Que signifie être "apte" à son poste de travail?
Médicalement, pas grand-chose (je pourrai développer ultérieurement), cela équivaut, sans plus (ni moins) à constater le jour où vous voyez le salarié une absence de contre-indication à ce que vous pensez connaitre de ses activités.
La notion d'aptitude est juridique, et constitue une garantie par l'employeur, qui a toujours d'ailleurs le plus souvent recherché cette caution - je parle du secteur privé, le public c'est une autre affaire...
La notion historique d'aptitude est une déclinaison du "bon pour le service" dans le recrutement des armées.
C'est à dire c'est fondamentalement sélectionner des sujets d'une intégrité physique sensorielle et psychique suffisante pour être exposés à des risques.
Donc l'idée première est que face aux risques, on place le bon sujet c'est-à-dire celui qui se dégradera le moins vite a priori à l'exposition, et représentera de facto le meilleur investissement.
C'est tout de même éthiquement dérangeant.
C'est à contre-courant d'une autre conception, plus récente, des environnements de travail qui vise à adapter le travail à l'humain, c'est le développement de l'ergonomie, et c'est encore plus récemment la notion de compensation pour le travailleur handicapé afin de réduire toute discrimination quelle qu'elle soit (je vous renvoie à la loi du 11 février 2005, entre autres).
Mais la sélection et la surveillance du travailleur exposé aux radiations ionisantes nécessitent qu'il soit initialement indemne de toute pathologie patente ou latente - dans ce dernier cas cela peut évincer du poste beaucoup de monde - dans les domaines explorés (sensoriels, métaboliques...ça fait beaucoup au départ et après aussi).
C'est une surveillance très cadrée et encadrée a priori: examens cliniques et biologiques réguliers, dosimétries contrôlées. C'est aussi rassurant a priori.
Sur le terrain, c'est en fait vite compliqué: vous recevez parfois des dosimétries perturbées qui ne correspondent pas à l'exposition réelle du sujet, mais du mauvais usage du dosimètre (une vraie enquête policière pour comprendre parfois). Le sujet "bon vivant" peut aussi avoir des paramètres biologiques perturbés qu'il va falloir évaluer, contrôler et recontrôler. Je ne ferai pas la revue de détail, c'est juste pour vous donner une idée.
En tant que médecin du travail, il est toujours dérangeant de se dire que l'on autorise quelqu'un -même avec précautions- à une exposition potentiellement cancérogène. Avec le caractère insidieux et difficilement parfaitement contrôlable des effets des radiations, je me sens éthiquement et pratiquement souvent sur la sellette. Mulitiplier les contrôles? Les prises de sang, les gens sont souvent contents, ils se sentent suivis, rassurés....Tant mieux? Mon action ici n'est pas de la prévention, ni même de la gestion du risque, mais de la détection d'éventuels effets délétères, avec des moyens non exhaustifs.
En fait je trouve cela, au sens fort, objectivement inhumain, et en particulier éloigné de la réalité mouvante, multiple de la physiologie humaine.
Les effets des radiations sont certes probabilistes, mais aussi stochastiques, c'est à dire aléatoires.
Je n'écris jamais apte, que cela soit dans l'exercice public ou privé.
Au mieux, absence de contre-indication, dans le cadre du poste défini, au vu des examens complémentaires éventuels, aujourd'hui.
Je ne témoigne que de ce que je contrôle un peu.
Vous me direz: vous êtes la reine des faux-culs.
Peut-être. Et vous?