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Billet de blog 13 novembre 2012

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EFFET THÉ AU CUBE !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’effet thé au cube !

 Actuellement à Paris, au Musée Guimet, est ouverte une exposition, intitulée « Le thé, histoire d’une boisson millénaire ». Elle sera visible jusqu’au 7 janvier 2013. Dès l’entrée, un objet présenté retient forcément l’attention : le cube de thé Pu Erh de Ai Weiwei [cf photo ci-dessous].

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Ce cube de thé qui pèse une tonne, posé en introït d’une exposition sur la Chine, suggère d’emblée quelques remarques sur les aspects artistiques que véhiculent certaines œuvres contemporaines, dites conceptuelles. Le commissaire de l’exposition, Jean-Pierre Desroches, affirme à propos de ce parallélépipède de l’artiste chinois: « La tonne de thé symbolise l’importance de la Chine dans l’histoire du thé. »

 Certes, certes… Cependant, on se demandera si l’œuvre de Weiwei exposée au département des arts asiatiques des musées nationaux, ne montre pas plutôt, au-delà de la place du thé dans l’histoire de la Chine, la gigantesque émergence de la Chine dans le monde d’aujourd’hui. Tout cela est repris évidemment de manière métaphorique et malicieuse dans cette tonne de thé brut compressé...

Impossible de ne pas penser au rôle de plus en plus influent que prennent de manière incontournable les Chinois aujourd’hui, à l’impact de leur présence industrieuse et habile dans les pays émergeants et jusque dans nos pays occidentaux. Et si, comme l’ajoute J-P. Desroches, "l'eau est le corps du thé et le thé l'esprit de l'eau", les Chinois ne deviennent-ils pas, par la grâce de ces millions de brindilles de thé, ceux qui donnent effectivement goût, odeur et saveur au travail en entreprises comme le fait cette boisson bue partout dans le monde ?!

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 De l’esprit de l’eau à l’esprit de la place

À Beaubourg s’était tenue il y a quelques années, l’exposition « Face à l’Histoire. L'artiste moderne face à l'évènement historique. Engagement, Témoignage, Vision (1933-1993) ». A l’étage où étaient présentées les œuvres d’artistes du XX° siècle, figurait l’œuvre de Joseph Bueys, « Ausfegen » (Balayures) [cf ci-dessous].

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L’artiste disait lui-même à l’époque de sa démarche :"Am richtigen Ort, zur richtigen Zeit, das Richtige tun. Das ist Kunst" ( Le bon geste, au bon endroit, au bon moment. C’est ça l’art).   Sa vitrine en forme de chasse de verre retenait alors l’attention du visiteur car elle ressemblait  à un cercueil. Que contient en effet ce meuble insolite? Tous les déchets qu’avec l’aide de deux étudiants étrangers, Beuys a balayés juste après les manifestations du 1° mai 1972, sur la place Karl-Marx du Berlin Ouest de l’époque. Cette action qui fut alors également filmée, venait proposer le produit du travail d’ouvriers immigrés (Gastarbeiter) qui auraient ramassé ces ordures le lendemain. Elle manifestait la politisation de la conscience de l’artiste... Soit ! On a bien dit « conceptuel ».

Tout fonctionne comme si Beuys, quand il a accompli cet acte, rassemblait, en le mettant déjà en scène, ce que peuvent produire de concret les manifestations politiques et leur lot de soifs impatientes et de désespoirs carnassiers. Par un prolongement inévitable dans la mémoire des visiteurs de musées d’aujourd’hui, comment ne pas penser à la chute historique du Mur de Berlin et à la foule dont la révolte et l’enthousiasme envahissent et occupent l’espace pour mieux s’approprier l’événement ?

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 Tout comme les balayures de Beuys montrent l’importance de l’action des hommes sur une place pour l’histoire de la démocratie en Europe, le cube de thé de Ai Weiwei chante la gloire montante et la suprématie prévisible des Chinois dans le monde. Plus que notre admiration c’est notre réflexion qui est ainsi convoquée.

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 Beuys et Weiwei mettent en œuvre les objets banals de notre quotidien, nos choix, nos usages, nos objets préférés et nos déchets d’Occidentaux. Ils les font entrer en scène et, sans les détourner, nous les donnent cependant à voir dans une situation qui favorise des mises en relations décalées par rapport à leur normale condition d’usage.

 Le compartiment de la vie du Berlin de 1972, ainsi que le cube « Le thé Pu Erh » du Paris de 2012 contiennent, bien qu’entremêlés et anonymes, des présences qui deviennent par la disposition que les artistes leur donnent, les signes de la vie la plus large. C’est là que nous pouvons nous approprier le secret de ce geste concret si particulier qui met en action l’œuvre conceptuelle…

 Etre à la hauteur de notre regard est la condition spatiale de l’arrangement de l’objet, mais aussi du jeu temporel qui le présentifie. En 1972 comme en 2012, celui qui arrange en fin de compte cet assemblage, c'est nous, nous qui organisons par notre regard l'infinité des relations possibles entre tous ces objets exposés dans des musées et le sens qu’un coup de balai donne à l’histoire comme celui que donne une presse à l’esprit d’une boisson universelle. Nous devant ce cercueil, nous devant ce cube, nous recomposons un nouveau monde de formes et de relations. Du moins essaie-t-on, librement.

 Ainsi, entre l’esprit de la place de Berlin et l’esprit de l’eau, on peut voir que le cercueil de verre de Beuys figure l’agitation politique sur la place publique et, par une métonymie équivalente, le cube de thé de Weiwei appelle une autre transparence, la valeur impalpable de l’eau universellement indispensable à la vie et pour la possession de laquelle les hommes d’aujourd’hui ont commencé à s’entredéchirer…  Vaste vue, dira-t-on sans doute… et politique.

 Catherine Barasch

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