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Billet de blog 19 février 2025

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Pour fonder en raison le mot « égalité » de notre devise.

Pour fonder en raison l’égalité des hommes en droits, je me suis souvent dit qu’il ne fallait pas se référer à la vision mathématique de l’égalité. Car les mathématiques ne sont pas un instrument efficace pour étudier les qualités du monde vivant.

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Pour penser l’égalité des hommes entre eux, les philosophes des Lumières ont fait appel à l’égalité des besoins. Certes, c’est une évidence, les hommes, pour vivre, doivent satisfaire quelques besoins élémentaires qui sont approximativement les mêmes pour tous (en réalité, les plus vulnérables d’entre eux ont un peu plus de besoins que les autres). Par conséquent, pour rester en vie, Elon Musk et Bernard Arnault n’ont pas besoin de davantage de ressources que les autres humains. Dans un monde fini, c’est déjà un argument de taille pour considérer que leurs désirs illimités sont contraires à l’intérêt général humain. Mais la vision méritocratique de la société mise en avant par eux et par leurs semblables allèguera que les hommes ne sont pas égaux en quantité d’intelligence, de compétences ou d’utilité sociale. Ce point de vue méritocratique engendre deux séries de conséquences parallèles :

  • Les mesures que l’on prend pour éviter que ceux qui ne sont « rien » ne vivent dans des conditions trop déplorables ne deviennent rien d’autre que des mesures d’ajustement, de charité, qui servent autant à éviter le désordre visuel produit par la misère qu’à mettre en valeur ceux qui les prennent : voyez comme je suis noble et généreux...
  • Dans les temps les plus difficiles, il deviendra envisageable de ne plus rien faire pour compenser ces inégalités imputées à l’insuffisance morale et intellectuelle des pauvres et des malheureux, et il deviendra licite de traiter ces derniers à l’aune de leur « valeur » supposée.

D’autre part, en utilisant la notion d’égalité dans une optique purement quantitative (cf Macron « ceux qui ne sont rien » : mais comment pourrait-on n’être rien ?), les satisfaits de notre monde capitaliste alignent l’humain et le vivant sur l’étalon monétaire qui est au fondement d’un ordre social qui les avantage. Or cet étalon n’est pas adéquat pour mesurer et comparer la valeur des hommes. Précisément parce que cette valeur ne peut ni se mesurer ni se comparer. La beauté d'une vie tient à sa singularité faite d'une multiplicité d'accidents. Si bien que chacun de nous est en soi incomparable aux autres. C’est d’ailleurs ce que chacun ressent très fort lorsqu’on lui dit : « mais regarde untel, comme il sait faire, lui ! » et qu'on a juste envie de répondre en haussant les épaules.

Les sciences sociales, appelées « sciences de l’excuse » par les heureux et les satisfaits de ce monde, ont suffisamment montré que les histoires de vie des individus se configurent dans des rapports familiaux et sociaux qui leur préexistent, raison pour laquelle ils ne peuvent en aucune façon être les auteurs de ces histoires de vie. Je ne reviendrai donc pas sur ces sujets fort bien documentés. Mais il me semble que pour fonder la nécessité de l’égalité des droits, il est nécessaire d’invoquer encore un autre argument que j’énoncerai ainsi.

Les êtres humains ne sont pas comparables. Ils ne sont pas égaux en quantité de quoi que ce soit. Mais ils sont égaux en qualité. Parce qu’il est la mémoire vivante d’un ensemble d’expériences de vie unique au monde et dans l’histoire, d’une série de « rencontres » vécues par lui seul, chacun est un ensemble de ces savoirs unique, à nul autre semblable, et possède par conséquent un répertoire de qualités, d’aptitudes que les autres n’ont pas. Par conséquent nul d’entre nous n’est interchangeable. Tout l’inverse de ce que voudrait nous faire croire la version capitaliste de l'odyssée humaine, pour qui la monnaie, valeur purement quantitative, est l’étalon unique de toute valeur, y compris de la vie humaine. En somme l'égalité de notre devise est une égalité non mathématique, non arithmétique, où les hommes sont égaux non parce qu'ils sont les mêmes, mais précisément parce qu'ils ne sont pas les mêmes. Ils sont égaux en singularité.

Mais il arrive trop souvent que leur histoire de vie et surtout l’ordre du monde qui pèse sur eux ne permettent pas aux plus déshérités d’entre nous de déployer comme ils le pourraient leurs qualités uniques et particulières. C’est pourquoi il serait temps d’imaginer un monde où la valeur des individus ne soit plus indexée sur celle de leur compte bancaire.

Je vois bien l’objection que pourraient vouloir ici me faire certains esprits céliniens ou houellebecquiens, portés au fatalisme du pire. C’est l’objection du mal. Dans cette vision morbide de la société, il n’y a pas non plus d’égalité possible, car certains individus seraient plus préposés que d’autres à rechercher le mal. Mais dès lors que l’on prend conscience que le mal (ou la bêtise, et généralement tout ce qui abîme l’esprit humain) n’est pas logé à l’intérieur des individus mais bien hors d’eux, et qu’il ne se propage que par rencontres, parce que les individus ne sont pas les auteurs de leurs vies, il devient possible d’envisager un monde meilleur.

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