Quand on fait le choix de la méthode naturelle de lecture, on pose clairement son engagement politique : il s’agit d’éduquer des individus à être acteurs et auteurs dans une société démocratique et à œuvrer pour qu’elle le soit le plus possible. C’est une volonté de donner à chacun sa place dans cette société et la maîtrise de la langue en est une condition essentielle, c’est non seulement parler et écrire, mais aussi s’approprier les outils conceptuels qui permettent de construire sa pensée et de comprendre celle de l’autre. Chaque individu est différent, acteur d’une histoire unique. Il doit avoir le droit de dire, d’écrire, de dessiner ses émotions, ses sentiments, de se raconter… Chacun doit avoir le temps, les outils pour s’exprimer oralement, par écrit. C’est le rôle de l’enseignant et de la classe coopérative que d’accueillir avec respect cette expression. Faire jaillir sa parole, c’est faire jaillir sa pensée, la confronter à celle de l’autre, la structurer. Si l’enseignant offre à l’enfant la possibilité de tâtonner, celui-ci va conceptualiser au cours des ses essais, des savoirs, des savoir-faire de plus en plus experts, qui lui permettront d’entamer de nouveaux tâtonnements… L’enseignant est aussi un passeur de cultures pour que l’enfant soit confronté à d’autres écrits, à d’autres cultures…
Ma pratique
Dès le premier jour, je plaçais l’enfant en situation d’écriture, avec une dictée à l’adulte. C’était le premier cahier, le cahier d’écrivain. Ce que tu as fait hier, ce matin, ce que tu aimes… Pour gérer mon passage à côté de chacun, je demandais aux enfants de dessiner ce qu’il voulait raconter le plus précisément possible. J’écrivais à chaque fois une ou deux phrases maximum et je leur demandais aussi de s’entraîner à relire, à se rappeler ce qui était écrit. Ils pouvaient me demander de l’aide. Un peu plus tard, nous faisions une présentation de ce texte à la classe. Un seul (celui qui plaisait le plus) devenait le premier texte de référence, que toute la classe allait mémoriser (en entier, par ligne, ou par mot selon les avancées de chacun). Travail collectif où chacun montre ce qu’il sait ou croit savoir : « je reconnais telle lettre, tel mot, c’est dans cette ligne… certains osent, d’autres se contentent d’imiter un camarade, tout est permis).
C’est dans ce premier moment où le climat est chaleureux, confiant, coopératif que la confiance va s’installer, que l’erreur sera traitée comme un simple moment d’apprentissage. Le premier soir, l’enfant rentrait à la maison avec son cahier d’écrivain pour relire son texte. Le lendemain, de nouveau écriture. Mais cette fois-ci, lorsque je passais, si un mot de l’histoire faisait partie du texte de référence, je mettais un trait et je demandais à l’enfant de le retrouver (seul ou avec un camarade). L’enfant était en situation de lecture : il relisait son texte, cherchait la ligne, puis le mot….vérifiait avec un camarade ou avec moi. Ainsi, l’enfant pouvait tâtonner, expérimenter, réinvestir selon son rythme personnel, ses acquis. Les plus rapides reconnaîtront un mot directement, alors qu’un autre sera obligé de tout relire, mais chacun réussira à écrire le mot recherché (seul ou avec l’autre). Dans les moments de découverte d’un texte (enfant, lettre collective, recette…), chacun va non seulement utiliser ce qu’il sait, mais va profiter des découvertes, remarques des autres. Répétition, imitation, confrontation, expérimentation, vérification… les uns révisent, apprennent, se consolident, se rassurent… chacun prenant ce dont il a besoin.
Différents moments suivront :
- Le travail personnalisé pour systématiser les découvertes vont les accompagner : techniques d’écriture, entraînements de mémorisation, fichiers de lecture qui sollicite l’enfant sur l’observation, le sens.
- L’écoute : contes, histoires, poésies
- La bibliothèque.
De plus en plus, dans les cahiers d’écrivain l’écriture de l’enfant va prendre le pas sur la mienne. Jusqu’au jour (personnel pour chaque enfant) où c’est l’enfant qui va commencer à écrire toujours en cherchant les mots dans ses textes ou dans les textes de références et qui va tracer le trait pour le mot qu’il ne connaît pas, et moi je passe alors l’écrire. Dans les moments de découverte, les enfants vont être de plus en plus nombreux à faire des comparaisons. Exemple : en voyant parapluie, certains vont dire et montrer le « pa » de papa et d’autres le « pa » de patin, certains pourront aussi rapprocher la syllabe « pi » de pirate et le « po » de potiron ou le « peau » de chapeau. Alors, première découverte : deux écritures pour « po » ! et les premières contraintes d’écriture avec chapeau et potiron, on pourra alors faire une première référence : le « po » de potiron et le « peau » de chapeau. Dans cette découverte, certains resteront à « pa » d’autres l’étendront à « pi », « po »…d’autres verront que c’est la même chose avec « ma » on peut l’étendre à « mi » …. Lors du travail individuel, c’est à l’enseignant de faire travailler ce qui est sorti des découvertes. Avec tous, on peut travailler les syllabes des textes avec « pa », puis rechercher toutes les syllabes avec « p » et essayer de les lire, de les écrire. On fait alors des comparaisons, des rangements, des références. L’écrit va alors encore changer, l’enfant va non seulement faire le trait pour moi, mais il va écrire ce qu’il sait du mot : par exemple il veut écrire « citrouille », il va écrire « ci » (il connaît « cinéma ») et va finir par un trait. L’enfant est entré dans la combinatoire et suivront : la comparaison, le rangement, les listes de mots (personnelles et collective), les références, l’utilisation de petits dictionnaires.
L’enfant sait lire, lorsqu’il écrit il est de plus en plus en situation d’expression, il oublie de s’arrêter pour tracer le trait. Le travail de correction, d’amélioration se fait à posteriori.
Des outils lui seront nécessaires : l’organisation du texte, l’orthographe, le vocabulaire, la grammaire mais toujours en situation.
Quelques situations pour faire vivre le désir et le plaisir de d’écrire et de lire :
- Les moments de parole
- La correspondance (individuelle et collective)
- La réalisation d’un journal
- La présentation et la lecture d’albums
- La recherche de recettes, de modes d’emploi - …
Avec une indispensable: l’organisation coopérative
Plus de compétition, mais un climat d’écoute, de confiance, d’entraide avec des règles de vie qui les mettent an avant.