Catherine Chabrun (avatar)

Catherine Chabrun

Pédagogue, écologiste et militante des droits de l'enfant -

Abonné·e de Mediapart

268 Billets

3 Éditions

Billet de blog 29 novembre 2023

Catherine Chabrun (avatar)

Catherine Chabrun

Pédagogue, écologiste et militante des droits de l'enfant -

Abonné·e de Mediapart

Nous sommes tous des enfants, petits-enfants... de migrants

Le projet de loi immigration est arrivé à l'Assemblée nationale le 27 novembre pour être examiné en commission des Lois, puis il sera débattu dans l'hémicycle de l'Assemblée à partir du lundi 11 décembre.

Catherine Chabrun (avatar)

Catherine Chabrun

Pédagogue, écologiste et militante des droits de l'enfant -

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Le 14 novembre 2023, le Sénat a  adopté, en première lecture, le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, puis a été transmis à l'Assemblée nationale. Les sénateurs ont procédé à d'importants remaniements. Les articles supplémentaires durcissent la version du  gouvernement présentée en février 2023. Le projet compte désormais 90 articles au lieu des 27 initialement.

Pendant une semaine la commission des Lois y travaillera, puis il sera débattu dans l'hémicycle de l'Assemblée à partir du lundi 11 décembre. Bien que sans majorité absolue, le gouvernement présente  le texte pour son adoption...  avec ou sans 49.3 ?

Le projet est assorti de très nombreux tours de vis venant de la droite et du centre du Sénat comme ceux-ci :

Un débat parlementaire annuel sur l’immigration

Limiter le regroupement familial

Suppression de l’aide médicale d’État (AME)

La maîtrise du français, condition sine qua non à l’obtention d’un titre de séjour

La régularisation de travailleurs étrangers dans les métiers dits en tension (article 3)

Vers un retour de la « double peine » (les articles 9 et 10, qui doivent faciliter l’exécution des obligations de quitter le territoire (OQTF)

Un retrait des titres de séjour pour non-respect des « principes de la République »

Contraindre les pays d’origine à reprendre leurs ressortissants

Espérons que lors du débat à l’Assemblée nationale, on entende des voix s’élever pour proposer une autre politique migratoire qui respecte les droits, l’accueil, la solidarité et la dignité de chaque être humain.

Les Français sont en majorité en faveur du projet présenté par les sénateurs. Même la disposition sur les métiers en tension est plébiscitée... Tous ces supporters du projet n'oublient-ils pas leur histoire et celle de leur pays ?

Pourtant ils sont tous des enfants, petits-enfants... de migrants

Depuis le début de l'humanité, les humains ont migré pour s'adapter aux changements climatiques, se nourrir, pour fuir les persécutions, les invasions, les guerres, les crises économiques...  Plus récemment quitter son village, son département, sa région, pour trouver du travail, construire une nouvelle vie. Avant nous, il y a eu nos parents, nos grands-parents... nous sommes tous des descendants de migrants.

Ne pas oublier notre histoire pour regarder ces hommes, ces femmes, ces enfants comme des humains tout simplement.

Aujourd'hui, les conflits armés, les crises politiques, la misère économique, les dérèglements climatiques poussent des millions d'hommes, de femmes et d'enfants à fuir leur pays.

Dans le monde, ainsi plus de 68,5 millions de femmes, d’hommes et d’enfants quittent leur habitat, leur terre, leur famille. La grande majorité de ces migrants se retrouvent dans les pays les plus pauvres, pour ceux qui arriveront dans les pays les plus riches, moins de 10 % d'entre eux seront reconnus comme réfugiés.

Migrant ou réfugié ?

 « Migrant » est le mot le plus courant, mais il provoque des lectures différentes. Certaines dissocient les migrants « économiques » des migrants « politiques » obligés de se déplacer. Certaines politiques utilisent cette séparation pour proposer des lois inhumaines et protectionnistes. 

Pour beaucoup d’organisations, seuls les demandeurs d’asile ayant eu une réponse positive peuvent être déclarés réfugiés.

Peu de demandeurs d’asile ont une réponse positive (à peine le tiers), les migrants déboutés, ceux qui n’ont pas entamé de démarche (faute d’aide, par crainte…), ceux qui veulent rejoindre un autre pays vivent clandestinement en espérant ne pas être expulsés.

Mais avant d’être demandeurs d’asile, il faut déjà arriver dans le pays !

Beaucoup périssent en mer, dans les embarcations surchargées, d’autres ne survivent pas au froid et à la neige dans les cols frontaliers. Les pays européens ne sont pas tous accueillants !

Ces migrations vont se développer dans les prochaines années, il est temps que les pays développés ouvrent les yeux et leurs frontières et rendent les procédures d'accueil justes et accessibles en respectant la dignité de chaque être humain.

Et réfléchissons !

Aujourd’hui, ce sont surtout les populations des pays en voie de développement et ceux qui sont soumis aux extrémistes religieux qui migrent.

Et demain ?

Ce seront peut-être les populations des pays développés qui migreront pour fuir les terres inondées par l’élévation du niveau des océans ou ravagées par les incendies ou désertifiées.

Écrit en 1951, à relire avec ce projet de loi sur l’immigration qui méprise la fraternité tellement présente dans ce poème de Jacques Prévert :

Étranges étrangers

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel

hommes des pays loin

cobayes des colonies

Doux petits musiciens

soleils adolescents de la porte d’Italie

Boumians de la porte de Saint-Ouen

Apatrides d’Aubervilliers

brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris

ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied

au beau milieu des rues

Tunisiens de Grenelle

embauchés débauchés

manœuvres désœuvrés

Polacks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone

pêcheurs des Baléares ou bien du Finistère

rescapés de Franco

et déportés de France et de Navarre

pour avoir défendu en souvenir de la vôtre

la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus

tiraillés et parqués

au bord d’une petite mer

où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus

qui évoquez chaque soir

dans les locaux disciplinaires

avec une vieille boîte à cigares

et quelques bouts de fil de fer

tous les échos de vos villages

tous les oiseaux de vos forêts

et ne venez dans la capitale

que pour fêter au pas cadencé

la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal

dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois

jongleurs aux innocents couteaux

qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés

de jolis dragons d’or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés

qui dormez aujourd’hui de retour au pays

le visage dans la terre

et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé

la monnaie de vos papiers dorés

on vous a retourné

vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville

vous êtes de sa vie

même si mal en vivez

même si vous en mourez.

Jacques PRÉVERT (écrit en 1951 et paru en 1955 dans le recueil Grand bal du printemps aux éditions Gallimard)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.