Ce billet a d'abord pour but de rendre publiques les suggestions faites par la Cour des comptes au sujet du suivi individualisé des élèves, suggestions qui ont pu échapper à certains. Ce qui suit est le communiqué de presse qui résume les conclusions du rapport rendu par cette institution, rouage parmi d'autres de la technocratie de "pilotage " qui tend à se substituer aux institutions démocratiques. J'y ajoute un commentaire personnel, qui confronte à la nouvelle réforme du collège.
COMMUNIQUE DE PRESSE
Le 4 mars 2015
LE SUIVI INDIVIDUALISÉ DES ÉLÈVES : UNE AMBITION À CONCILIER AVEC L’ORGANISATION DU SYSTEME EDUCATIF
La loi du 23 avril 2005 a consacré l’objectif, réaffirmé par celle du 8 juillet 2013, de conduire 100 % des élèves d’une classe d’âge au niveau du socle commun de compétences et de connaissances à l’issue de la scolarité obligatoire.
Or les résultats obtenus par la France lors de la dernière enquête Pisa, ainsi que la proportion élevée de jeunes sortis sans diplôme de notre système éducatif, témoignent de l’incapacité du système éducatif actuel à atteindre les objectifs qui lui ont été fixés.
Dans son rapport de 2010 sur la réussite de tous les élèves, la Cour concluait notamment que l’enseignement scolaire n’avait « pas su réellement intégrer les missions de suivi et d’aide des élèves » et que les réformes successives engagées par le ministère avaient vite montré leurs limites, car elles « s’inscrivaient dans une organisation scolaire inchangée ». En 2013, la Cour avait appelé à « gérer les enseignants autrement », pour enrayer la dégradation des performances du système scolaire.
Malgré les évolutions intervenues depuis, le présent rapport, consacré aux dispositifs mis en place pour répondre à l’hétérogénéité des besoins des élèves, fait le constat analogue d’une organisation du système éducatif qui ne permet pas d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés.
L’individualisation de l’enseignement, une démarche encore hésitante
La démarche d’individualisation de l’enseignement pour adapter celui-ci aux besoins de chaque élève se justifie d’autant plus que l’objectif de réussite de tous les élèves est affiché dans la loi. Or la France s’est engagée dans cette démarche plus tardivement que certains de ses partenaires de l’OCDE, et de manière hésitante. Ceci a conduit à un empilement hétéroclite de dispositifs de suivi individualisé des élèves, avec une place prééminente accordée aux dispositifs extérieurs à la classe et en marge du temps scolaire.
L’examen des 12 dispositifs existant jusqu’en 2013, centrés soit sur les seuls élèves en difficulté, soit sur l’ensemble des élèves, fait apparaître que cette démarche est minoritaire, faute de vision stratégique affirmée.
La Cour regrette de ce point de vue l’absence d’accompagnement personnalisé au collège en dehors de la 6e ou pour les élèves en CAP.
Un pilotage défaillant
L’individualisation de l’enseignement constitue une priorité dans les textes, mais pas dans le fonctionnement interne du ministère. Celui-ci n’assure en effet qu’un suivi dispersé et lacunaire au niveau de l’administration centrale. Largement méconnu, le montant des dépenses consacrées à cette politique, dont le développement souffre en outre d’une absence de cohérence et dont les documents budgétaires transmis au Parlement donnent une vision partielle, non consolidée, est estimé à 2 Md€.
L’évaluation des effets des dispositifs est par ailleurs quasi-inexistante, mais la création récente du Conseil national d’évaluation du système scolaire laisse entrevoir une possible amélioration.
La Cour a pourtant observé sur le terrain à quel point la communauté enseignante, comme les équipes de direction, savent et peuvent se mobiliser en faveur du suivi individualisé des élèves, lorsqu’un véritable projet d’école ou d’établissement fédère les acteurs.
Des obstacles de fond à surmonter
La démarche d’individualisation du suivi des élèves apparaît en décalage avec l’organisation actuelle de l’enseignement scolaire. Elle ne pourra donc réellement s’épanouir dans le système éducatif français sans des évolutions très significatives de celui-ci, qui permettraient : de limiter le poids de la tradition disciplinaire dans le second degré et de promouvoir davantage le travail en équipe, le directeur d’école ou le chef d’établissement ayant à cet égard un rôle fondamental à jouer ; d’alléger les contraintes liées aux obligations réglementaires de service, en renonçant à une logique strictement hebdomadaire du temps de service des enseignants, ainsi qu’en incluant le suivi individualisé dans leurs obligations de service, ce qui n’a pas été fait par le décret d’août 2014 modifiant les décrets de 1950 ; de mieux préparer les enseignants et de placer le suivi individualisé au coeur de leur formation ; d’améliorer la conduite du changement, la préparation des réformes et le calendrier de leur mise en oeuvre, ainsi que la communication interne qui les accompagne.
Orientations et recommandations
La Cour formule 11 recommandations de nature à donner leur pleine efficacité à ces dispositifs, à moyens constants et dans un cadre d’organisation plus efficient. Elles visent principalement à :
o généraliser l’individualisation au collège et pour les élèves en CAP ;
o mettre en place des outils d’évaluation des dispositifs de suivi individualisé des élèves ;
o chiffrer annuellement pour le Parlement le coût des dispositifs de suivi individualisé des élèves ;
o revoir la définition du temps de service des enseignants du second degré ;
o annualiser au moins pour partie le temps de service des enseignants du secondaire ;
o systématiser la formation des enseignants à la démarche d’individualisation ;
o évaluer les enseignants sur leur pratique de suivi individualisé des élèves
Commentaire personnel:
"Ceci a conduit à un empilement hétéroclite de dispositifs de suivi individualisé des élèves, avec une place prééminente accordée aux dispositifs extérieurs à la classe et en marge du temps scolaire."
De ce passage du communiqué de presse on peut inférer que la Cour des comptes considère que le suivi individualisé des élèves pourrait être fait dans le temps scolaire et en classe entière, ce qui constitue une étrangeté à la fois dans l'ordre du langage et dans celui de la logique.
Faire du suivi individualisé à 30 ou même 25 élèves par classe revient à faire d'un cour collectif une somme de cours particuliers: quellles que soient les bonnes idées managériales de la Cour des comptes, qui compte avant tout ses sous (à vrai dire les nôtres), autant vouloir chercher à transformer le cercle en carré. On aura beau donner aux profs toutes les formations possibles, leur distribuer des pochettes bonux ou des kits de survie, on ne pourra pas empêcher de faire que 55 minutes divisées par 30 élèves ne feront jamais plus que 1,8 minutes de cour par élève, ce qui est vraiment très peu (et 55 minutes divisées par 25 ne font toujours pas plus de 2,2 minutes par élève). Mais il est vrai que dans des classes qui rassemblent pêle mêle des élèves vivant en chambre d'hôtel, des enfants de mères seules et au chômage, des enfants élevés par leurs grand mères, des enfants non francophones, des enfants diagnostiqués comme hyperactifs ou autistes, ou encore quasi non voyants, etc... c'est-à-dire un petit concentré de drames humains, comme nous en avons de plus en plus souvent par dizaine dans nos classes - et dans le monde comme il va les choses ne sont pas près de s'arranger- il serait excellent de pouvoir vraiment faire du suivi individualisé, c'est à dire de pouvoir travailler en petits groupes. Ces enfants ne cessent d'ailleurs de réclamer de toutes les manières un contact rapproché avec les adultes, car c'est seulement comme cela qu'ils peuvent apprendre, quand les profs peuvent vraiment s'occuper d'eux. Ces messieurs de la Cour des Comptes se figurent-ils que les enfants, pour grandir, pour réussir leurs études, ont avant tout besoin qu'on s'occupe d'eux, c'est-à-dire, en fait, qu'on leur consacre des soins et du temps ? Et c'est ce temps qu'ils leur refusent avec des entourloupes comme "sytématiser la formation des enseignants au suivi individualisé"....
Peut-être est-ce la pratique de la pédagogie différenciée que la cour des comptes sous-entend dans son incrimination des dispositifs hors du groupe classe et hors temps scolaire. S'il faut recevoir des formations pour cela, c'est du temps et de l'argent perdus, car cela fait longtemps que les professeurs auraient perdu leur auditoire s'ils n'avaient pas cherché à adapter leurs cours aux problèmes individuels les plus criants. Prendre des grands airs pour nous promettre des formations qu'on a dû s'improviser à soi-même sous la pression de l'urgence ne peut que paraître ridicule aux acteurs du terrain.
On aimerait par ailleurs savoir sur quels calculs repose cette estimation à 2 milliards d'euros du suivi individualisé des élèves quand il se résume le plus souvent en collège à une heure de soutien en maths et en français pour les élèves les plus en difficultés au niveau de la seule classe de 5e (ce que dans le jargon on appelle les PPRE), tout autre moyen de suivi individualisé ayant été retiré des DHG (dotations horaires globales) d'année en année plus maigres. Et 2 milliards sur combien d'années ? On ne le sait pas non plus, du moins les medias n'ont-ils pas besoin de le savoir.
Un troisième point de ce rapport est tout à fait étonnant. C'est l'intérêt que la Cour des comptes voit à "limiter le poids de la tradition disciplinaire dans le second degré et de promouvoir le travail en équipe". Qu'est-ce que la Cour des comptes pourrait donc trouver à reprocher aux disciplines universitaires ? Ce qu'on peut en inférer en tout cas, c'est que la Cour les trouve coûteuses. Il est vrai que l'enseignement d'une seule discipline par les enseignants français à partir du niveau du collège est toujours apparu comme un luxe dispendieux aux yeux des "pilotes" de l'éducation nationale, qui comparent régulièrement ce luxe à la situation des enseignants allemands : ceux-ci enseignent deux matières, parfois aussi différentes que les mathématiques et le sport ou l'allemand et la musique. La plupart du temps, on se borne à souhaiter que la bivalence soit instituée au collège: notons que dans le texte de la Cour des comptes, il est question de tout le second degré. La Cour des comptes doit donc se féliciter de la réforme du collège, dernièrement proposée par notre ministre et avalisée par le Conseil Supérieur de l'Education, qui met en place au collège des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) prélevés sur les horaires de matières aussi superflues que les sciences naturelles les sciences physiques et la techonologie et dont voici les intéressants libellés:
Langues et cultures régionales et étrangères
Développement durable
Sciences et société
Corps, santé et sécurité
Information, communication, citoyenneté
Culture et création artistiques
Monde économique et professionnel
Langues et cultures de l’Antiquité
Langues et cultures régionales et étrangères
Malgré l'air qu'elles en ont, ces rubriques n'ont pas été choisies totalement au hasard; toutefois l'intérêt des élèves n'y est pas pour grand chose. Lorsqu'on voit qu'y figurent les "langues et culture de l'Antiquité" ou les "langues et cultures régionales" on comprend que le ministère avait l'intention de faire disparaître l'enseignement en tant que matières du grec et du latin, depuis quelque temps jugé sans intérêt dans notre monde ultralibéral, où la "distinction" bourdieusienne n'est plus même un critère de sélections des "élites": l'anglais d'outre atlantique y suffit amplement. C'est pourquoi il paraissait suffisant de les reclasser comme vagues "EPI"....Ce n'est que le sursaut des professeurs de lettres classiques qui a permis d'en réintroduire quelques miettes. Si le monde économique et professionnel y figure, c'est qu'il existait jusqu'à présent des classe de 3e dites DP3 ou DP6, qui, en plus de leur emploi du temps ordinaire, bénéficiaient de 3 heures ou de 6 heures de découverte des métiers, prises en charge par un de leur professeur dans le cadre de son service. Ce dispositif a été estimé trop coûteux, il est remplacé par un éventuel EPI prélevé sur les horaires de certaines matières. Pour le reste, "sciences et société" et "culture et création artistique" sont censées probablement compenser, sous la forme de quelques heures de "création d'un magazine consacré à la machine à vapeur", (voir
http://www.education.gouv.fr/cid86831/college-mieux-apprendre-pour-mieux-reussir.html"
ou autre machin proposé par le ministère, saupoudrées ça et là au cours de la scolarité, les heures perdues par les matières. Par ailleurs, si ce sont ces disciplines ont été avant tout mises à contribution pour les EPI, ce n'est pas parce qu'elles auraient un rôle éducatif moins important que les autres: c'est avant tout que les professeurs qui les enseignent dans les collèges sont très peu nombreux, car les horaires qu'ils assurent sont déjà très maigres, et qu'ils ne sont pas susceptibles de se mobiliser collectivement pour s'opposer au dépeçage de leur matière. Le reste: "développement durable" "corps santé et sécurité" , "information, communication et citoyenneté" sont les 3 tartes à la crème dans l'air du temps, ne reposant sur aucun savoir construit par la recherche et sur lesquelles des consignes ministérielles nous enjoignent régulièrement de faire des interventions en partenariat avec des praticiens du monde social (associatifs, entreprises etc...). Autant enseigner le vent et la pluie...Quand on réalise que ce genre d'impératifs stratégiques a présidé au choix des EPI, on ne voit décidément pas où se trouve l'intérêt des élèves...
Il ne s'agit pas ici de prétendre que le travail interdisciplinaire serait forcément vain et creu, une sorte de hochet pour amuser la galerie. Cela peut parfois être réussi. Mais pour être convaincant et utile, il doit se faire sur des bases de projets individuels partagés, des professeurs se trouvant une passion commune qu'ils ont envie de communiquer ensemble à leurs élèves. Ces machins imposés en conseil pédagogique, "pilotés" par de multiples coordinateurs, et s'inscrivant dans l'inventaire à la Prévert du ministère ne seront certes pas des cadres propices pour faire s'épanouir des projets personnels ayant une véritable nécessité. En revanche, ils seront d'utiles instruments aux mains des directions d'établissement pour "piloter" leurs personnels, leur imposer de multiples réunions préparatoires, les mettre en concurrence, toute la batterie managériale bien connue. C'est sans doute la plus grande utilité qu'y trouvent la Cour des comptes et le ministère.
C'est pourquoi il est assez baroque de voir à la fois les medias, des plateformes cfdtiste comme le café pédagogique, et la FCPE s'extasier devant ces EPI comme si elles représentaient la pointe de l'innovation pédagogique, destinée à rompre "l'ennui" qui, paraît-il, règne au collège. Si ennui il y a, je crains qu'il ne soit pas chassé par la machine à vapeur revisitée à grands coups de pages internet....Rappelons toutefois que cette innovation s'est déjà pratiquée pas plus tard que dans les années 2000, à l'époque où avaient été mis en place les IDD ou itinéraires de découverte qui étaient une version précédente du travail interdisciplinaire au collège. Mais comme ces IDD n'étaient pas prélevés sur les horaires des disciplines, ils ont été jugés trop coûteux. La machine à révolutionner l'éducation au collège, appréciée par tous les commentateurs, ne consiste donc pas tant en travaux interdisciplinaires que dans le point d'appui managérial (travail supplémentaire, mise en concurrence) qu'ils représentent dans la réforme du collège.
Quant aux suggestions de la Cour sur le statut des enseignants (annualisation, redéfinition du temps de service), comme c'est curieux, ou plutôt comme c'est odieux, cette subversion du langage et comment peut-on oser appeler ça une réforme, un progrès ou seulement une mesure innovante, alors que c'est vieux comme le monde de vouloir faire travailler plus sans donner aucune compensation : cela s'est toujours appelé et cela s'appelle encore de l'exploitation. Mais dans un monde où, par suite des démolitions conjuguées de l'industrie et des services publics sous les effets délétères de la finance qui mène le monde, le travail est devenu si rare qu'on devrait se sentir privilégié d'en avoir un, nous devrions nous croire obligés de le faire quasi bénévolement. Dans cette conjoncture, céder aux sirènes de la culpabilisation, ce serait consentir une fois de plus à dévaluer le travail humain. Les financiers en sortent 2 fois gagnants: en dépensant moins pour le service public, on préserve le remboursement des intérêts de la dette que nous leur servons plus que largement, et en pesant davantage sur l'ensemble des salaires, on maintient leur taux de profit au plus haut.