A Juliette Keating, "l'âge de fer des salauds"
Invitation à lire ou relire LE CONTR’UN ou Le Discours sur la Servitude Volontaire, d’Etienne de La Boétie (1530 – 1563).
Il s’agit d’un essai, écrit selon son ami Montaigne dans les années 1546-1548, dates incertaines selon les auteurs, mais ce qui est certain : c’est l’écrit d’un homme très jeune, véritable brûlot en son temps. La première publication, en extraits date de 1574 dans les pages du journal suisse « Le Réveille-Matin des Français et de leurs voisins ». Il s’agit d’un flot oratoire puisé dans la culture antique, loin d’apparaître en discours rhétorique. Puis l’essai tomba longtemps dans l’oubli. Ce thème de la servitude volontaire sera repris à la Révolution, notamment par Marat dans Les chaînes de l’esclavage (1774) dont l’épigraphe Vitam impendere vero fait écho à cette autre affirmation de Rousseau « L’Homme est né libre et partout il est dans les fers ». Marat : « Il semble que ce soit le sort inévitable de l’Homme de ne pouvoir être libre nulle part : partout les princes marchent au despotisme, et les peuples à la servitude ». Sur cette question philosophiquement aussi ténébreuse que controversée de la liberté humaine, Paul Valéry, dans Regards sur le monde actuel et autres essais (Gallimard, 1945) dont Fluctuations sur la liberté (1938) pose cette question : « Comment se peut-il que nous puissions faire ce qui nous répugne et ne pas faire ce qui nous séduit » ?
Je mets Le Contr’un, en perspective avec ma préoccupation du moment, tant il reste actuel, compte tenu de l’effondrement politique laissant une place totalement vacante aux jeux politiciens d’une société déjà installée, toute orwellienne, sous les regards hébétés ou sidérés, de citoyens érodés au fil des découragements, quand ils ne sont pas terrorisés dans ce climat de guerre larvée, où ont beau jeu de se développer, toutes les propagandes, toutes les formes d’entourloupes non moins fines et perverses ou manipulations des plus grossières, toutes les instrumentalisations, aux seules fins du tyran du moment.
Quelques précisions préalables sur le mot : tyran :
Œdipe, pour avoir résolu l’énigme posée par le sphinx parvient à provoquer le suicide, par dépit, de ce monstre sanguinaire. Les habitants de Thèbes reconnaissants, choisissent alors Oedipe comme tyrannos. Ce mot : tyrannos désignait le souverain unique et choisi par le peuple, qui chez les Grecs permettait de le distinguer d’un autre souverain unique, roi par droit de naissance. Tyrannos va donner en français : « tyran ». Souverain unique.
Le tyran , selon La Boétie, celui de son temps, est le monarque non élu (couronné par sa naissance), agissant en despote éclairé ou non, et de nos jours, c’est le même , mais élu, avec toute sa suite de ministres, de conseillers, de communicants et porte-jactance, pour qui, il s’agit avant tout de savoir en jouer de cette partition à se jouer de nous et de nos facultés de Raison... comme s’il fallait qu’ils consomment tant et tant de la chose vivante ... Bien évidemment cela est pratiqué pour notre plus grand bien, avec une rhétorique à 2 sous, à longueur de sessions parlementaires, de commissions et autre super commission qui viennent se greffer sur le quadrillage des oppressions à peaufiner (ex : les obscures communautés de communes ?!) ... Chaque année, chaque promotion de l'ENA déverse son lot de tyranneaux programmés et formatés à phagocyter la moindre parcelle de vivant dans chaque interstice où coule encore la vie. Cette année la promotion 2015/2016 a décidé de s’auto-nommer, non sans arrogance : George Orwell ! Si ce n’était que pour se payer notre tête ! ... Mais je crains plutôt qu’il s’agisse de nous signifier que nous en sommes aux Travaux Pratiques des orientations exclusivement idéologiques déjà bien en place et que, tout simplement Orwell soit appliqué stricto sensu …
exemples : La coercition s’exerce dans nos têtes et dans nos actes par la mise en fonctionnement de restrictions comme cette phrase de la ministre de l’écologie (09/2015) : « Il ne faut pas donner les informations qui créent les polémiques ». Et cette député dans l’hémicycle (16/09/15) : « la nécessité du changement ne supporte aucune contestation ». Autre ex : la circulation automobile qualifiée de « meurtrière », et combien de ces innombrables mesures coercitives prises pour notre bien, et malgré nous ! A moins que ce ne soit à seule fin de mieux nous tenir en laisse.
Regard sur ces derniers mois de la sinistre année 2015 :
Nous en sommes venus aux dénis de démocratie, où dans les hémicycles et dans les commissions elles-mêmes, députés et sénateurs sont en permanence sous la férule d’un Exécutif envahissant et arrogant, sans que cela n’inquiète plus personne, pas plus que l’abus du 49/3 d’ailleurs. (ex : à une question posée par un parlementaire à un ministre en particulier, actuellement, même si le ministre concerné est présent, il est répondu par un autre ministre : interchangeable, comme actuellement le personnel de mon bureau de poste, ou celui de l’hypermarché de mon secteur …
La Boétie dit : « Ainsi, le tyran asservit les sujets les uns par le moyen des autres, et est gardé par ceux desquels, s’ils valaient rien, il se devrait garder, et, comme on dit, pour fendre du bois, il fait des coins du bois même ».
- Quid de la séparation des pouvoirs tant entre Exécutif et Législatif, qu’entre Exécutif et Judiciaire, où nous constatons en permanence conflits ouverts et règlements de compte ? Quid enfin de l’indépendance de l’Information et du pouvoir médiatique?
- Quid du rôle devenu du Citoyen ? D’où sommes-nous Citoyens ? pour qui, par qui et avec qui le sommes-nous aujourd’hui ? Qui et quoi alimentons-nous ? quelle est notre réelle marche de manœuvre ? à moins que le rôle du citoyen ne soit réduit à n’être qu’une « acceptabilité sociale » ? En effet, la veille de la vacance parlementaire, le 31 juillet 2015, un projet de loi est déposé subrepticement par la Garde des Sceaux, et qui entendant quelques remous, insiste: " ... Donc, si l'acceptabilité sociale n'est pas acquise, nous en tirerons les enseignements. "
Autant de questions, au cœur de mes engagements, et qui me taraudent...
Comment maintenir actifs, au quotidien, mes engagements sans pour autant "servir le tyran" ? Je cherche constamment comment "cesser de l'alimenter", car en effet, quoi que l'on fît, il y a chaque jour au tournant, une lâcheté, une trahison, une récup de bas étage, une perverse entourloupe ... l'ignominie bien rodée à nous tenir dans les mailles d’un filet invisible... « La liberté unilatérale est une spécialité des dictatures discrètes ». (Pierre Avril)
Que me reste-t-il de mon libre-arbitre dans les téléguidages actuels ? L’âge de mes cheveux blancs ne dissout pas pour autant toute réaction de colère qu’il n’est pas question de remiser au magasin des accessoires, car elle est mon thermomètre. Je fais en sorte de la calmer et qu'elle se maintienne en révolte... le pire serait en effet de sombrer dans le politiquement correct, la tête dans le sable au service d’une bien - pensance de lieu et de moment, de renoncer à penser par moi-même et en confrontations d’idées avec les autres, car c'est là que j’apprends patience et modestie sans perdre une once de ma vigilance... C’est ce que je mis à exécution après les assassinats des 7, 8 et 9 janvier 2015 qu’il est indispensable de maintenir désormais dans nos mémoires sans dévoiement, ni instrumentalisation de date. C’est ainsi que je suis de tout cœur avec ceux qui, deux jours après, un certain dimanche « ont marché », mais ma raison a su supplanter les intérêts de l’émotionnel immédiatement et ignominieusement instrumentalisé. En effet, cette « marche du 11 Janvier » qui fut initiée par le Président de la République a « capté » par l’émotion d’une part, la capacité pour chacun de réfléchir par soi- même, alors qu’il nous fallut un minimum de recul par rapport à l’immédiateté et d’autre part, de faire participer la foule à sa seule volonté de convoquer en « tête de manifestation » des chefs d’Etats étrangers. Je considère qu’à cause du fort traumatisme émotionnel du moment, les citoyens qui s’étaient rassemblés auparavant et dans la spontanéité, ont été enfermés dans une logique d’Etat qui précisément, ne laissait guère de place à la réflexion. Ce sentiment nauséeux qui alors m’avait envahie, fut confirmé et suscita ma colère quand, le lendemain-même, devant la représentation nationale, le Premier Ministre, par un discours tonitruant, était en train d’évacuer d’une certaine façon les dates des 7, 8 et 9 Janvier, en les remplaçant, pour la mémoire collective, par l’unique date globalisante et martelée « du 11 janvier ». Et ceci, dans une indifférence quasi générale, valant acceptation.
Notre pensée, devrait en permanence se dégager de toute emprise politique de l’instant et venant de dirigeants ou de groupes de pression quels qu’ils soient. Il ne peut y avoir de liberté de conscience, sans liberté de penser.
J’ai donc marché moi aussi,mais dans ma tête seulement car nous étions très reliés par internet, dans l’écoute des uns et des autres. Certains avaient décidé de marcher, d’autres non. C’est ainsi que j’ai cessé de bloquer sur le mot unité, qui fut mis en avant par le Chef de l’Etat. En effet, que l’on privilégie le mot unité (qui évoque la caserne) à celui d’union, que je préfère parce qu’il rime avec unisson ou diapason, selon le contexte d’où l’on parle, oui, il y a bien pire lorsqu’on confond l’un et l’autre terme (unité ou union) avec unanimisme.
Force est de constater, que 1984, (roman contre-utopique de George Orwell) c’est ici et maintenant. Et la force persuasive de TINA-aux–gros-bras (There Is No Alternative) n’est plus à démontrer.
- Big Brother est installé partout, pour notre sécurité.
- Glissements sémantiques et contradictions caractéristiques de la novlangue. « commencez par dénaturer le mot, supprimez-le et la chose disparaîtra ». Linné, Philosophitica Botanica: " Nomina si nexis, perit et cognitio rerum " ( Si tu ne sais pas les noms, c'est la connaissance des choses elle-même qui disparaît"). Oui, par exemple, interrogeons-nous sur la disparition de notre vocabulaire du mot propagande, quelques décennies seulement après les horreurs du nazisme. Interrogeons-nous également de l’emploi abusif du mot faire, depuis le « faire famille » jusqu’à aujourd’hui avec le « faire France ». Et, pardon d’y revenir, à ce Vivre ensemble destiné à évacuer le mot qui gêne : Laïcité. Je ne suis pas prête d’oublier non plus « l’acceptabilité sociale », où nous relègue notre Garde des Sceaux, en remplacement de débat démocratique.
- « Malheur de notre humanité » contemporaine à « mal nommer les choses », championne du renversement de sens, où un crime devient un « incident », un accident une affaire d’Etat, un attentat criminel: « un coup de folie », une déclaration de guerre à un état Africain, une simple opération militaire de l’ONU, un assassin de son patron en Isère par décapitation et exhibition de sa tête sur les grilles de l’entreprise, entre 2 drapeaux de l’Etat Islamiste, une victime d’« explosivité émotionnelle » (relevé dans la presse, il y a quelques jours, donc : des semaines plus tard et, soulignons que là, il y eut interdiction de publication de photo. Pour l’instrumentalisation d’une photo, c’est selon ! Il est à noter, ce contant agir sur l’émotionnel.
- Pratique éhontée du dubble bind, (terme venu de la psychologie clinique, par Bateson), en français : double contrainte, rendant impossible toute implication sérieuse du citoyen qui, si ce n’est pas un effort pour rendre l’autre fou (Searles) à l’instar des injonctions contradictoires exercées sur le très jeune enfant immature (« Sois grand, mon petit ! »), sur le cerveau du citoyen étant censé, lui, être parvenu à la maturité adulte, ces « efforts » ont néanmoins la capacité d’ébranler encore plus gravement son équilibre précaire dans sa famille et dans la société. Un ex de Dubble Bind : ouvriers, employés désormais cantonnés en grande banlieue où il ya déficit de transports en commun, donc obligation de financer une automobile pour pouvoir se rendre à son travail, mais attention, pas aujourd’hui qui est jour impair … Vous êtes trop nombreux ? pour l’écologie, peut-être, mais pas pour l’industrie automobile … alors le mot d’ordre est coercitif: « ralentissez » ! bien fait pour vous !
- Ce Dubble bind est souvent partie liée à la politique du « 2 poids 2 mesures ». Dans cette histoire de restriction automobile pour préserver la planète, qui se soucie des nuisances des transports aériens, et des hautes fréquences dans nos aéroports ? pas question de toucher aux lobbies, mais si facile d’accabler le citoyen à un autre niveau de responsabilité… Autre remarque : l’Etat si prompt à pourchasser le citoyen qu’il juge fraudeur et délinquant par nature, et qui va même jusqu’à organiser la suppression de l’usage de la monnaie, est lui-même, pour assurer le fonctionnement de certaines de ses administrations, le patron-voyou qui ne déclare pas ses fonctionnaires à l’URSSAF par le tour de passe-passe de la création d’un nouveau statut dit de : « professions occasionnelles de services publics » …
- Géniale, enfin, la discrimination positive pour décréter que certains citoyens sont plus égaux que d’autres (Orwell, La Ferme des animaux). La Valeur Egalité, se relativise et ainsi consommée devient égalitarisme.
Alors, s'asseoir sur le bord de la route, et regarder passer la pantomime ? Aussi tentant soit-il …
Se pose la question cruciale de la portée de nos engagements. La question de la juste distance d’avec le politique. Le mot est à prendre ici dans son sens noble à savoir l’implication de tout citoyen dans la société.
Bien évidemment, cela n’empêche pas la pantomime de passer … ni le rocher de redescendre la pente, aussitôt arrivé sur le haut de la crête … mais je ne me serais pas tue, même au risque de « botter en touche », ce qui ne peut manquer de m’être reproché. C’est ainsi que Sisyphe s’emploie à rouler imperturbablement sa pierre, où sur ce chemin-là de l’absurdité assumée de la condition humaine, ne se précipitent guère les serviteurs du tyran.
Ce que je redoute le plus, c’est que lorsque nos yeux seront vraiment descillés, il ne soit définitivement trop tard dans ce « Meilleur des Mondes », soi-disant « pas pire qu’ailleurs ».