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Billet de blog 12 septembre 2022

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Daphnée, la lumière et la joie.

18 janvier 2012. Ce jour-là, il faisait très froid. Tout gelait. La terre se recouvrait de glace. Difficile de marcher. Difficile de rouler.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Daphnée, en septembre 2012, a intégré une formation dont je dirigeais la pédagogie, en design graphique.

Issue d’un parcours de communication, les passerelles de correspondance des formations lui permettaient toutefois de rentrer en 3e année.

Je ne la connaissais pas. Juste un dossier, une rencontre avec une jeune fille charmante, joyeuse, riante, motivée, courageuse.

J’étais dubitative sur le niveau qu’elle pourrait obtenir en passant d’une formation à l’autre. Mais la rencontre était belle, et je pariais sur son caractère.

Il fallait trouver une alternance. Sa formation était moins créative au départ, et pourtant… elle a envoyé des CV aussi spontanés qu’elle : drôles et lumineux, témoignant de sa volonté d’intégrer une équipe.

Cela a payé : Elle a trouvé une alternance, dans une entreprise près d’Orléans.

Là-bas, elle est arrivée avec son bagage : la lumière et la joie… 3 mois de cours alternant avec le temps en entreprise ; Une poignée de semaines pour nous connaître. 

Puis le 18 janvier 2012.

Ce jour-là, il faisait très froid. Tout gelait. La terre se recouvrait de glace. Difficile de marcher. Difficile de rouler.

 Un message, pour moi, sur un salon de l’étudiant terriblement ennuyeux. Et ce moment où la vie bascule. Un abîme. Daphnée a eu un accident. La route, glissante, l’a expulsée par traitrise dans un virage.

"Oui ses parents le savent... oui Harmony est là. Oui oui. Non on ne sait rien. Oui, coma".

20 ans. Les promesses de la vie. Cette année où elle quittait doucement l’enfance, se promettant une carrière toute tracée dans la communication et le design. Tout a été balayé. Il a fallu tout réinventer. Il lui a fallu chercher ses trésors au fond d’elle-même, force et courage.

Le cheminement fut long, et je ne me permettrai pas de parler à sa place. Elle a tout raconté dans un ouvrage : « Ca n’arrive qu’aux autres (enfin presque) »  Editions Librinova. (https://www.fnac.com/e291017/Librinova).

Je ne peux qu’être effrayée. Je l’ai suivi, de loin en loin, dans la culpabilité de ne pas pouvoir l’aider plus. Sentiment de privilège, face à l’injustice. Par chance, elle a été entourée d’amour : sa famille, si aimante, ses amis, présents.

Moi, de loin en loin, je représentais l’école, cette petite école dont elle faisait toujours partie, lui transmettant le fait qu’elle était de notre communauté.

D’hôpital en hôpital. Un chemin de croix, un entrainement digne des athlètes des JO, avec l'espoir de remarcher un jour.

Première visite. Hôpital de Tours. Après le coma. Après l’annonce de son handicap. Lumineuse, terriblement belle sur son lit. La trachée ouverte, tubée, le corps lourd de son poids mort, elle m’accueillait en souriant. "Je vais redessiner, tu sais". Je tentais de lui parler projets, persuadée que les projets FONT la vie.

Sa maman est entrée. Mon empathie pour elle n’a fait qu’un bond. D’une pudeur extrême, elle ne laissait aucune place aux larmes. On ne s’appesantit pas. Avec discrétion je suis repartie, démunie. Sidérée tant de la monstruosité de la situation, que du sourire de Daphnée et de la pudeur de sa maman.

D’hôpital en hôpital... Long chemin fait d’espoirs et de désillusions, de réappropriation d’un corps différent, d’une autre façon de se mouvoir, avec le sourire. Puis un jour ce coup de fil : "Cathy je pars en covoiturage faire du parapente".

Mais quelle merveille ! La vie est là. Elle a tout organisé. Covoiturage, avec son fauteuil roulant, auberge de jeunesse, parapente. Devenir légère , libre comme l’air. Et retour chez elle. Re-covoiturage. Début de toutes ses aventures.

Transformation du plomb en or. Etape 1.

 Je ne m’étendrai pas sur l’ensemble de ses exploits à haute sensation ; Elle a tout raconté, au fur et à mesure, dans son blog : https://1parenthese2vies.com

Daphnée : "Ce blog n'a aucune prétention (Changer le monde, peut-être?), et je ne sais pas tout du handicap (est-ce seulement possible?), mais s'il peut apporter un peu de positif à qui que ce soit, alors ça me va. C'est qu'il a encore une raison d'exister".

Dans ce blog elle vous raconte tout, avec humour (mais pas que). Sujets pratiques (enfiler ses chaussette, tout un programme !) de vie (le sexe et le handicap !), de joie (voyager, de la Belgique au USA en passant par l’Autriche, le Brésil, et le Canada…), d’espoir (Handicap et droit d’être heureuse), et de colère (On en parle, des trottoirs dans les villes ? Des amis qui n’en sont pas, ou des exaspérants regards de pitié ?)… Cet espace lui a permis de se revendiquer "handi optimiste", devenant ainsi une figure lumineuse du handicap, porte-parole pour celles et ceux qui n’ont pas son courage ou simplement s’interrogent.

Et pourtant, pas si facile… extrait de l’un des articles témoignage d’une colère : "Je n’ai jamais appris à demander de l’aide. J’ai grandi dans un environnement, dans une famille, au sein de laquelle la prise d’indépendance de l’enfant était importante et c’était très bien ainsi. Je n’ai simplement jamais compris pourquoi je demanderais à quelqu’un de faire ce dont je suis capable de faire. Peut-être – sûrement même – qu’il y avait une belle part de fierté là-dedans. J’ai appris, j’ai galéré pour apprendre, donc je veux prouver que c’est assimilé. Voilà, aussi simple que ça. L’ironie du sort a voulu qu’un jour, je me retrouve dans un lit d’hôpital avec comme seules possibilités de mouvements ceux de la tête, et encore. Je devais être nourrie, être lavée, être habillée, être mobilisée et les heures ont défilées ainsi à l’encontre de ce qui faisait (aussi) ma personnalité. Jour après jour il a fallu que je m’escrime à retrouver un semblant de dignité d’abord, un peu d’autonomie ensuite".

Devenue indépendante, gérant sa vie dans son appartement, avec sa voiture, elle témoigne du "Possible en handicap".

Et puis il y a eu le confinement. Chacun dans sa bulle, jusqu’à ce message : "Bon, Cathy, je viens à Blois ; ça fait trop de temps qu’on ne s’est pas vues. J’ai trop de choses à te raconter". En 2 temps 3 mouvements, 3 tours de roue, nous voici en juillet 2021, sur une place, un café  : "Tu sais, le handicap, c’est ok, mais je lui ai laissé bien trop de place. Mon monde est riche de tellement d’autres choses ! Donc j’arrête le blog et je vis ma vie de femme d’abord. D’ailleurs j’ai un nouveau boulot, j’ai rencontré un homme merveilleux et nous achetons une maison ensemble".

 Rires, surprise, admiration. Daphnée l’alchimiste.

 Depuis, je suis allée la voir dans sa maison, avec son chéri, son chat et son chien ; On a parlé projets.

Dire qu’elle oublie son handicap est bien sûr un énorme mensonge, mais il fait partie d’elle et non, elle ne veut plus être porte-parole. Elle veut juste être heureuse.

Le plomb s’étant transformé en or, je décide donc qu’elle sera ma première rencontre de ce blog.

Sa maison, à Bourges, est très accessible, non loin d’un lac. Rue pratique pour se garer, sortir son fauteuil. La maison est grande. Tout est prévu pour elle.

Accueillie par son chien tout fou. Oui oui je suis une amie… La chatte, princesse attentive, nous suit dans le bureau, s’installe et nous écoute. Daphnée, je l’ai toujours vue proche des animaux. Chez moi, elle dort avec ma chatte pot de colle sur son lit. Même le papier peint de son bureau est plein d’oiseaux.

Son chéri, son ex kiné! Comment déclarer sa flamme à son kiné ? C’est drôle et touchant. Et dans l’urgence de vivre vraiment, un an à peine, les voilà dans leur maison.

Calme, serein, il m’accueille avec douceur.

Nous avons parlé à bâton rompu. Elle avait effectivement trouvé du travail dans une bibliothèque. Elle travaillait sur la com', les réseaux. Elle n’y a finalement pas trouvé l’ouverture qu’elle souhaitait.

Alors elle a réfléchi à ses qualités. L’une d’elle est immense : Elle aime donner du plaisir aux autres, jouer, trouver des idées qui rendent la vie belle.

Son projet s'est naturellement dessiné : Avec une amie, monter leur boite, destinée à organiser des instants magiques pour renforcer et sublimer la relation entre deux personnes qui s’aiment, que ce soit amical, familial ou amoureux. Rendre chaque moment unique.

Elle a du temps ; elle réfléchit à l’identité visuelle et aux valeurs à porter.

L’or transformé, il reste à l’offrir aux autres!

Dans son bureau, une forêt vierge et des oiseaux qui virevoltent, dessinés sur le mur. C’est joyeux. Son univers est fait de nature luxuriante et d’envolée. Je ne peux m’empêcher de voir la forêt du brésil, où elle a cherché – et peut être trouvé- des réponses à ses questions.

 Nous avons reparlé du handicap, de sa vie de couple. Elle n’exclue rien des possibles. Un fois de plus, le handicap doit être surpassé.

 Elle a avoué des restes de colères : "J’en veux à mon corps. Il n’a pas été assez fort pour résister à l’accident…". Colère injuste, mais il faut bien que les émotions s’évacuent. Je tempère... "Bah non, Daphnée, sois indulgente. Ton corps il a tout pris de plein fouet ; mais il a réussi à te garder vivante". Elle accepte. "Oui ok…". Puis elle balaie sa mèche de cheveux, de sa main légèrement inclinée. Trace visible de ce handicap, et rebondit: "Bon, en fait, l’importance du handicap, c’est celle que l’on veut bien lui donner".

A la question "Daphnée est-elle une héroïne ?", je réponds OUI sans l’ombre d’une hésitation.

Elle n’avait pas le choix me direz-vous. Mais si, absolument. Elle pouvait ne pas croire en la vie, ne pas croire en ses rêves, ne pas aller faire du parapente, ne pas parcourir le monde, coûte que coûte, ne pas venir danser avec son fauteuil roulant, le jour où notre école de design a fêté ses 30 ans, ne pas écrire un livre, ne pas faire son blog, ne pas décider de témoigner de son amour à son kiné.

Daphnée, la lumière et la joie.

Illustration 1
Daphnée en fauteuil © Cathy Beauvallet
Illustration 2
Daphnée, la lumière et la joie © Cathy Beauvallet

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