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Billet de blog 18 décembre 2011

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Papy Boum brisera-t-il le mur du silence?

Existe-t-il des livres ou des auteurs maudits ? J'aurais tendance à dire que cela est une légende et que tôt ou tard, ce qui doit être « connu » ou reconnu, le sera. Le scandaleux silence entretenu par les medias autour de « Papy Boum », le dernier et savoureux roman de Ramdane ISSAAD, m'a fait cependant douter de mes convictions sur le sujet.

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Existe-t-il des livres ou des auteurs maudits ? J'aurais tendance à dire que cela est une légende et que tôt ou tard, ce qui doit être « connu » ou reconnu, le sera. Le scandaleux silence entretenu par les medias autour de « Papy Boum », le dernier et savoureux roman de Ramdane ISSAAD, m'a fait cependant douter de mes convictions sur le sujet. En effet, j'avais eu le plaisir de découvrir ce texte il y a quelques mois en avant-première et j'étais persuadée qu'il trouverait rapidement son public, ce d'autant que l'auteur n'en est pas à son coup d'essai. Ses textes, en particulier son premier roman, « Le Vertige des Abbesses », ou encore « Laisse-moi le temps » (Prix des libraires de la Fnac et sélection Prix Interallié) ont toujours eu la faveur de la critique, et que ce soit au journal Le Monde, au Canard Enchaîné, au Nouvel Obs. ou encore à la rédaction de l'Humanité, ce romancier résolument ancré à gauche n'est pas un inconnu, loin de là. Afin d'en avoir le cœur net, j'ai décroché mon téléphone pour un entretien en cinq questions avec celui qui se décrit lui-même comme un « agitateur radical, Beur atypique ». Ses réponses éclairent sur l'état de crise et l'esprit qui règne aujourd'hui dans l'édition française :

« Papy Boum » est un texte incroyablement subversif. Pas seulement parce qu'il explique comment terroriser les riches, mais aussi parce qu'il semble répondre à une attente du lecteur. Un besoin de révolte satisfait par procuration. On a tous un peu envie d'être ce personnage. Comment est-il né ?

R.I. : J'ai eu l'idée du roman en 2009 alors que du fait du nouveau statut des intermittents du spectacle et privé de toutes ressources, je me suis brutalement retrouvé dans la plus grande précarité et véritablement au bord d'un regrettable passage à l'acte. La faim, je dis bien, la faim, F.A.I.M, à tendance à justifier les moyens ! (rire). A la même période, on était aussi en pleine réforme des retraites. A l'âge que j'avais, je n'étais ni reclassable, ni indemnisable. Alors plutôt que passer chez un armurier et faire une grosse bêtise en braquant l'épicier du coin, j'ai préféré raconter l'histoire d'un quinquagénaire au bout du rouleau, et qui prend le mors aux dents. Le synopsis s'est mis en place en dix minutes durant un trajet avec mon fils collégien de 14 ans. Il a adoré l'idée et m'a demandé d'aller au bout, ce que j'ai fait. Comme j'avais aussi quelques petits comptes à régler avec des notables français compromis dans des affaires de séquestrations, tortures et viols, commis à Toulouse et Auxerre, j'ai profité du récit pour leur infliger une punition bien méritée, quoique parfaitement immorale et répréhensible, je le reconnais bien volontiers, mais c'est là tout le plaisir de la fiction. On pourra aussi identifier l'un des protagonistes, familier de la station de Gstaad, comme étant le sinistre Hannibal, cinquième des fils de Mouammar Kadhafi. Bref, je me suis bien amusé, afin que les lecteurs y trouvent à la fois plaisir et enseignement. Car je ne suis absolument pas pour que chacun fasse justice lui-même, bien au contraire...

Le livre est actuellement publié au Editions du Net. Ce sont un peu des outsiders, des gens considérés par le milieu littéraire comme des « faiseurs de livres » plutôt que comme de vrais éditeurs. Vous ne l'avez pas proposé à des maisons plus classiques ?

R.I. : Lorsque j'ai eu terminé l'écriture du premier jet, les proches qui m'ont lu m'ont tous signalé que « Papy Boum » était en quelque sorte une illustration de l'essai « L'insurrection qui vient », attribué par la police à Julien Coupat qui était encore incarcéré à l'époque. Fin 2010, j'ai donc envoyé à tout hasard mon manuscrit à Eric Hazan, aux éditions de la Fabrique qui avaient pris le risque de publier le célèbre brûlot signé d'un mystérieux Comité Invisible. La réponse à la fois enthousiaste et négative d'Eric Hazan était claire : il était touché par le récit et le style, mais sa société qui ne publie que des essais, lui paraissait très mal placée pour me donner une chance d'émerger dans le flot des romans de la rentrée 2011. Eric Hazan a eu la gentillesse de faire passer le manuscrit aux Editions Verticales dont Bernard Wallet, l'un des co-fondateurs, avait accompagné la sortie de mon premier roman Le Vertige des Abbesses à la fin des années 80. J'ai croisé les doigts durant les trois mois d'attente, envoyé à tout hasard un second exemplaire chez Actes Sud en me recommandant du Pr. Christian Goudineau du Collège de France, publié chez eux, et qui m'avait conseillé de faire appel à cette digne maison pour mes prochains textes. Il faut savoir que quand on est fauché, un tirage de manuscrit à 60€ n'est pas une petite dépense. Je me suis fendu d'un troisième, remis en main propre à Sabine Wespieser, et les verdicts sont tombés : chez Verticales, on adorait l'histoire et la « vigueur du style » mais on me conseillait de retourner au Seuil où j'avais déjà publié en 2003 le roman Rushes, un véritable bide commercial malgré d'excellentes critiques. Il faut dire que dans Rushes, je mettais une grande diva de la téloche en boîte et que je revenais sur l'affaire du Rwanda en développant une thèse à l'opposé de celle du juge Bruguière. De quoi faire peur à la plus intrépide des attachées de presse ! Pour en revenir aux deux autres éditeurs pressentis pour « Papy Boum », j'ai eu droit au silence d'une part et à un refus standard de l'autre. J'ai donc tenté le Seuil à tout hasard, mais là, on m'a répondu que les calendriers de publication étaient déjà bouclés jusqu'à fin 2012. Nous étions déjà en mars 2011. Je me suis dit que le livre allait finir dans un tiroir...

Oui, mais lorsque l'on tape « Papy Boum » dans un moteur de recherche, on tombe souvent non pas sur les Editions du Net, mais sur les Editions du Polar qui signalent le roman comme « indisponible ». C'est une erreur ?

R.I. : Pas du tout ! Figurez-vous qu'alors que je me préparais à passer à autre chose, mon téléphone a sonné et qu'Umberto Barcena, patron des éditions du Polar à Paris, m'a fait savoir qu'il était très étonné de ne pas avoir reçu mon contrat signé. Il me l'avait adressé par mail trois mois plus tôt et je ne l'avais pas repéré dans le fatras des spams de ma boîte ! Ravi de l'aubaine j'ai bien sûr renvoyé le précieux document à l'éditeur qui aimait sincèrement le texte, autant pour sa forme que pour son contenu. La sortie était prévue pour septembre 2011. J'avais trouvé une attachée de presse free lance et nous nous préparions à faire connaître le livre à la Fête de l'Humanité, un lieu parfaitement adapté au sujet de « Papy Boum »...

Et cela ne s'est pas produit ? Pourquoi ?

RI. : Parce que figurez-vous que les petits éditeurs et magazines français sont de plus en plus contraints de faire appel à des réseaux d'imprimeurs bulgares qui travaillent à prix cassés. La société Pulsio a par exemple des bureaux à Paris qui centralisent les commandes et les dispatchent à Sofia. Les Editions du Polar passaient par un système comparable. Fin août 2011, Umberto Barcena m'a fait savoir que son imprimeur bulgare venait de faire faillite et que les exemplaires de mon roman ne seraient jamais livrés. Au même moment, Mme Chirac était à Sofia pour lancer une opération Pièces Jaunes locale. J'avais l'impression de vivre une expérience surréaliste. Grosse déprime. J'ai vraiment cru alors que tout était terminé. Heureusement, Catherine Belkhodja, la mère de la réalisatrice Maïwenn Le Besco dont j'ai accompagné un bout d'enfance, est aussi éditrice, et après m'avoir lu, elle m'a juré qu'il ne fallait pas renoncer. D'après elle, le livre allait connaître un succès mérité car il dépassait largement les poncifs du polar et méritait qu'on se batte pour lui. Le même jour, je suis tombé sur une annonce Google à propos des toutes nouvelles éditions du Net qui travaillent de manière originale avec les auteurs, sans exclusivité, sans stock, avec des tirages offset à flux tendu. J'ai tenté le coup. Et le livre est sorti.

Cela n'explique pas pourquoi la critique n'en parle pas ?

R.I. : Là, vous mettez le doigt sur le nœud du problème. Les petits éditeurs passent par des diffuseurs qui ne leur accordent pas la priorité, loin de là. C'est comme pour les films. Il ne suffit pas d'avoir la bobine ou le DVD, il faut une promo et une mise en place. L'autopromotion n'est tolérée que pour les BHL, les Alain Minc et autres monstres sacrés du petit milieu littéraire parisien. Sinon, pas question de défendre soi-même son texte sous peine de se faire encore plus marginaliser.

Encore une question, je sais que c'est une de trop. Mais y croyez-vous encore ?

R.I. : Plus que jamais !

http://www.leseditionsdunet.com/litterature/325-papy-boum.html

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