Petite lecture personnelle et de pédagogue du discours de Najat Vallaud-Belkacem lors de la conférence de presse du 22 janvier 2015. Je ne fais pas le recensement des manques, ce serait trop long ! Je regarde le verre à moitié plein… et emploie beaucoup le conditionnel.
Dix jours d’échange ont permis d’éviter des mesures urgentes qui auraient répondu aux événements immédiats. Dix jours c’est un temps long pour les médias, mais un temps court pour la réflexion qui ne devrait donc pas s’arrêter le 22 janvier, elle continuera jusqu’au mois d’avril pour répondre aux questions : « Comment rétablir de la mixité sociale dans nos territoires et nos établissements ? Comment ouvrir véritablement des perspectives de réussite scolaire et professionnelle à chacun de nos jeunes ? Comment contrer à l’intérieur autant qu’à l’extérieur des murs de l’école les discours de haine et de repli sur soi ? »
Pour la ministre, le sursaut ne peut pas venir que d’en haut. « Dans une société où les lieux de débats ont déserté la vie sociale, et ou bien peu de médias proposent des informations adaptées à l’enfance et à l’adolescence, la tentation est grande de conférer un rôle démiurgique à l’école, alors qu’elle a plus que jamais besoin de la mobilisation de tous ses partenaires. C’est pourquoi le sursaut doit être collectif et pérenne. »
En attendant la fin de ces réflexions, le ministère souhaite apporter des premières réponses.
1. La formation des enseignants
La formation initiale
Une évaluation de la capacité à « expliquer et à faire partager les valeurs de la République » dans les concours de recrutement. Les connaître, pourquoi pas, mais les partager sur une feuille d’examen, trop artificiel ! Savoir partager se pratique avec les autres et l’ESPÉ devrait être l’espace privilégié. Je trouverais plus pertinent que l’étudiant s’interroge sur le pourquoi de son désir d’enseigner. « Les ESPE feront une place prioritaire dans le tronc commun aux apprentissages fondamentaux sur la laïcité, l’animation des débats, les usages des médias ». Espérons que ces apprentissages se feront lors de situations réelles : débats, échanges, utilisation des médias… et non par des cours magistraux. Car sinon, comment ces jeunes enseignants pourront-ils offrir de telles situations aux élèves, s’ils ne les ont pas vécues et pratiquées ?
La formation continue
La ministre reconnaît que la formation continue est en « déshérence » depuis très longtemps. Une « formation à la gestion de groupe, à l’animation des débats, à l’enseignement des questions dites sensibles, à la manière de faire vivre la laïcité et la citoyenneté, aux usages des médias ou aux technologies numériques » est préconisée. Là aussi, il faut espérer qu’elle se fasse bien dans les établissements selon les demandes des équipes avec les ressources extérieures, si besoin, comme évoquée par la ministre et qu’elle ne se limite pas à une liste de documents sur Internet ou des présentations magistrales d’experts dans les circonscriptions. Comme le dit Najat Vallaud Belkacem : « Faisons confiance à notre million de personnels, qui mieux que quiconque savent comment être aidés. »
2. Les incivilités
La question de l’autorité : « celle du respect du maître et du respect entre élèves bien sûr. »
Déjà en 1964, Célestin Freinet dans un des invariants pédagogique pour améliorer l’école énonçait : « On ne peut éduquer que dans la dignité. Respecter les enfants, ceux-ci devant respecter leurs maîtres est une des premières conditions de la rénovation de l'École. »[1]
Proposition de la ministre «: ces règles seront précisées dans un règlement intérieur qui sera signé avec la Charte de Laïcité par les parents et les élèves ». Insuffisant ! Tous les adultes de l’établissement doivent s’engager à les respecter, donc toute la communauté éducative devrait les signer.
Pour les réponses aux « comportements contraires », je suis un peu plus rassurée, car les discours de François Hollande et de Manuels Valls sur les signalements et les sanctions m’avaient inquiétée. Là, le dialogue éducatif semble être privilégié, ainsi que les mesures de réparation et de responsabilisation, la sanction serait reléguée en dernier recours. Le partenariat et l’appui des associations sont recommandés.
3. Le cadre collectif
Améliorer le sentiment d’appartenance des élèves à la collectivité.
Najat Vallaud-Belkacem définit ainsi le principe de laïcité « qui est au fond un principe de liberté (de pensée), d’égalité (de droits et de devoirs) et de fraternité (de vivre ensemble) ».
En parlant de droits, quelle place pour la « Déclaration des droits de l’Homme » et de la « Convention internationale des droits de l’enfant » dans les établissements scolaires ? Pour l’instant, ce n’est pas réjouissant. Dans le meilleur des cas, elles sont affichées, la Déclaration des droits de l’Homme est enseignée en histoire, la Convention des droits de l’enfant, elle, est rarement étudiée et encore moins appliquée, pourtant il y a une journée des droits de l’enfant. Alors, quand la ministre propose une journée de la laïcité, une journée de plus… qui ne servira pas à grand-chose si tous les autres jours de l’année, c’est le vide.
Bien sûr que le « nous » est important, mais s’il se réalise dans la vie de tous les jours.
4. Accompagner et faire vivre la citoyenneté et la démocratie dans les établissements
La ministre a entendu qu’« il n’est pas de meilleur apprentissage de la citoyenneté pour les élèves que d’en faire l’expérience personnelle » et que cela dépasse le seul enseignement moral et civique prévu dès la rentrée 2015. Elle institue donc un « parcours éducatif citoyen que suivront désormais tous les élèves, de la primaire jusqu’au lycée dans toutes les filières » sur les temps scolaires et périscolaires. Les nouveaux programmes devraient incorporer l’éducation aux médias pour savoir décrypter l’information et l’image, se forger une opinion…
La ministre reconnaît la production de médias par les élèves (blog, radio, journal, plateforme collaborative en ligne) pour un « meilleur apprentissage des enjeux, de la fiabilité et de l’interprétation des infos ». Dommage que ce soit juste pour le second degré ! Cette production est déjà bien présente dans beaucoup d’écoles primaires, il faudra le rappeler à la ministre.
Najat Vallaud-Belkacem préconise le développement de la participation des élèves à la vis sociale et démocratique de la classe, de l’établissement avec les conseils d’enfants à l’école primaire, les conseils de la vie collégienne et les conseils de la vie lycéenne.
« Des partenariats seront recherchés avec les collectivités locales, les associations, les médias pour concourir à ces expériences. Ces partenariats seront inscrits dans les projets d’école et d’établissement ». C’est bien noté, et j’espère que les expertises des pratiques coopératives des mouvements pédagogiques seront sollicitées !
Le parcours sera validé à la fin de scolarité obligatoire « selon des modalités qui veilleront à valoriser non pas les performances, mais l’engagement qu’il aura requis et que chaque élève sera amené à présenter ».
Le Mouvement Freinet pourra proposer à la DGESCO la pratique des brevets et des « chefs d’œuvre »[2] pour cette fin de scolarité.
5. Associer les partenaires de l’école
Les parents sont reconnus comme co-éducateurs. La ministre crée « un comité départemental d’éducation à la santé et à la citoyenneté, compétent pour le premier et second degré. Associant l’ensemble de la communauté éducative ». Normalement, il devrait y avoir plus d’espaces parents dans les établissements.
Les collectivités locales et les associations d’éducation populaire sont reconnues comme acteurs majeurs de la réussite éducative. Du travail en perspectives pour le CAPE (collectif des associations partenaires de l’école) !
Un volet laïcité sera inclus dans les projets éducatifs territoriaux (PEDT), il sera financé par un fonds d’État (10 M€) à destination des associations de jeunesse et d’éducation populaire.
Les associations du CAPE devraient donc être sollicitées dans des projets sur le territoire.
Et le bénévolat également ! « Aucune bonne volonté ne doit rester à la porte de l’École ». L’école ouverte ! Ce serait une vraie révolution.
Najat Vallaud-Belkacem veut mobiliser « l’ensemble des citoyens désireux d’apporter leur concours aux missions de l’école, bénévoles associatifs, grands témoins, simples citoyens ».
6. Transmission des savoirs et résorption des inégalités
Là, la ministre reprend la proposition de François Hollande : la maîtrise du français (lecture-écriture), une priorité. « Un chantier prioritaire pour la maîtrise du français est lancé dès aujourd’hui. Il n’y a pas de possibilité d’argumentation si les enfants manquent d’aisance dans le maniement de la langue ; il n’y a pas de débat possible si la capacité d’écouter l’autre pour le comprendre n’a pas été éduquée ; il n’y a pas d’accès possible à une culture de la raison et du jugement si le goût des idées, le plaisir de penser par soi même dans l’échange avec d’autres, la capacité à comprendre des textes qui aident à dépasser son point de vue, n’ont pas été développés dès l’école primaire. »
Au-delà des bonnes intentions, il faudra que les pédagogies soient questionnées, en particulier celles qui permettent :
- d’établir d’autres modes de relation entre les personnes, entre les connaissances et les cultures, en offrant des situations de coopération, d’entraide, de partage, d’apprentissage par et avec l’autre et en laissant le temps de les construire ;
- de former des individus désireux de comprendre le monde dans sa complexité et conscients d’appartenir à l’humanité en donnant à chacun les capacités de lire, de comprendre, de créer… et d’articuler ses désirs personnels avec les besoins du collectif ;
- de permettre le développement des capacités à agir en humaniste sur le monde avec des individus libres, responsables, dignes, fraternels, solidaires, coopératifs.
Une évaluation au début de CE2 pour détecter les difficultés et mettre en place les réponses. C’est dans la pratique quotidienne de la classe, de son cours qu’il faut accueillir les cheminements personnels des élèves et apporter les réponses. Au CE2, c’est déjà trop tard.
7. Résorption des inégalités
Après la valorisation des dernières réformes (rythmes scolaires, éducation prioritaire, scolarisation avant 3 ans…) qui sont loin de faire l’unanimité dans le monde éducatif – bon, passons – la ministre propose une politique active de mixité sociale dans les collèges, d’élargir la sectorisation « Il est temps de prendre nos responsabilités pour enrayer le séparatisme social dans les établissements scolaires. »
Pourquoi, ne pas réfléchir à la sectorisation également pour le primaire ? La ségrégation sociale commence tôt dans notre école, dès la maternelle.
8. La recherche
« Impliquer pleinement la recherche pour éclairer la société dans son ensemble sur les fractures qui la traversent et les facteurs de radicalisation, et agir contre les inégalités qui minent le contrat social. »
Dans ce passage du discours, je ne retiens qu’une chose, le développement de « la culture de l’engagement, par le soutien aux projets étudiants, la reconnaissance des compétences acquises lors d’engagements citoyens, une mobilisation pour le service civique universel ».
Appréciation générale du discours de notre ministre
De bonnes intentions sans doute sincères, quelques propositions sur lesquelles les mouvements pédagogiques coopératifs peuvent rebondir pour conforter leurs pratiques quotidiennes.
Un regret : une école coopérative au lieu d’une école compétitive n’a pas été évoquée, entre autres oublis. Ce n’est pas faute d’en avoir parlé lors des auditions.
Il reste beaucoup à proposer et à décider pour transformer notre école ségrégative en une école pour tous et avec tous.
Travail à poursuivre.
Des « Assises de l’Éducation » ont été proposées à la fin de l’audition de la Ministre avec le CLEMI par des journalistes (Edwy Plenel et Bondy Blog). Najat Vallaud-Belkacem a retenu cette proposition. Maintenant tout dépendra de leur forme. Partout sur le territoire avec les personnes du terrain serait un minimum.
[1]Les invariants pédagogique : http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/18353
[2] L’Éducateur n° 14 « Dossiers pédagogiques de l’École moderne » : http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/15568