Surveillez avant tout la santé et la vie de vos enfants
(Extrait du « Deuxième discours à des Parents sur l’Éducation nouvelle prolétarienne », L’Éducateur prolétarien, 10 mars 1935)
Surveillez avant tout la santé et la vie de vos enfants, car d’elles dépendent, quelles que soient par ailleurs les circonstances accessoires, les progrès intellectuels, moraux et scolaires dont vous vous préoccupez à juste titres.
Nous disons bien santé et vie pour attirer votre attention sur une conception erronée et souvent courante de la santé. […] La santé est une harmonie à la conquête difficile ; elle est en danger toutes les fois que vous constatez en vos enfants une altération de ses grandes fonctions vitales, qu’elles soient diminution ou atténuation de ses réactions, ou, au contraire, excitation et déséquilibre.
L’École s’en soucie fort peu, direz-vous.
– Exigez de l’air, de la lumière, de la propreté en classe ; faites désaffecter les vieux locaux sombres et exigus ; exigez la construction d’écoles spacieuses et claires.
– Protestez contre le surmenage des éducateurs débordés par une surcharge scandaleuse des classes ; protestez contre les habitudes d’une administration qui parque les enfants pendant six heures par jour, entre des bancs incommodes, véritables instruments de torture ; soutenez les tentatives de libération scolaire dont nous vous parlons.
C’est à vous de vous en soucier pour elle et de l’aider dans ses modestes essais en soutenant les mots d’ordre que nous avons préconisés à ce sujet pour les Ligues de Parents.
– A vos enfants exténués par les efforts scolaires, donnés au moins, en dehors des heures obligatoires de travail passif, la possibilité de s’épanouir selon leurs lignes de vie. Six heures par jour – si elles étaient rationnellement employées – seraient largement suffisantes pour les acquisitions indispensables.
Quoi qu’il en soit, pour la besogne de bourrage actuellement poursuivie, les heures de classes suffisent amplement.
Élevez-vous donc contre la pratique barbare des devoirs à la maison, et exigez l’organisation collective et sociale des jeux et du travail libre enfantins hors l’école.
– N’oubliez pas, enfin, qu’il n’y a pas de pire handicap pour des enfants que la misère physiologique. En réclamant pour vos salaires, en luttant pour le travail et le pain, vous luttez pour une meilleure éducation de vos enfants ; car un régime qui attente aussi gravement que le régime actuel à votre niveau de vie, atteint encore plus profondément vos enfants dans leurs possibilités éducatives, quelles que soient les apparentes sollicitudes, foncièrement hypocrites, par lesquelles on tente de masquer ce crime social.
Ne séparez donc pas, dans votre lutte quotidienne, des revendications qui sont aussi intimement liées : il n’y a pas d’un côté votre vie à vous, votre travail exténuant, votre asservissement et votre misère, et de l’autre la possibilité pour vos enfants de profiter de l’école capitaliste pour s’émanciper et secouer le joug de l’exploitation.
Ces deux questions sont intimement, matériellement liées : votre misère, c’est la misère de vos enfants, leur défiance scolaire, leur impuissance devant la vie, un anneau seulement de la chaîne qui vous rive à vos maîtres.
Le problème scolaire est avant tout un problème social et un problème politique : chacune de vos victoires sociales, syndicales ou politiques est une victoire pour l’école ; chacune de vos défaites est une accentuation des difficultés de libération scolaire ; le fascisme, qui serait votre défaite totale, marquerait comme en Italie et en Allemagne, une régression pédagogique incroyable; votre victoire seule ouvrira à l’école des horizons insoupçonnés, que le triomphe prolétarien en U.R.S.S. nous fait entrevoir et espérer.
C’est à dessein que le capitalisme s’est obstiné à isoler l’école de la vie et de la lutte ouvrière. Nous venons de vous démontrer l’interdépendance intime de l’une et de l’autre. Problème capital, croyez-le bien, auprès duquel les questions de méthode, de morale ou de faux idéal que le capitalisme place hypocritement au premier plan, ne sont que des accessoires, des moyens pour le grand œuvre qui ne saurait s’accomplir hors de son élément essentiel et vivifiant.
Non pas que nous sous-estimions l’importance de ces moyens. Encore une fois nous avons voulu rétablir d’abord une hiérarchie afin que les fumées, de l’esprit qu’on agite romantiquement devant vos yeux ne vous empêchent point de voir se lever à l’horizon le grand soleil libérateur.
Et maintenant, ces forces de vie que votre puissance individuelle et sociale aura permis de maintenir en l’enfant, allez-vous les laisser contrecarrer et annihiler par un dressage et un asservissement qui sont tout à la fois l’origine et la conséquence de votre propre asservissement ? Ou bien aiderez-vous généreusement les pionniers qui veulent, par des techniques adéquates, exalter cette vie pour que se réalisent au maximum les personnalités originales qui triompheront un jour des misères de notre régime ?
Là est le deuxième grand problème qu’on a rarement agité devant vous et auquel nous apportons une solution pratique souhaitable.
Il ne suffit pas au capitalisme d’asservir matériellement et économiquement, donc psychiquement et moralement, l’enfant. Il doit encore se prémunir contre l’audace des rescapés qui, malgré la société marâtre, seraient capables encore de penser et de voir juste, et de montrer la voie.
Contre ce danger, le capitalisme dresse le barrage de l’asservissement intellectuel par l’école et les entreprises diverses extrascolaires qu’elle encourage et entretient.
L’École ne vous habitue pas à réfléchir, à penser par vous-mêmes, à voir avec vos propres yeux. Ce serait bien trop dangereux. Dès le plus jeune âge elle vous dresse à penser comme le maître et comme les livres ; elle vous force à voir à travers ces livres d’essence capitaliste les problèmes humains et sociaux ; elle vous gave de formules dont vous n’avez que faire, non pas tant pour garnir et orner votre esprit que pour vous enchaîner à ce rôle réceptif qui annihile peu à peu votre puissance active, vos velléités de réalisation personnelle.
L’École ne vous apprend point à agir par vous-mêmes, à vous diriger et a vous commander vous-mêmes. Quel déplorable exemple, en effet, si l’expérience prouvait un jour que des sociétés d’enfants peuvent s’organiser, vivre et prospérer sous la despotique autorité adulte.
L’autorité ! Elle domine l’école, matériellement et intellectuellement parce qu’elle domine toute la masse ouvrière, et il faut nécessairement retarder le plus possible l’émancipation de ceux dont les mains puissantes sont prêtes à se saisir de la vie nouvelle.
Il semble parfois que nous disions les choses avec quelque brutalité du fait que nous sommes naturellement contraints de schématiser et d’éliminer les accessoires pour mettre en lumière les directions essentielles où doivent se porter vos efforts.
Des éducateurs eux-mêmes protesteront devant nos affirmations. Dites-vous bien qu’ils sont des victimes déformées et asservies par des dizaines d’années d’abrutissement scolastique, que chez eux aussi cette culture de classe, obsédante et perverse comme le luxe et les parures des riches, a exercé ses ravages et estompé les vérités premières que vous devez vous autres, ouvriers et paysans, affirmer et faire triompher.