Dernières nouvelles de l’indécence : la privatisation des établissements culturels, c’est tendance !
Comment les établissements culturels publics « se réinventent », selon une expression à la mode curieusement réfléchie, faite pour escamoter la responsabilité des acteurs.
Les acteurs, en l’occurrence, qui sont-ils ? Les directeurs de ces établissements culturels, tout puissants personnages directement nommés par la Présidence de la République. Ces personnages assumant le pouvoir en solitaire sont donc amenés à prendre en toute opacité de délicates décisions qui peuvent les conduire à devoir rendre des comptes à la justice.
Ainsi, en 2022, le directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, suite à l’achat de 7 objets d’art égyptiens de provenance douteuse pour le musée du Louvre Abu Dhabi (noble projet culturel et lucratif), a-t-il été mis en examen pour « blanchiment et complicité d’escroquerie en bande organisée » devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris qui a confirmé ce chef d’accusation le 23 février 2023 à l’encontre de la réquisition de l’avocat général.
A la suite de cette déplorable affaire, le Président Macron a choisi, pour le remplacer, de nommer une femme, Laurence des Cars, ex présidente d’Orsay. Celle-ci a dû faire face à la forte diminution des recettes entraînée par la pandémie du COVID et ses suites. Pour ce faire, celle-ci a choisi une stratégie de privatisation tous azimuts, comme le laissent entrevoir les informations qu’on peut trouver sur les trois sites ci-dessous (au passage, on pourra signer la pétition contre la privatisation de la place du Louvre par Bernard Arnault).
https://www.louvre.fr/privatisations-visites-et-tournages/visites-protocolaires-et-visites-prestige
https://www.louvre.fr/privatisations-visites-et-tournages/evenements-prives
https://www.change.org/p/non-%C3%A0-la-privatisation-de-la-place-du-louvre-par-bernard-arnault
Cette stratégie avait déjà été mise à l’essai dans un lieu plus propice à cet effet, le château de Versailles, constitué d’une série d’appartements et de jardins pouvant servir d’écrin à de vaniteuses démonstrations de puissance. C’est Catherine Pégard, nommée directrice du château de Versailles par Nicolas Sarkozy, qui avait choisi de réinventer ainsi Versailles sur le mode vaniteux très « bling bling » inauguré à l’Elysée par son protecteur. C’est ainsi qu’en 2014, les fêtes d’anniversaire données à Versailles par Carlos Ghosn, patron voyou de Renaut qui, depuis, a fui le fisc nippon dans un étui à violoncelle, avaient défrayé la chronique avec repas conçu par Alain Ducasse terminé par un feu d’artifice, gardes, danseurs, musiciens et valets costumés à la mode Louis XVI pour égayer et servir des centaines d’invités eux aussi costumés...
https://www.youtube.com/watch?v=rmPG-_K5IeE&t=1s
Ces fêtes avaient fait scandale, d’autant plus qu’il se disait qu’elles avaient été données aux frais de Renaut. Pourtant, la directrice Mme Pégard n’a pas dû rendre de comptes et elle a été reconduite à la direction de l’établissement en 2019 par le Président Macron.
https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-2-page-54.htm
Le château des rois absolus a probablement été le décor de nombreuses autres festivités de cet acabit puisque le site de Versailles propose toute une série de lieux du château à la privatisation, dont le prix n’est cependant pas affiché (le site propose de donner de plus amples renseignements sur demande de contact) :
https://www.chateauversailles.fr/etablissement-public/vos-evenements-versailles/privatisations
On apprend simplement par internet qu’en2014, Kim Kardashian et Kanye West s’étaient offert la privatisation de Versailles durant 1h30 pour la très modique somme de 20.000 euros. Le site d’Europe 1 titrait judicieusement « un luxe que n’importe qui (ou presque) peut s’offrir ». Voilà qui est bien fait pour nous rassurer, nous sommes toujours en démocratie, les décors monarchiques, « tout le monde » peut se les offrir. Toutefois, à 220 € la minute, on hésite, démocratie ou oligarchie ?
Depuis, il semble que tous les établissements culturels qui ont quelque prestige à vendre se soient mis à le proposer à la location privée. C’est par exemple le cas des châteaux de la Loire, qui n’indiquent pas non plus les prix (c’est indécent) :
https://www.chateaux-de-la-loire.fr/locationdesalles.htm
Il semble que dans notre 5e république les ors monarchiques aient carrément la cote, et l’actuel président de ladite 5e n’a-t-il pas donné le la par ses petites phrases et par ses choix protocolaires : célébration de son élection devant le Louvre, accueil des grands patrons à Versailles...
Si ces lieux culturels nous sont chers, c’est parce qu’ils recèlent des trésors de travail humain, travail du corps et de l’esprit, à qui la nation a reconnu une valeur non monnayable, une valeur qui n’a de sens qu’à être partagée par tous, parce que l’humanité y reconnaît ses œuvres, mais pour les reconnaître, encore faut-il ne pas chercher à se les approprier de manière symbolique, encore faut-il ressentir l’appartenance à la commune humanité. Ils sont aussi marqués par une mémoire nationale qui ne peut se condenser simplement sous forme patrimoniale, sauf à y perdre tout sens. Versailles, ce ne sont pas que les fêtes de Louis XIV, ce aussi sont les marais remplis de fièvres asséchés par les ouvriers qui ont construit le château, ce sont les pièces de Molière, les cabales des courtisans, les domestiques dans les combles, la salle du jeu de Paume, les Parisiennes devant les grilles qui exigent du pain les 5 et 6 octobre, etc.... Le Louvre c’est aussi la saint Barthélémy, c’est Louis XIV enfant qui fuit la Fronde pour Saint Germain, ce sont les galeries ouvertes au public par Louis XVI dont Diderot rapportait ses Salons. Carlos Ghosn n’en aura retenu que les feux d’artifice. Tandis que les riches s’approprient la mémoire nationale, ils l’assèchent et la lyophilisent.
Les vautours planent sur tout ce qui a de la valeur, alors même qu’ils ignorent de quoi elle est faite. La valeur de l’eau et de la terre, qui donnent la vie, qu’ils méprisent.... la valeur du travail humain, le travail de l’esprit comme celui du corps, qu’ils méprisent. Ils se contentent d’en tirer de l’argent, qui n’a aucune valeur en soi.