Catherine LISON-CROZE

Abonné·e de Mediapart

13 Billets

0 Édition

Billet de blog 14 octobre 2022

Catherine LISON-CROZE

Abonné·e de Mediapart

Les violences faites aux femmes, #Me Too et la Conventiond'istamboul

Catherine LISON-CROZE

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis entrée au barreau de Tours en 1971. Comment ne pas oublier que le bâtonnier de l’Ordre des avocats m’a convoquée, pour me signifier paternellement que « le pantalon sous la robe, ce n’est pas très féminin » ? Comment ne pas oublier aussi le confrère qui m’a collé sa main aux fesses dans un couloir du palais, dans le but, revendiqué, de « dompter une féministe ». Et ce président de cour d’assises m’expliquant que l’auteur du viol contre lequel je défendais la partie civile, avait été acquitté en raison du fait que lors d’une suspension d’audience, ma cliente avait été aperçue en train de rire.

À l’époque, dans le sillage de Gisèle Halimi, nous étions quelques-unes et quelques-uns à plaider le renvoi des crimes de viol aux assises. Nous dénoncions l’accueil machiste des plaignantes dans les commissariats, la disqualification de leur parole, l’usage de la voie sans issue des mains-courantes, l’absence de prise en charge matérielle et médico-psychologique des victimes. Nous luttions contre l’usage de cette arme automatique et redoutable, appelée examen de crédibilité, consistant à éplucher d’emblée la vie des plaignantes, sommées pour être crues, de résister jusqu’au bout à leur agresseur. À tout le moins, de porter de sérieux stigmates d’opposition à ses agissements.

Gare à celles insuffisamment meurtries, ainsi qu’à celles dont la vie, les fréquentations, le statut conjugal, les sorties, l’allure, les vêtements, le maquillage, les chaussures, le langage, la coiffure, le travail, le parfum, le regard… constituaient autant de prétextes pour disculper les mis en cause. Sans état d’âme, nombre de juges se basaient sur cet examen sexiste pour balayer l’élément intentionnel des crimes et délits allégués. Avec l’assentiment d’une bonne partie de la population, prisonnière comme eux des stéréotypes de genre.

La prise de conscience de la nécessité de traiter autrement les violences faites aux femmes s’est réalisée lentement. Pour les mis en cause qui n’avaient pas réussi à se glisser entre les mailles du filet, elle s’est traduite par de plus nombreux renvois de viols en cour d’assises et une inflation des peines. La réclusion criminelle à deux chiffres s’est mise à remplacer l’emprisonnement avec sursis, prononcé auparavant en correctionnelle. Sans pour autant que les plaignantes soient mieux accueillies et protégées contre les menaces, les représailles, la récidive. Sans que leur traumatisme soit davantage pris en charge. Sans rien faire non plus contre l’indignité des prisons et le sort réservé aux pointeurs par leurs codétenus. Un sort connu de tous, accompagné souvent d’actes de torture et de barbarie. Que nous dénoncions également.

De tout temps, ce sont les luttes féministes qui ont contribué à faire évoluer les droits des femmes. Sans jamais couper ces luttes de celles pour le respect des autres droits fondamentaux. Depuis 2017, #Me Too libère la parole des femmes de façon inégalée. Cette lame de fond nous permet de mesurer à quel point il est difficile de changer de culture, de déconstruire une éducation, de respecter l’Autre en toutes circonstances, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne.

Maintenant que #Me Too a trouvé sa place dans le discours collectif, la prise de conscience n’est pas près de s’arrêter. Mais pour ne pas rester vain, ce discours doit se traduire par des mesures concrètes pour les droits des femmes, sans abandonner les autres droits humains conquis de haute lutte. Ceux arrachés à la barbarie, à l’exemple du respect de l’intégrité physique et psychique dû à toute personne, ou enlevés à l’arbitraire, comme le droit à un procès équitable.

Pour les femmes, porter plainte reste difficile, éprouvant, voire impossible. Avec à la clé, la déperdition des preuves, les pressions, la peur, le dépassement des délais de prescription, le découragement. L’État est défaillant. Faute d‘écoute, d’accueil en urgence avec mise à l’abri, d’aides médico-psychologique et juridique, les femmes se sont tournées vers d’autres instances.

Des journalistes leur prêtent une oreille attentive, contextualisent les faits dénoncés, recueillent des témoignages, les recoupent, décortiquent mails et tweets, sollicitent la réponse des mis en cause sur les accusations formulées à leur encontre. En mettant leurs talents d’investigation au service de la manifestation d’une vérité non judiciaire, ils mesurent la difficulté de respecter le contradictoire, n’ayant pas eux-mêmes le pouvoir de le faire respecter. Ils n’ont pas en effet la faculté d’ordonner expertises, examens, perquisitions, saisies, reconstitutions, ou de délivrer un mandat pour contraindre une personne de se présenter afin d’être entendue, confrontée, voire astreinte à des obligations pour protéger parties ou témoins. Sans compter l’absence des avocats des parties, notamment pour étudier les éléments à charge comme à décharge, faire des demandes d’actes, mener directement des contre-interrogatoires.

Des associations de défense des droits des femmes jouent aussi un rôle important. Ces comités, observatoires, cellules diverses et variées, rencontrent les mêmes limites que celles des médias lorsqu’elles se lancent dans des enquêtes. Si pour beaucoup de femmes, le dépôt de plainte dans un commissariat est devenu l’accessoire d’une démarche estimée plus respectueuse de leur souffrance, plus efficace pour mener une enquête et punir celui qu’elles désignent comme auteur, la responsabilité écrasante en incombe aux pouvoirs publics.

« Il est temps de siffler la fin de la récréation ». Le mépris du ministre de la justice envers les personnes aidantes des structures associatives d’écoute ne peut réussir à masquer la réalité de la situation : sont classées sans suite 70% des plaintes pour viol, 75% de celles pour agressions sexuelles, 83% de celles pour harcèlement sexuel, et 80% de celles concernant les violences conjugales.

Le manque de moyens matériels et humains est la partie visible de l’iceberg. Sa partie immergée repose sur le choix d’une justice sécuritaire, de rentabilité statistique immédiate, aux antipodes des enquêtes approfondies et respectueuses des personnes, nécessitées par les affaires de violences faites aux femmes.

Seulement 3% des affaires criminelles sont confiées à un juge d’instruction (contre 20% il y a vingt ans). L’actuel projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, qui entend dorénavant placer les cinq mille fonctionnaires de la police judiciaire (P.J.) sous l’autorité de l’Intérieur, et plus sous celle de la Justice, est significatif à cet égard.

Le procureur de la République est le pivot de ce système nocif. La Cour européenne de défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales lui dénie pourtant la qualité de magistrat, en raison de sa subordination au ministre de la Justice, membre du gouvernement (arrêt du 23 novembre 2010). Malgré sa dépendance à l’exécutif, c’est lui qui filtre les dossiers, décide de les confier à un juge d’instruction ou de les classer sans suite. Notre système pénal n’est pas en conformité avec la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istamboul, du nom de la ville où elle a été ouverte à la signature. La France l’a ratifiée le 11 mai 2014, comme 36 autres pays (situation au 22 juillet 2022, merci Wikipédia). Bien que l’article 55 de la constitution stipule que « les traités régulièrement ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois », l’État fait comme s’il n’était pas lié par ses dispositions.

Parmi ces dernières, figurent notamment une « réponse immédiate de protection des victimes et de collecte des preuves », ainsi qu’une « appréciation du risque de létalité, de la gravité de la situation et du risque de réitération de l’infraction ». Il est précisé aussi que doivent être mis en place des « centres d’aide d’urgence appropriés, facilement accessibles et en nombre suffisant, afin de dispenser [aux victimes] un examen médical et médico-légal, un soutien lié au traumatisme et des conseils » (chapitre VI).

Il est demandé aux Parties l’application « effective » du principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Vu la récurrence et l’ampleur de l’inégalité salariale à travail égal, ne faudrait-il pas confier une mission spécifique de contrôle aux DIRECCTES ? Avec bien sûr, la création de postes dans une administration sous-dotée, à l’instar d’autres services publics essentiels.

Dans la Convention d’Istamboul, sont également prévues la formation de tous les professionnels en contact avec les victimes, des campagnes de sensibilisation avec des matériels pédagogiques sur l’égalité des sexes, ou encore la mise sur pied de programmes thérapeutiques pour les auteurs de violence domestique et pour les délinquants sexuels. Cela exige que de tels programmes puissent être suivis en prison, et que condamnés et prévenus de viols et autres agressions sexuelles soient, eux aussi, protégés contre de tels crimes et délits, lorsqu’ils sont incarcérés. 

Les articles 8 et 9 de la Convention d’Istamboul indiquent que « les Parties allouent des ressources matérielles et humaines appropriées pour la mise en œuvre adéquate de ces mesures et programmes », y compris ceux « réalisés par les organisations non gouvernementales et la société civile ». C’est donc bien à juste raison que les associations de défense des femmes demandent au gouvernement un budget dédié d’un milliard d’euros ainsi que la prise en considération de leur travail d’aide et de soutien.

Dans son article 36, la Convention d’Istamboul donne une définition des agressions sexuelles, y compris le viol, qui ne repose pas sur ce concept injuste de présomption de consentement, encore en vigueur dans notre pays. Il convient de réécrire l’article 222-23 de notre code pénal. Comment admettre sa pérennité, alors qu’il définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », déniant la qualité de victime aux femmes qui n’ont pas opposé de résistance physique à l’agresseur et sont restées passives face à lui. La loi du 3 aout 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, n’a apporté aucune amélioration à cet égard.

La Convention d’Istamboul oblige par ailleurs les Parties à ériger certains faits en infraction pénale, de manière claire et précise, à l’exemple de son article 33 : « Les Parties prennent des mesures législatives pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de porter gravement atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte ou les menaces ».

Il en va de même pour le harcèlement, défini comme « le fait, commis intentionnellement  d’adopter un comportement menaçant dirigé envers une autre personne, conduisant celle-ci à craindre pour sa sécurité » (article 34), et pour le harcèlement sexuel, constitué par « toute forme de comportement non désiré, verbal, non verbal ou physique, à caractère sexuel, ayant pour objet ou pour effet de violer la dignité d’une personne, en particulier lorsque ce comportement crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (article 40).

Le champ des violences combattues par la Convention est large. Il est rappelé que « les femmes et les filles sont exposées à un risque plus élevé de violence fondée sur le genre que ne le sont les hommes », que ceux-ci « peuvent également être victimes de violences domestiques », de même que les enfants, « y compris en tant que témoins de violence au sein de la famille » (cf. Préambule).

Enfin, est institué un mécanisme de suivi de la mise en œuvre des dispositions de la Convention, par un Groupe d’Experts Spécialisés dans les Violences faites aux femmes (le GREVIO). Ce groupe d’experts procède à des évaluations et rend des recommandations. Dans l’évaluation de notre pays par exemple, il a « exhorté les autorités françaises à réexaminer leur législation […] en particulier la pratique de la correctionnalisation, en matière de violences sexuelles »

On mesure le retard pris en France lorsque l’on se tourne vers L’Espagne. Ce pays a adopté des dispositifs énergiques et variés protégeant les femmes. Sa chaîne pénale est efficace contre les féminicides, grâce à des policiers et des juges spécialement formés. Ses prisons sont certes là pour punir, mais elles servent aussi à faire prendre conscience aux condamnés de la gravité de leurs actes. Avec pour conséquence, une baisse significative de son taux de récidive.

La lutte contre les violences faites aux femmes passe par la loi, toute la loi, rien que la loi.

#Me Too est aussi un immense besoin de droit.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.