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Billet de blog 24 juin 2024

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Histoire d'immigration, d'amour et de religion

Je n'ai pas écrit depuis tellement longtemps. J'adorais ça plus jeune et le temps est passé et mon esprit trop embrouillé pour continuer. A présent, il s'agit d'une urgence de partager mon histoire pour peut-être évacuer un peu de ma colère. Une lettre à mon amour M.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Moi qui pensais être anesthésiée par des années de médicaments et de déconvenues face au sentiment amoureux.

Tout est allé si vite entre nous, dès le départ. Tu as compris mes peurs. Tu m'as poussée à accepter d'accélérer le tempo sans pression. Tu m'as prise toute entière, moi qui avais peur de ta réaction face à ma maladie et de mes exigences quotidiennes.

Le premier coup dur a été le nouveau rejet par mon pays de t'y accueillir. J'ai vite compris que tu n'étais pas né au bon endroit, qu'il aurait fallu une autre frontière.

Puis il y a eu tous les autres obstacles : l'exploitation d'une vulnérabilité par une avocate, le travail non rémunéré par un patron profiteur, l'emploi dans le bâtiment qui abîmait ton corps. J'ai fini par comprendre que tu acceptais cette situation difficile uniquement pour rester à mes côtés.

Comment aurais-je pu te laisser te débattre avec ce dilemme ? Rentrer auprès de ta famille qui te manquait tant après trois ans d'absence ou rester auprès de moi sans avoir aucun droits ?

La barrière de la langue, les différences de coutume n'ont pas eu raisons de nous et on s'est dit que l'on trouverait toujours une solution afin de pouvoir continuer à vivre ensemble.

J'ai imaginé toutes sortes de scénarios (et je sais que toi aussi) : te rejoindre une partie de l'année en Turquie (qui permet d'y séjourner deux fois 90 jours par an sans visa) ou peut-être m'installer avec toi par la suite dans ton pays si notre situation financière le permettait, demander de l'aide au préfet (cette idée a vite été abandonné car il est de droite bien sûr).

J'ai même pensé au mariage (moi qui n'en a jamais rêvé) mais c'est encore un parcours du combattant : Entretien avec un officier d'état civil, résider en France depuis au moins un mois, nombreux documents traduits à fournir... (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F930) et le mariage en Turquie n'est pas plus simple. Malgré tout, ton avenir en France ne serait pas assuré.

Dans quel monde vivons nous ?

Notre amour a le droit d'exister selon des critères bureaucratiques décidés par des politiques racistes et déconnectés de la vie réelle !

Qu'elle honte j'ai ressenti suite au rejet de ta demande d'asile. Quelques semaines après, le Rassemblement Nationale réalisait un score historique aux élections européennes. Cette colère et cet abattement qui m'a envahit n'est pas qualifiable.

Je me suis toujours senti en décalage, inadaptée à cette société. A présent, je me demande comment continuer à vivre dans ces conditions.

Je pense également que la situation sociale a un impact car si tu avais des moyens financiers conséquents ou un travail prestigieux par exemple, tu aurais probablement eu plus de chance de pouvoir rester et dans mon cas, de pouvoir venir à toi mais malheureusement, je vis en partie d'aides sociales.

Le peu d'espoir restant a été balayé de plein fouet par tes parents. Ils refusent que tu vives ou te maries avec une non musulmane, qui plus est une athée. Toi, si ouvert d'esprit, comment aurions-nous pu deviner que tes parents étaient si rigoristes ?

Tu m'as dis que c'était inutile d'écrire à tes parents car de toute manière, ils ne changeraient pas d'avis. Si tu décidais d'aller à l'encontre de leur croyance, plus jamais il ne te parlerait ! Mais j'ai eu ce besoin, pour qu'ils sachent que j'existe vraiment et peut-être les faire réfléchir. Voici la copie de cette lettre :

Je souhaite vous écrire cette lettre afin de vous faire part de mon point de vue et que vous puissiez en apprendre un peu plus sur moi.

Tout d'abord, je tiens à dire que je ne suis en aucun cas hostile à Allah ni à quelconque croyance. Je n'empêcherai jamais M. de vivre sa foi.

Prenez en compte, si cela est possible, que je ne vis pas dans le même pays, que nos cultures et nos codes sont différents. Je pense faire mon possible afin de m'adapter et je souhaiterai que l'on puisse se rejoindre sur ce chemin.

J'avoue qu'il m'est difficile de comprendre que l'on puisse empêcher deux personnes de s'aimer. M. et moi faisons déjà face à de nombreux obstacles que j'espère, nous pourrons surpasser grâce à l'amour véritable que l'on se porte.

Les discriminations sont liées à des croyances. Vous qui en êtes l'objet en tant que kurde, vous connaissez probablement la douleur qu'elles engendrent. 

Il me semble que le Coran indique que les croyants ne doivent pas désespérer de pouvoir guider les mécréants à la religion d'Allah en la transformant en amour basé sur la foi.

La mécréance consiste à nier la vérité et à la dissimuler : ce n'est pas mon cas. C'est simplement que je ne sais pas encore quelle est la vérité.

Dans ma famille, il n'est pas question de faire de différences entre les êtres humains. Peu importe leur race, leur religion ou origine sociale. Ce qui compte pour nous est que l'on soit la meilleure personne possible, respectueuse et généreuse.

Vous l'aurez compris, je vous demande par cette lettre de simplement nous autoriser à vivre notre amour car je sais à quel point cela est important pour votre fils. Je me rends compte que cette situation est très lourde pour lui et je dois bien admettre qu'elle l'est également pour moi car le bonheur de M. me préoccupe. 

Je vous remercie de m'avoir lu.

Je remercie aussi toutes les personnes qui prendront le temps de lire ce billet de blog. Merci de ne pas m'accabler dans les commentaires, mon état étant plus que précaire actuellement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.