JEANNE
d'Eugène Chatelain (1829-1902)
à Jules Lacolley
Je fus pris après la bataille;
Vaincu, j'étais rentré blessé;
J'avais à la face une entaille
Et le poignet droit fracassé.
Ma femme maudissait la guerre;
Elle avait mille fois raison;
Mais elle ne se doutait guère
Qu'on me prendrait à la maison.
Refrain
Jeanne faisait la soupe;
Mon fils était sur mes genoux,
Quand, tout à coup , la troupe
Parut chez nous.
Ma femme aussitôt, tomba morte
Par les soldats frappée au flanc.
Ils avaient brisé notre porte;
Plus d'un était ivre et sanglant.
Jeanne sur eux, s'est ruée,
Voulant les repousser dehors.
Les misérables l'ont tuée...
Ils ont piétiné son corps.
Refain
Mon garçon, témoin de la scène,
Me serrait convulsivement.
L'enfant ayant trois ans, à peine,
N'avait qu'un cri : Maman! Maman!
Les soldats, en tuant sa mère,
Pourquoi ne m'ont-ils pas frappé ?
A l'exécution sommaire,
Par Jeanne, j'avais échappé.
Refrain
J'avais lutté pour une idée
Contre des monstres au pouvoir
Dont l'armée était commandée
Par des brigands hideux à voir.
Quand sonna l'heure meurtrière,
J'étais un simple citoyen,
Ma Jeanne était une ouvrière;
Et, tous deux nous nous aimions bien.
Refain
Lorsque les vainqueurs m'entraînèrent
Avec fureur et menaçant,
De mon fils ils me séparèrent:
J'ignore s'il vit à présent.
Reverrai-je ce petit être,
Qu'à mon amour ils ont volé ?
Dans ma prison, je dis: Peut-être !
Et je répète, inconsolé :
Jeanne faisait la soupe;
Mon fils était sur mes genoux,
Quand, tout à coup, la troupe
Parut chez nous.
Les Exilées.