Titularisée en 1995, j’ai démissionné de l’éducation nationale en septembre 2022 le soir du deuxième jour de la rentrée des classes dans un niveau de moyens grands, après avoir fait ma réunion avec les parents. Je ne le regrette pas car j’aurais pu faire partie de ces enseignants qui craquent et qui après de nombreuses années de dévouement voient leur vie basculer sous les injures aveugles de tous les bien-pensants de ce pays.
La vérité est que ce pays est en déclin total en grande partie à cause de la maltraitance subie par l’école. Je ne parle pas seulement des enseignants. L’école est un immense pourvoyeur de souffrances. Les enseignants, les ATSEM, les enfants, les parents sont en souffrance. Qui est heureux à l’idée de retourner à l’école ? Qui n’angoisse pas de laisser son enfant toute une journée au milieu d’une cohue difficilement maîtrisée par des adultes dépassés ? J’ai été maîtresse mais je suis également maman de cinq enfants. L’angoisse de maman, je l’ai vécue aussi. Je me souviens du regard effaré de mon petit garçon le soir de son premier jour d’école. Il avait les joues rouges, était assoiffé dans une classe surchauffée, et son regard semblait me dire : « Maman quel est cet enfer dans lequel tu m’as abandonné toute une journée ? »
Tous mes enfants, d’une façon ou d’une autre ont souffert par l’école.
J’ai souffert comme maman.
Je compatis avec les parents de cette enfant frappée. Je souffre de leur souffrance.
Et j’ai souffert aussi comme maîtresse.
La rentrée est un moment de stress intense. Qui peut supporter ces conditions de travail ? Enfermés toute la journée avec une trentaine de gamins qui n’ont plus les ressources pour passer ainsi leurs journées. Une maîtresse dont les paroles et gesticulations n’intéressent plus personne car le niveau d’attention des enfants a chuté de façon impressionnante à cause de l’utilisation quasi continuelle des écrans. Cela donne des enfants survoltés, ingérables. Je ne parle pas des enfants qui ne sont pas dans une structure adaptée faute de place dans les établissements spécialisés adéquats. Dans tout ce bourbier, sachez que ceux qui sont en première ligne, ce sont les enseignants car en plus de subir les conditions dégradantes dans lesquelles ils travaillent, ils subissent aussi la vindicte populaire. Certes, frapper un élève n’est pas acceptable, mais mettre la maîtresse en situation de ne plus pouvoir faire autrement que de craquer n’est pas acceptable non plus. Et ne rien faire pour tenter de changer ces conditions tout en chargeant l’enseignant est un raffinement de m’enfoutisme teinté de lâcheté et d’hypocrisie.
Si cette enseignante a craqué toute l’Education Nationale est responsable et je suis révoltée à l’idée qu’une seule personne porte la faute de tous.
Je suis maîtresse et j’ai aimé mon travail. J’aime les enfants. J’ai essayé de donner le meilleur de moi-même. Je n’ai pas compté mes heures de préparations. Et un beau jour j’ai démissionné car les mauvaises conditions dépassaient mes limites d’acceptation.
J’ai démissionné. J’ai eu la chance de pouvoir le faire. Beaucoup d’autres démissionneraient s’ils le pouvaient. Des collègues en souffrance j’en ai connu pléthore.
Cette collègue, je ne l'excuse pas ; mais ce n’est pas elle que je condamne.