Désavoué par son propre camp, Emmanuel Macron est désormais jugé inapte à conduire la politique de la nation. À l’aube de sa huitième année d’exercice, le chef de l’État semble au bord de l’effondrement. Du moins, c’est l’impression que l’on pourrait avoir.
Le premier acte de ce déclin fut sans doute la dissolution de juin 2024. Encore aujourd’hui, certains persistent à nous faire croire qu’il s’agissait d’un geste irresponsable. Il est difficile de ne pas comprendre ceux qui y voient une faute politique majeure, tant la manœuvre paraît avoir tourné à son désavantage.
Mais faut-il pour autant y voir un simple échec ?
Le « Prince », pour reprendre une image chère à Machiavel, connaissait parfaitement l’état des finances de son royaume. S’il n’avait pas décrété la dissolution, il aurait été symboliquement décapité à l’annonce du budget 2025. En provoquant les urnes, il a cherché à reprendre la main, à anticiper la tempête plutôt que de la subir.
Dire de lui qu’il n’est pas un stratège serait donc une injustice. Sa décision, aussi risquée fût-elle, relevait davantage du calcul politique que de l’imprudence. Reste à savoir si ce pari, né d’une lucidité tragique, marquera le début de sa rédemption ou l’ultime acte de son règne.
Le Prince et la chute du tribun
Les suiveurs aguerris de l’arène politique semblent oublier que le Prince, bien qu’au pied du mur, dispose encore de plusieurs armes affûtées au fil de ses huit années de règne. Pour se maintenir à la tête d’une alliance qui, sous des dehors de pluralité, n’a rien d’hétéroclite, prônant le néolibéralisme comme vertu et le conservatisme comme remède, il lui a fallu abattre le seul camp véritablement opposé à sa politique de l’offre : la gauche.
Autrefois figure tutélaire de cette gauche, tribun éloquent et leader controversé, Jean-Luc Mélenchon a commis de nombreuses erreurs. La première fut de réhabiliter un Parti socialiste moribond, dirigé par un Olivier Faure que l’histoire politique semblait déjà prête à engloutir. En cherchant à teinter son camp d’un rose pâle plutôt que d’un rouge vif, dans le seul but de renverser le Prince, il a en réalité creusé sa propre tombe.
Le Prince, fin observateur, a su tirer parti de cette faiblesse. Il a puisé dans les thèses de son adversaire le plus radical — l’extrême droite — pour isoler davantage son opposant. Toute sa cour, des politiques aux médias, s’en est alors donnée à cœur joie : quoi de mieux que d’aider à creuser la tombe d’un rival asphyxié par sa propre mégalomanie ?
Il faut dire que le tribun n’a pas été épargné. Ses propres outrances verbales ont alimenté la machine.
Le Prince a patiemment façonné l’image d’une créature démoniaque, indigne de la respectabilité qu’il avait autrefois incarnée. Sous couvert de morale, on a insinué qu’en cet homme clivant sommeillait un antisémite, condamnant par ricochet toute la gauche à errer dans les méandres du mal.
Le Prince et la condamnée
En agissant ainsi, le Prince a tenté de briser le dernier mur encore debout entre son trône et le camp de Marine Le Pen : le front républicain. Il la redoute moins qu’autrefois. Il sait que la cheffe de l’extrême droite est affaiblie, contestée à la fois par les forces diminuées de la justice et par son propre camp, où son enfant bâtard cherche à s’élever jusqu’aux rangs de la noblesse républicaine.
Le Prince, fidèle à sa stratégie, profite des fautes accumulées de ses plus farouches adversaires pour les pousser, un à un, dans l’abîme. Il estime que cet enfant rebelle, auréolé de sa récente victoire continentale, demeure encore trop frêle pour lui faire de l’ombre.
Le jeune a les dents longues, certes, mais le Prince y voit avant tout une opportunité de survie.
Après tout, si ce prétendant impatient venait à s’attirer l’opprobre du peuple, cela ne pourrait qu’avantager le monarque lors des prochaines échéances électorales. Sous ses airs de déclin, le Prince n’a rien perdu de son sens du calcul : il attend, patiemment, que ses rivaux s’entre-dévorent pour régner à nouveau sur leurs ruines.
Le peuple oublié
Perché au sommet de sa tour d’ivoire, le monarque, trop occupé à scruter les failles de ses adversaires, avait négligé la variable la plus essentielle : le peuple.
Ses sujets réclament désormais sa tête. Et bien qu’il sache les manipuler avec aisance, il n’a pas su prévoir l’échec de son propre plan. Était-ce l’aveuglement né d’un sentiment de supériorité sociale, ou la faute de ces misérables petits seigneurs de la gôche, qu’il croyait pourtant avoir définitivement écartés du jeu, et qui sont revenus lui jouer un mauvais tour ?
De cette alliance improbable entre seigneurs de bas étage et tribun clivant est né le Nouveau Front populaire. Une résurgence inattendue, fruit de la colère et du calcul.
Il faut dire qu’au sein même de sa cour, certains peinent à comprendre sa stratégie. Beaucoup préfèrent pactiser avec les boiteux plutôt qu’avec le vilain. Son fidèle valet Gabriel, malgré lui, a pourtant joué un rôle central dans le plan du Prince : affaiblir les ambitions de l’enfant bâtard.
Mais ce plan, que le monarque croyait génial, se révéla un désastre. Le royaume s’en trouva fracturé en trois camps :
D’abord celui de la cour, affaiblie, contrainte de renouveler une alliance avec les perfides nobles qui se parent hypocritement des atours de la juste cause républicaine ;
ensuite les boiteux, toujours prompts à contester l’hégémonie déclinante du tribun ;
et enfin les démons, frustrés de voir le trône leur échapper une fois encore.
Le jeu des seigneurs
Enfermé dans ses pensées, le Prince joua une nouvelle fois la carte de la faiblesse de ses adversaires. Les nobles, avides de retrouver la gloire monarchique qu’on leur a arrachée depuis la condamnation populaire de leur plus teigneux représentant, se livrent désormais une lutte de hyènes autour d’une carcasse de pouvoir.
Ridicules et cupides, ces seigneurs ne voient pas que le Prince, derrière son masque d’indifférence, les utilise. Il perçoit dans leur appétit vulgaire une occasion d’affaiblir encore un peu plus son adversaire de l’extrême droite.
Car il le sait : entre ces politiques putrides et le camp du matricide, il existe une troublante proximité idéologique. La mère des démons a su, par son flegme habile, séduire ces voraces et les amener à s’aligner sur ses thèses. Le Prince, humilié par cette influence grandissante, veut lui en faire payer le prix. Il sait pourtant que sa manœuvre n’est qu’un palliatif, une solution précaire. Trois mois, tout au plus.
Vient alors le tour de son valet le plus ambitieux, celui pour qui la fidélité n’est pas vertu mais opportunité. Le Prince le déteste, mais il en a besoin. Pour se maintenir, il cède à ses caprices et à ses chantages. Ce seigneur, nommé Bayrou, rêve d’être calife à la place du calife. Et dans les couloirs du palais, chacun sait qu’il s’y prépare déjà.
Ce valet, longtemps perçu comme un benêt, se révèle en réalité bien plus malicieux qu’il n’y paraît. Empêtré dans les sombres affaires de Bétharram, il a fait de la question des deniers du royaume son nouveau cheval de bataille. Par calcul ou par repentir, nul ne saurait le dire.
Il a cependant compris une chose : lorsqu’on s’approche trop près du soleil, on finit toujours par s’y brûler les ailes.
Son départ, précipité mais lucide, marque la rupture définitive avec le monarque vaniteux qu’il servait. Le Prince perd ainsi un pion essentiel, et le valet, en quittant la cour, se débarrasse enfin du masque trop lourd de la servitude.
Le Prince est acculé.
Ses anciens valets, Gabriel et Édouard, le désavouent désormais publiquement : le premier affirme ne plus le comprendre, le second exige son départ, déjà pressé de préparer sa propre ascension.
Heureusement, il lui reste un fidèle, du moins le croit-il, le valeureux Sébastien, compagnon de la première heure et dernier pilier d’un trône vacillant.
Le monarque n’a que faire des sentiments : son cœur est fait d’une glace qui ne se brise pas. Mais il sait jouer des émotions que sa cour nourrit à son égard. La vie lui a appris à manipuler les ambitions, à se nourrir des vices des autres, quitte à sacrifier sa dignité sur l’autel du pouvoir.
Il sait pourtant, au fond, que le preux Sébastien n’est qu’un valet de plus, mû par le même désir de s’élever. Alors, le Prince feint d’y croire, entretient l’illusion de sa loyauté. Il le flatte, le renomme, le couvre d’éloges pour mieux l’exposer et s’en servir.
Pendant ce temps, ailleurs dans le royaume, le jeune Olivier, chef contesté des boiteux, croit discerner une faille dans la cuirasse du souverain. Conscient qu’il doit reprendre la place du servant, il se prépare à l’affrontement. Mais dans son ombre rôde le vorace Raphaël Glucksmann, allié d’hier et prétendant d’aujourd’hui, qui convoite lui aussi la couronne de la gôche.
Olivier pense tenir entre ses mains le destin du président, et par ricochet le sien. Il se persuade que le Prince ne peut gouverner sans son assentiment.
Mais c’est mal connaître le monarque.
Macron joue à merveille la comédie du doute. Laisse-t-il entrevoir la possibilité d’une concession, ou prépare-t-il patiemment la faute fatale de ses rivaux ?
Il le sait : l’éviction du plus fidèle de ses fidèles ne ferait que renforcer son propre pouvoir. Le Prince pense dompter le chaos, en jouer pour signer lui-même la dernière page de son règne.
Et si l’austérité d’un budget autocratique, imposé sans l’aval d’un royaume pris dans la tourmente électorale, devenait son ultime offrande — le dernier acte d’un pouvoir tyrannique qui se consume en silence ?