnementale…